La télévision publique turque TRT a annoncé le 21 octobre la mort du prédicateur musulman Fethullah Gülen à l’âge de 83 ans.

Depuis 1999, Fethullah Gülen vivait en exil en Pennsylvanie aux États-Unis. Depuis près de quinze ans, il était recherché par la justice du président Recep Tayyip Erdoğan qu’il avait pourtant appuyé dans sa montée vers le pouvoir depuis les années 1980.

Gülen avait emménagé dans une nouvelle résidence en Pennsylvanie en avril 2024.

Gülen souffrait depuis longtemps de problèmes de santé – raison officielle de son exil aux USA en 1999 – : insuffisance rénale, de diabète et, selon Ankara, de démence. En réalité, il avait peur de se faire arrêter par l’armée qui avait lancé des enquêtes sur son compte. Curieusement, il n’était pas rentré en Turquie après l’arrivée au pouvoir de l’AKP, le parti islamique deRecep Tayyip Erdoğan en 2002 qu’il avait contribué à accompagner durant des années.

En effet, à partir des années 1980, son mouvement « Hizmet » (en turc, « services ») avait infiltré des ministères clés : la justice, l’Intérieur et même l’armée plaçant stratégiquement ses adeptes à des postes critiques.

Une de ses particularités avait été d’étendre aussi son influence à l’étranger dans plus de 180 pays dont beaucoup en Afrique et en Asie via ses écoles et ses dispensaires privés qui étaient très appréciés des populations locales pour leur excellence et des prix très raisonnables.

À l’intérieur, il avait réussi à remettre l’armée « dans ses casernes » après les procès du « complot Ergenekon » – la justice et la police étant déjà à sa botte. La haute hiérarchie militaire avait été décapitée et la carrière d’officiers acquis à sa cause avait été propulsée.

Tenant tous les rouages de l’État, Gülen était devenu à son tour beaucoup trop puissant aux yeux d’Erdoğan qui n’avait plus besoin de ses services mais qui le considérait désormais comme un risque pour sa suprématie.

La rupture intervint en 2013 lorsqu’un scandale de corruption a éclaboussé des proches la famille d’Erdoğan. Les juges et les policiers impliqués dans l’enquête – aux ordres de Gülen – se sont retrouvés à leur tour derrière les barreaux sur instructions du pouvoir politique en place à Ankara (Erdoğan Erdogan était alors Premier ministre). Beaucoup qui avaient participé à « casser l’armée » ont rejoint à leur tour les geôles turques. En retour, la plupart des officiers généraux emprisonnés ont été innocentés des accusations qui avaient été portées contre eux. Ils sont sortis de prison mais ont été mis à la retraite car ils avaient atteint les limites d’âge de leur grade. Ils ne constituaient plus un danger pour Erdoğan…

Il restait à régler le cas des officiers membres proches du Hizmet. Le 16 juillet 2016, il y eut un coup d’État militaire aussitôt attribué par Erdoğan au Hizmet rebaptisé « organisation terroriste FETÖ ».

Cela permis bien sûr de purger l’armée de ces éléments jugés « séditieux », mais aussi d’autres administrations, la presse, et les mouvements politique pro-kurdes – qui n’avaient strictement rien à voir avec ce putsch -… En réalité, tous les opposants au premier ministre mais aussi futur président turc (2018 puis 2023) ont été mis au pas.

Gülen ne va pas laisser un souvenir impérissable en Turquie.

Le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, a déclaré : « le chef de cette organisation obscure est mort. L’organisation a trompé des milliers de nos jeunes pour qu’ils rejoignent ses rangs au nom des valeurs sacrées et les a transformés en une machine qui a trahi leur patrie, leur nation et leurs valeurs ». Il a ajouté  que ces personnes sont désormais utilisées comme des armes contre leur propre pays par les services de renseignement étrangers. « Avec cette mort, je les exhorte à abandonner cette voie perfide de la trahison. Je les appelle à cesser de travailler contre leur État et leur nation. Cette voie ne mène pas à une bonne fin ».

Les adversaires d’Erdoğan détestent Gülen encore plus que lui : les kémalistes, les nationalistes, les islamistes car à un moment ou à un autre, il s’est opposé à eux avec l’efficacité que lui donnait la puissance de son réseau souterrain.

Le président du principal mouvement d’opposition, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate héritier de Mustafa Kemal Atatürk) Özgür Özel a déclaré : « il laisse derrière lui beaucoup de souffrances et de trahisons ».

De nombreux mystères entourent ce personnage. D’abord, pourquoi Washington lui a donné accueil en 1999 alors que le Parti de la justice et du développement (AK PARTİ ou AKP) n’est arrivé au pouvoir qu’en 2002 ? À noter qu’il était pour un « dialogue » avec Israël mais contre toute compromission avec les Kurdes… Ce sont les premiers sujets de désaccords avec Erdoğan dans les années 2010 qui prônait alors l’inverse…

Le président turc se retrouve sans bouc émissaire en dehors des Kurdes. Il est au sommet de son pouvoir faisant plier les Occidentaux à sa volonté et se désignant comme le leader des croyants face à Israël. Sa position est confortable mais risquée pour la suite d’autant qu’il n’a pas encore de dauphin désigné.

Peut-être Hakan Fidan, fidèle parmi les fidèles, actuel ministre des Affaires étrangères mais surtout ancien directeur des services spéciaux turcs de 2010 à 2023, le redouté MIT compétents à l’intérieur comme à l’extérieur. À son poste, il a certainement joué un rôle central dans la lutte contre le mouvement Hizmet et son chef Gülen.  Il représente vraiment l’« État profond » turc. Il sait tout sur tout le monde…

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Texte

Alain Rodier