Quelles vont être les suites de la chute du régime de Bachar el-Assad survenue en une dizaine de jours ? L’offensive fulgurante du HTS emmené par al-Joulani déclenchée le même jour que le cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah au Liban sud a eu raison de lui. Mais l’affaire est complexe car le HTS, s’il a bien été à l’origine de l’affaire, est loin d’être seul.
Le 29 septembre, l’Armée nationale syrienne (ANS) qui est majoritairement un conglomérat de milices affilées à Ankara, s’est précipitée sur le nord d’Alep, pas tant pour faire tomber le régime de Bachar el-Assad, mais pour en déloger les 200.000 kurdes (combattants et familles) pour les prier de s’exiler vers Manbij plus à l’est.
Parallèlement, pour préserver ce qu’ils pouvaient, les combattants des Forces démocratique syriennes (FDS) composées majoritairement de Kurdes syriens du PYD soutenus par Washington, ont mené une offensive vers Alep pour recueillir leurs frères chassés de la région d’Alep. Plus à l’est, les Kurdes des FDS ont pris la zone de Deir ez-Zor à l’ouest de l’Euphrate à quelques encablures de la frontière irakienne. Leur objectif semblait être de tenir cette région riche en pétrole de manière à garder un « bastion » qui pourrait leur permettre de regrouper et de faire vivre les populations kurdes. Mais les tribus arabes (aussi membres des FDS créées par les Américains) les ont repoussés à l’est du fleuve…
Sur le fond, cela arrange Ankara dont le but a toujours été de créer une zone tampon de sécurité le long de la frontière syrienne et Deir ez-Zor en est éloigné…
Entretemps, les rebelles du HTS qui poussaient vers le sud ont été rejoints par quelques unités de l’ANS qui ont senti l’« odeur de victoire ». Ils ont pris Hama puis Homs sans rencontrer de résistance des forces loyalistes.
La rumeur court qu’il y avait « connivence » entre les rebelles et les responsables civils et militaires syriens qui avaient négocié leur amnistie. Il n’est pas certain que cela se passe de cette façon pour ceux qui se sont distinguées par leur zèle pro-régime…
Premier ministre Mohammad Jalali qui doit gérer les « affaires courantes », Source X.
Au sud du pays, profitant de la situation délétère dans laquelle se trouvait le pouvoir, des rebelles (dont de nombreux Druzes) se sont organisé en une « salle d’opération sud » (SOR) qui s’est emparée de villages dans la région poussant jusqu’à la frontière israélienne sur le Golan. Le seul point de passage de Quneitra a été évacué par l’armée syrienne et occupé par les rebelles. Les Israéliens ont même dû faire le coup de feu pour protéger des positions de l’ONU. Ensuite, Les forces du SOR sont montées sur Damas (qu’elles auraient été les premières à pénétrer).
Enfin, des forces rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL) implantées dans la région d’Al-Tanf à la frontière syro-jordano-irakienne (formées par les Américains) se sont également lancées dans la curée en poussant vers le nord-ouest puis vers Damas où elles auraient été les secondes à entrer (après les SOR citées plus avant).
Les forces des SOR et de l’ASL auraient ensuite été rejointes par celles des HTS et de l’ANS. Après les effusions de joie, la coexistence va être délicate à gérer.
Et les alliés de Damas ?
Les alliés du régime se sont révélés bien impuissants pour le soutenir, le Hezbollah libanais ayant été rudement frappé par Israël depuis des semaines, les milices irakiennes n’ont pas franchi la frontière… et les Russes se demandant comment ils vont se sortir de ce bourbier.
Plusieurs avions de transport sont arrivés sur la base aérienne russe de Khmeimim : 3 IL-76 et unAN-124. L’An-72 y était stationné avant.
Si Tartous et Khmeimim/Latakieh sont relativement faciles à évacuer, ce n’est pas le cas pour les petits détachements éparpillé sur le terrain. Déjà, un convoi militaire russe a été « escorté » par les FDS pour évacuer Deir ez-Zor et rejoindre Qamichli. Après tractations, ce détachement pourra vraisemblablement être exfiltré sur la Turquie. Si cela se passe bien avec les forces Kurdes, il n’est pas certain qu’il en soit de même avec les rebelles islamiques.
Il faut bien le constater, non seulement Bachar el-Assad a été trahi par son armée, mais il a aussi été abandonné par ses alliés car il ne présentait plus d’intérêt pour Téhéran, Bagdad et Moscou.
Vers une partition du pays ?
La suite est difficile à prévoir mais après une période d’euphorie, un éclatement de la Syrie à la « libyenne » n’est pas à exclure avec une notable différence, le pays ne va pas être scindé en deux mais en trois ou quatre entités.
Le HTS a été le boutefeu de l’offensive qui a fait tomber el-Assad. Mais ses forces restent limitées et il ne peut tenir seul le pays. Pour le moment, son fief est à Idlib et il peut gagner Alep à l’est et Latakieh au sud-ouest (ce n’est pas encore fait).
L’ANS qui suit les instructions d’Ankara de créer une zone tampon le long de la frontière va tenir le nord (excepté Idlib) et peut-être pousser jusqu’à la frontière irakienne.
Le sud et le sud-est peuvent revenir aux unités de l’ASL (SOR y-compris).
Il y a aussi l’inconnue représentée par le groupe État Islamique encore présent dans le centre et l’est de la Syrie.
Il reste le problème de la capitale qui va être l’objet de négociations tendues.
Il convient aussi de souligner le drame humanitaire que représente la Syrie où les populations ne mangent pas à leur faim (le Programme alimentaire mondial estime que 12,9 millions de Syriens – soit plus de la moitié de la population – sont en proie à la faim), où les soins ne sont plus assurés régulièrement, etc. Les ONG vont beaucoup avoir à faire mais encore faut-il qu’elles aient des interlocuteurs crédibles en face d’elles.
La joie des réfugiés syriens en Europe est compréhensible mais ce n’est pas demain qu’ils pourront rentrer en masse au pays qui n’a pas les moyens de les accueillir décemment.
Les pays concernés
Les États-Unis, comme beaucoup d’autres pays, sont satisfaits de la chute d’Assad condamné unanimement sur la scène occidentale. Mais ils sont certainement inquiets de la suite des évènements. Pour eux, une solution « à la libyenne » peut leur convenir tant qu’elle ne déborde pas. Leur adversaire principal reste le groupe État islamique (EI) dont des groupes sont toujours présents dans le centre et l’est de la Syrie (voir carte ci-après). À cette fin, l’aviation américaine a conduit des frappes aériennes contre l’EI le 8 décembre. Des bombardiers B-52 Stratofortress , des F-15E Strike Eagle et des A-10 Thunderbolt II ont lancé des dizaines de frappes aériennes contre des dirigeants, des activistes et des camps de l’EI dans le centre de la Syrie. Le commandement central américain (CENTCOM) a précisé que les appareils ont largué environ 140 munitions sur plus de 75 cibles repérées. Ces frappes surviennent alors que les États-Unis tentent d’empêcher les militants de l’EI d’exploiter la situation actuellement chaotique en Syrie.
La Russie vient encore de subir un revers. Elle va perdre son point d’appui en Méditerranée orientale mais ce n’est plus une zone qui semble l’intéresser depuis la rupture avec l’Occident. Elle s’est tournée vers le Caucase, l’Asie centrale, la Chine et l’Arctique. Mais elle perd aussi une escale vitale vers le continent africain où elle a déployé de nombreux « mercenaires »…
L’Iran est le grand perdant de l’affaire. Depuis la mort du général Qassem Soleimani en janvier 2020 en tant que chef de la force Al-Qods des pasdarans qui charpentait les milices chiites au Proche-Orient, la situation s’est dégradée progressivement car aucun remplaçant à la hauteur n’a pu le remplacer. Le régime des mollahs englué dans une situation intérieure difficile vient de perdre son accès direct au Liban via la Syrie. Le Hezbollah va s’en trouver fort démuni surtout pour ses approvisionnements en missiles et autres drones. Ni le Hamas, ni le Jihad islamique palestinien (dont la direction a fui Damas où elle était implantée), ni le Hezbollah ne représentent désormais une menace existentielle pour l’État hébreu.
Ce n’est pas mieux pour l’Irak qui est concentré sur ses propres problèmes et ne souhaite pas s’engager dans une aventure extérieure.
Les Houthis du Yémen doivent se poser des questions sur la poursuite de leurs actions en bordure des côtes yéménites. Servent-elles encore à quelque-chose ?
Ce qui précède signifie qu’un des gagnants actuels et Israël. Sa seule crainte va être qu’un régime hostile se mette en place à Damas, ce qui ne semble pas être le cas pour l’instant. La sécurité de sa frontière va cependant devoir être renforcée car il ne faut pas qu’un « 7 octobre 2023 » se renouvèle depuis le territoire syrien. À cette fin, Tsahal s’est emparé de la zone démilitarisée à l’est du plateau du Golan ainsi que des positions abandonnées par les forces gouvernementales de l’Armée arabe syrienne. Les habitants des villages d’Ohana, Quneitra, al-Hamidiyah, Samdaniya al-Gharbiyya et al-Qahtaniyah proches de la partie occupée par Israël ont été priés de rester chez eux. Par ailleurs l’aviation israélienne a bombardé des dépôts militaires dans le sud de la Syrie et dans la zone de l’aéroport de Damas pour que les rebelles ne s’emparent pas des matériels qui y étaient entreposés.
Le grand gagnant est la Turquie qui va parvenir à ses fins : neutraliser la frontière syrienne (pour l’Irak, la Turquie déjà présente en permanence sur place verra plus tard). L’armée turque est techniquement tout à fait capable de s’emparer des installations portuaires de Tartous et de la base aérienne de Khmeimim (à quelques 150 kilomètres de la frontière turque) pour en faire des « postes avancés ». Il suffit que l’ordre en soit donné et, à la différence des Russes en Ukraine, elle sera bien accueillie par les rebelles – du moins au départ -.
Source : X
Assad et ses proches seraient réfugiés à Moscou. Ses partisans ont été faits prisonniers. Le sort de la Syrie et du Proche-Orient a basculé en cette fin 2024. Personne ne sait vraiment ce qu’il va advenir en 2025 et après…
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