Le 27 novembre 2024, jour du cessez-le-feu dans le conflit qui oppose Israël au Hezbollah libanais au Liban, les rebelles du HTS (Hayat Tahrir al-Cham - Organisation de libération du Levant) emmené par Abou Mohammed al-Joulani, nom de guerre d'Ahmed Hussein al-Chara, appuyés par d’autres factions islamistes syriennes et étrangères ont lancé une offensive militaire stratégique vers d'Alep marquant l'escalade la plus importante dans la région depuis 2020 (1).
L’offensive, qui se poursuit vise à l’origine à rétablir le contrôle des régions clés de la « zone de désescalade » d’Idlib, établie suite à un accord conclu en 2019 entre la Turquie, la Russie et l’Iran.
Le succès étant au rendez-vous, d’autres formations rebelles sont entrées dans la danse dont des unités de l’Armée nationale syrienne (ANS) et des milices turkmènes (ce sont souvent les mêmes). Visiblement, la Turquie a fourni une aide matérielle dont des M113. L’ANS se retrouve donc sur deux fronts : l’un à l’ouest et vers le sud contre les forces gouvernementales et l’autre au nord contre les Kurdes syriens…
La participation de militants ouïghours du « Parti islamique du Turkestan », qui opéraient traditionnellement beaucoup plus à l’ouest (au nord de Lattaquié), de militants ouzbeks, dont la plupart étaient présents à la frontière avec la province de Hama ainsi que d’éléments d’autres groupes, a été confirmée. Il est possible qu’il y ait des activistes de Daech au sein des insurgés.
Selon un analyste turc proche de l’OTAN: « l’opération était prévue depuis plus de six semaines mais a été retardée pour éviter tout amalgame avec un alignement sur l’État hébreu au milieu de ses actions militaires à Gaza et au Liban » mais le cessez-le-feu survenu dans le sud du Liban le 27 novembre a ouvert une fenêtre stratégique pour les factions rebelles syriennes.
Le chef du « Conseil général de la Choura », l’autoproclamé gouvernement syrien du salut (SSG) qui est à la tête de la région Idlib (le HTS est indépendant de cette structure mais pas l’ANS ), Mohammad al-Bachir, a justifié l’offensive en accusant le régime d’avoir « commencé à bombarder les zones civiles, ce qui a provoqué l’exode de dizaines de milliers de civils » ce qui n’est pas faux.
La Turquie en profite pour régler ses comptes
L’opération a pris de l’ampleur après que la Turquie a donné son feu vert aux unités de l’ANS qu’elle encadre à rejoindre l’offensive.
Cette attitude s’explique par le fait que le problème numéro un d’Ankara reste les Kurdes – et particulièrement ceux du PYD syrien considérés comme les « cousins » du PKK qui tiennent l’est de l’Euphrate (au sein des Forces démocratiques syriennes) mais aussi le nord de la région d’Alep.
L’impasse dans laquelle sont les pourparlers de normalisation entre Ankara et Damas et des désaccords avec la Russie à propos de la Syrie ont aussi été des facteurs importants pour se lancer dans l’action via des proxies (pour mémoire, les Turkmènes syriens sont déjà utilisés comme « mercenaires » par la Turquie en Azerbaïdjan et en Libye).
Les Kurdes syriens sont très inquiets de l’évolution de la situation d’autant qu’ils n’entretenaient pas de mauvaises relations avec Damas – sauf rares incidents à Qamichli à la frontière turco-syrienne où subsiste une garnison gouvernementale -.
La Turquie est aussi intéressée par un élargissement de la zone tenue par les rebelles qui permettrait d’y transférer jusqu’à 200.000 réfugiés, ce qui allègerait d’autant la pression pesant sur ses frontières sud-est.
Les opérations
L’objectif premier de l’opération des rebelles partis d’Idlib a été de couper l’autoroute M5, une artère vitale reliant Damas à Alep qui sert de voie logistique au régime d’Assad.
Le deuxième a été de récupérer les territoires perdus lors des offensives gouvernementales de 2015-2017.
L’offensive a rencontré un succès fulgurant, des dizaines de villages tombant les uns après les autres et le rebelles finissant par entrer dans la ville d’Alep sans rencontrer de résistance de la part des forces gouvernementales (Armée arabe syrienne) ou alliées.
Ils ont même repris la fameuse citadelle d’Alep, les premiers combattants rebelles qui y ont été filmés étant des Turkmènes syriens…
De leur côté, les Kurdes ont mené deux offensives, une vers Alep depuis les zones qu’ils contrôlent au nord et une depuis la région de Manbij, une région qu’ils tiennent à l’ouest de l’Euphrate. L’aéroport d’Alep est tombé dans les mains du YPG (appelé YPG/PKK par Ankara), le bras armé du PYD kurde (Rojava).
Mais la tension est forte avec l’ANS (pro-Turquie) et le YPG a été fermement prié de se replier vers l’ouest.
Système anti-aérien Pantsir récupéré à Alep.
Les rebelles ont aussi pris le contrôle de la ville stratégique de Saraqib, au sud d’Alep, à l’intersection de deux autoroutes M4 et M5 reliant Damas à Alep et à Lattaquié. Ce carrefour est vital pour la logistique syrienne depuis Damas et vers le nord et vers Lattaquié sur la Méditerranée..
Enfin, les rebelles ont poussé jusqu’à la ville de Hama mais se sont repliés à son nord alors que des renforts gouvernementaux affluaient. Il est possible qu’une bataille pour la ville ne se profile engageant des unités de l’Armée arabe syrienne, les milices chiites qui leur sont alliées, des forces entrées en Syrie depuis l’Irak voisin et les Russes.
Implications étrangères ?
Il convient de rester extrêmement prudent sur des éventuelles implications étrangères. Mais force est de constater que le coup est rude pour le régime syrien, pour le Hezbollah, pour les milices proches de l’Iran – donc indirectement pour Téhéran – et enfin pour la Russie.
Bachar el-Assad était en voie de réhabilitation au sein de monde arabe après une mise à l’index depuis le déclenchement de la guerre civile en 2011. S’il ne parvient pas à maîtriser la situation sécuritaire, il sera de nouveau rejeté ne présentant plus d’intérêt pour ses pairs.
Le Hezbollah a présenté le cessez-le-feu avec Israël au Sud-Liban comme une « victoire ». En réalité, l’organisation chiite libanaise a été décapitée, tous ses principaux dirigeants ayant été éliminés. Le corps expéditionnaire dépêché en Syrie pour soutenir de régime de Bachar el-Assad a aussi subi des coups très durs, les Israéliens ayant procédé à des bombardements – et même à des raids terrestres – contre des objectifs ponctuels du mouvement. Le 30 novembre, ils ont même bombardé des positions du Hezbollah à la frontière syro-libanaise…
Les nombreuses unités internationales (irakiennes, afghanes, pakistanaises) pilotées par la force Al-Qods des pasdarans iraniens semblent impuissantes pour l’instant. C’est un revers direct pour Téhéran.
L’Iran était jusque là en position « offensive » via le « croissant chiite » (Iran-Irak-Syrie-Liban-Yémen). Téhéran se retrouve aujourd’hui acculé avec des risques d’instabilité intérieure importants.
Enfin et peut-être surtout, cela ouvre un front supplémentaire pour l’aviation russe qui doit détourner des personnels, des matériels et des munitions de la guerre qui fait rage en Ukraine.
Alors qu’il y avait une trentaine d’aéronefs basé en Syrie en 2022, il n’y en reste aujourd’hui qu’une dizaine…
Selon Rybar et d’autres chaînes russes, le commandant des forces russes en Syrie, le lieutenant-général Sergueï Kisel, a été relevé de ses fonctions par le colonel-général Chayko.
Ancien commandant du district militaire oriental de Russie, il avait déjà dirigé les forces russes en Syrie à plusieurs reprises.
Plusieurs chaînes russes de Telegram ont apporté que Bachar al-Assad et sa famille étaient installés à l’hôtel Four Seasons de Moscou… Cette information n’est pas confirmée.
Israël et encore plus les États-Unis ne peuvent qu’être satisfaits de ce qui se passe en Syrie. Maintenant, on ne connaît pas leur rôle direct ou indirect dans cette affaire.
Pour mémoire, les États-Unis avaient déjà utilisé des islamistes radicaux contre les forces soviétiques lors de l’invasion de l’Afghanistan en 1979 et le HTS est un des principaux héritiers d’Al-Qaida né en Afghanistan…
Enfin, Joulani a expliqué à la presse que le retour des déplacés va soulager Idlib et la Turquie (aveu de coopération active). Cette opération serait destinée à couper le corridor de l’Iran vers le Liban. L’État hébreu doit applaudir.
Maintenant, la bataille ne fait que commencer et la suite est incertaine. Ce qui est certain, c’est que la situation est totalement déstabilisée au Proche-Orient et que les surprises peuvent être nombreuses dans l’avenir.
1. Voir : « SYRIE. OFFENSIVE DES REBELLES À L’OUEST D’ALEP » du 28 novembre 2024.
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