En Europe, le Canada a la réputation d’être un pays tranquille où il fait bon vivre. Le complexe « Nicolas Vannier », écrivain/aventurier passionné du Grand Nord oblige. Mais la réalité est beaucoup plus sombre. Cette « terre d’accueil » sert de pôle d’attraction pour toutes les organisations criminelles de la planète depuis les mafias italo-américaines jusqu’aux Triades chinoises en passant par les cartels latino-américains, les clubs de motards et la criminalité organisée indienne.

En dehors de guerres locales très violentes qui peuvent être considérées comme des « fièvres passagères », ces différentes organisations respectent un certain gentlemen agreement pour ne pas trop attirer l’attention des autorités judiciaires. Le désordre nuit aux affaires – même criminelles -.

Mais parfois un évènement vient illustrer cet état de fait. Le 25 octobre, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a découvert le plus grand laboratoire drogue jamais trouvé au Canada saisissant des quantités impressionnantes de stupéfiants, de précurseurs chimiques et d’armes à feu. Les tonnes de précurseurs chimiques étaient utilisées en particulier pour fabriquer de la méthamphétamine et du fentanyl.

La chute de ce que la presse a appelé « Super-Lab » a conduit à l’arrestation d’un suspect d’origine indienne Gaganpreet Singh Randhawa qui semblait diriger l’installation.

Par contre, la ferme où la police a trouvé le laboratoire de drogues appartient à un électricien d’Abbotsford, Michael Driehuyzen, qui a été mis hors de cause.

Photo crédit : Gendarmerie Royale du Canada

Les responsables de la GRC ont décrit le laboratoire comme étant le plus sophistiqué jamais vu dans le pays.

Ainsi, les enquêteurs ont saisi 54 kilogrammes de fentanyl, 390 kilogrammes de méthamphétamine, 35 kilogrammes de cocaïne, 15 kilogrammes de MDMA et 89 armes à feu dont des fusils d’assaut, des fusils mitrailleurs mitrailleuses et des silencieux, soulignant la volonté du syndicat criminel de se tenir prêt à en découdre.

La méthamphétamine était probablement destinée aux marchés australiens et néo-zélandais, qui sont très demandeurs et où les prix restent plus élevés qu’ailleurs.

Le suspect, Gaganpreet Singh Randhawa, serait lié à l’organisation Wolfpack, une puissante alliance de gangs canadiens formée en Colombie-Britannique il y a deux décennies et composée de factions de différents gangs criminels (Hells Angels, Independent Soldiers et Red Scorpions). Le Wolpak s’est lancé il y a des années dans le trafic international de drogue, notamment par en collaboration avec des cartels mexicains, des Triades asiatiques et des groupes du Moyen-Orient. Les ports canadiens, notamment Vancouver, sont devenus des points de transit essentiels pour toutes les opérations de contrebande.

Des preuves liées à cette alliance Wolfpak ont été trouvées sur la propriété, y compris un semi-remorque ayant appartenu à un de ses membres assassiné en juin de cette année.

Photo crédit : Gendarmerie Royale du Canada

Il faut dire que les « Brothers Keepers », un gang indo-canadien rivalise avec l’alliance Wolfpack pour le contrôle de différents marchés criminels. En conséquence, les deux groupes ont été impliqués dans des fusillades ces dernières années.

Globalement, la communauté indo-canadienne domine le crime organisé en entretenant des liens étroits avec les gangs présents en Inde, et tout particulièrement au Pendjab.

Photo : Police Department Vancouver

Ainsi, l’assassinat en juin 2023 de Hardeep Singh Nijjar, qui fut le président de l’organisation séparatiste « Khalistan Tiger Force » (KTF), le « Khalistan » (qui recouvre le Pendjab), a intensifié l’attention sur la violence liée aux gangs au sein d’une partie de la communauté sikh au Canada. L’Inde avait désigné Nijjar comme une personne recherchée pour ses liens avec le mouvement séparatiste du Khalistan et le crime organisé, une affirmation que ses partisans ont niée avec véhémence. Il convient de reconnaître que la notion du « légal », « illégal » et « politique » reste assez floue en Inde (comme dans bien d’autres pays).

En octobre 2024, le Premier ministre canadien Justin Trudeau a déclenché une crise diplomatique entre son pays et l’Inde affirmant avoir reçu des preuves (non divulguées à la presse) comme quoi les services secrets indiens pouvaient être derrière l’assassinat de Nijjar. La victime avait aussi la nationalité canadienne ce qui explique un peu sa ire. Le Premier ministre indien Narendra Modi a nié ces accusations affirmant que cette affaire relevait du droit commun. Les tueurs arrêtés dépendaient du gang indien Lawrence Bishnoi.

Les accusés Karan Brar, Kamalpreet Singh et Karanpreet Singh. Photo : Gendarmerie Royale du Canada

Il est possible que ce meurtre ait un lien avec la guerre des gangs évoquée plus avant.

Cette dernière suscite des inquiétudes quant au rôle du crime organisé au sein de certaines communautés – dont les Sikhs – et à son impact sur la société canadienne en général.

Pour la communauté sikh du Canada, ces incidents soulignent une tendance inquiétante de recrutement ciblant une partie de la jeunesse alors que les réseaux criminels cherchent à exploiter des individus vulnérables pour leurs opérations.

Les réseaux de narco-terrorisme liés au Khalistan ont émergé pour la première fois dans les années 1990 comme le montrent les meurtres très médiatisés au début 1994 de Jimmy et Ron Dosanjh, deux trafiquants de drogue affiliés à la Fédération internationale de la jeunesse sikh (ISYF) lors de guerres de gangs de Vancouver.

L’arrivée d’anciens membres du mouvement Khalistan au Canada a ouvert de nouvelles voies pour le trafic de drogue transnational intensifiant une collaboration avec les réseaux criminels du Pendjab.

En août 2024, la condamnation à dix dans de prison de l’ancien champion de lutte et ex-policier du Pendjab, Jagdish Singh Bhola, a révélé l’ampleur de cette entreprise illicite, mettant à jour un réseau d’approvisionnement en drogue d’une valeur de plusieurs milliards de dollars acheminant de l’héroïne et des méthamphétamines d’Inde vers l’Amérique du Nord et l’Europe par l’intermédiaire de contacts canadiens. Plus d’une soixantaine de prévenus étaient jugés lors d’un maxi-procès. Bohla avait été déjà arrêté en 2008, 2013 puis 2015. Il avait alors écopé d’une peine de 24 ans d’emprisonnement pour trafic de drogues, racket, etc.

Photo crédit : Indian Police Service

La capture de Bhola a mis en évidence le réseau bien organisé de criminalité transnationale reliant les criminels basés au Canada au trafic de drogue du Pendjab.

Affaire à suivre…

Publié le

Texte

ALAIN RODIER