La Russie a tiré le 21 novembre sur l’Ukraine un missile balistique armé d’une tête multiple depuis la région russe d’Astrakhan. La cible était l’usine de fabrication de satellites Pivdenmach dans la ville de Dnipro située à plus de 700 kilomètres de là.
Le lendemain, le président Vladimir Poutine déclarait qu’il s’agissait d’un nouveau missile balistique hypersonique à moyenne portée MRBM 9M729 « Oreshnik » (noisettier). Kiev avait annoncé précédemment qu’il s’agissait d’un missile intercontinental.
Dans le jargon des spécialistes, pour présenter cette caractéristique, le missile intercontinental (Intercontinental ballistic missile ou ICBM) doit avoir une portée supérieure à 5.500 kilomètres. Les missiles balistiques à courte portée (short-range ballistic missile, SRBM) ne doivent pas dépasser 1.000 kilomètres, ceux de moyenne portée (medium-range ballistic missile, MRBM) 3.000 kilomètres et ceux de portée intermédiaire (intermediate range ballistic missile, IRBM) entre 3.000 et 5.500 kilomètres.
Dans toutes ces catégories, la configuration exacte du missile dont le nombre d’ogives qu’il peut transporter, peut varier considérablement.
L’Oreshnik que la Russie a tiré sur l’Ukraine aurait transporté six ogives indépendantes. Kiev n’a pas donné d’information sur les dégâts mais a uniquement dit que deux personnes avaient été blessées. Il est vraisemblable que si les destructions avaient été importantes, une large diffusion médiatique aurait eu lieu.
Exemple de missile Minuteman . US DoD
Les missiles balistiques atteignent généralement des vitesses hypersoniques substantielles, généralement définies autour de Mach 6/7 ou plus (l’« Oreshnik » aurait atteint Mach 10). Il en est de même pour les charges entrantes.
Dans les faits, il semble que le « nouveau » missile Oreshnik est un dérivé de ICBM RS-26 Rubezh.
Mais il est possible que le RS-26 Rubezh ne soit qu’un IRBM.
Il est lui-même un dérivé plus petit de l’ICBM RS-24 Yars, que le Pentagone considère comme une simple variante du précédent RS-12M Topol-M.
Il y a un débat sur la place de l’Oreshnik dans le spectre des missiles balistiques Poutine le qualifiant d’arme de moyenne portée (MRBM) et les responsables américains le classant dans la catégorie des missiles à portée intermédiaire (IRBM).
Toutefois, le concept d’un ICBM à têtes conventionnelles n’est pas nouveau. Les services de renseignement militaires américains ont affirmé publiquement en 2023 qu’ils avaient découvert que Pékin portait « un intérêt possible pour le développement d’un ICBM conventionnel » pour en doter l’Armée populaire de libération de la Chine (APL).
Un ICBM conventionnel transportant plusieurs ogives – dont plusieurs leurres – ou même avec des véhicules de rentrée à ciblage indépendant, pourrait offrir des capacités de frappes importantes.
Source : US DOD
À savoir qu’un tel armement permettrait à un seul missile d’impacter avec une précision de quelques dizaines de mètres plusieurs obkectifs simultanément. À l’heure actuelle, ce type d’arme est très difficile – voire impossible – à intercepter en dehors de sa trajectoire ascendante.
La capacité d’un ICBM conventionnel présenterait également des avantages clairs en termes de communication stratégique. Une attaque réussie avec une telle arme aurait pour effet de démontrer de manière évidente la capacité de mener une frappe nucléaire, la précision étant alors moins importante tout en restant dans l’ordre de quelques centaines de mètres.
Toutefois l’emploi d’un ICBM à armement conventionnel peut poser des problèmes de détection inquiétants pour un défenseur qui aurait du mal à déterminer s’il s’agit ou non d’une menace de frappe nucléaire.
La vitesse importante à laquelle un ICBM évolue limite déjà le temps disponible pour évaluer la menace afin d’y répondre d’une manière ou d’une autre.
Tout cela soulève la possibilité d’un scénario dans lequel un adversaire, croyant à tort qu’il est sous attaque nucléaire, répondrait de la même manière, ce qui pourrait bien déclencher une escalade apocalyptique.
Ce n’est pas une inquiétude anodine. Le Pentagone a déclaré avoir reçu un avertissement préalable au tir du missile Oreshnik de la part des Russes via les canaux établis de réduction des risques nucléaires. La notification a eu lieu bien que les Russes aient tiré le missile sur une distance relativement courte (environ 700 kilomètres) vers une cible située à l’intérieur d’un État (l’Ukraine) non nucléaire et non couvert par le parapluie de dissuasion américain.
C’est ce type de crainte de méprise qui a joué un rôle important dans la décision de l’armée américaine d’abandonner les études sur un missile Trident « conventionnel ».
Il n’empêche que Vladimir Poutine a assuré que ce type de missile est désormais en développement. Sur le plan tactique, il représente surtout un danger pour les installations terrestres ou fixes durant une certaine période : usines d’armements, aérodromes, PC, batteries anti-aériennes, etc. Il peut aussi être employé d’une manière efficace contre un groupe naval (un porte avions et son escorte, une flotte de débarquement).
Et surtout, toute l’Europe est à portée de ce nouveau système d’arme.
Les drones ont déjà révolutionné la tactique militaire. Il n’est pas impossible que les Oreshnik ne le fassent à leur tour.
Sur X : jeanbernard.bertrand94
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