Situation à la mi-août dans la région de Koursk Le 6 août, entre 8.000 et 10.000 militaires ukrainiens étaient entrés dans la région frontalière russe de Koursk obligeant l’évacuation dans le plus grand désordre d’au moins 120.000 habitants de cette province.

Depuis la mi-août, les forces ukrainiennes poussent vers la région de Belgorod où des évacuations en catastrophe mais cette fois mieux organisées (l’effet de surprise ne joue plus) ont également eu lieu.

La ville russe de Soudja où se trouve une infrastructure de gazoducs cruciale pour l’approvisionnement de l’Europe en gaz naturel russe… transitant ensuite par le territoire ukrainien … est aussi tombée…

Le général Oleksandr Syrskyi, chef d’ébat major des forces armées ukrainiennes a déclaré que l’Ukraine contrôlait désormais 1.450 kilomètres carrés de territoire russe. La réalité serait plus proche des 500 kilomètres carrés étant entendu que la notion de « contrôle » reste vague. Une unité qui passe sur une route ne la tient pas obligatoirement.

Plus d’une centaine de gardes-frontière et d’appelés russes ont été fait prisonniers. Des négociations pour de futurs échanges ont immédiatement été lancées.

Enfin, les ponts qui franchissent la rivière Seym à l’ouest auraient été coupés. C’est tout le dispositif entre cette rivière et la frontière ukrainienne qui se retrouve isolé permettant aux forces ukrainiennes de tenter de prendre le contrôle d’une bande d’au moins 600 km².

Les prochains jours vont être décisifs.

Les responsables américains et de l’OTAN ont prétendu que l’Alliance n’avait pas été informée des plans de l’Ukraine pour attaquer la Russie, le New York Time a révélé le 15 août que : « les agences de renseignement américaines […] étaient au courant de l’ambition de l’Ukraine d’attaquer de l’autre côté de la frontière depuis plus d’un an.[…] les récents changements de politique opérés par le gouvernement Biden ont rendu l’opération possible. Sous la pression de ses conseilleurs et de ses principaux alliés, Biden a autorisé fin mai l’Ukraine à mener des frappes limitées à l’intérieur de la Russie avec des armes de fabrication américaine, ouvrant ainsi ce qui devait être un nouveau chapitre de la guerre pour l’Ukraine».

Selon le Times, c’est « la première fois qu’un président américain autorise des réactions militaires limitées sur l’artillerie, les bases de missiles et les centres de commandement à l’intérieur des frontières d’un adversaire doté de l’arme nucléaire»…

Cela fait également suite à l’évolution significative de l’implication directe des États-Unis et de l’OTAN dans la guerre avec la livraison de missiles à longue portée à l’Ukraine et l’autorisation d’utiliser des armements fournis par l’OTAN pour frapper à l’intérieur de la Russie.

L’attaque intervient également un mois après le sommet de l’OTAN à Washington, qui a organisé la fourniture logistique et l’entraînement des troupes ukrainiennes sous le contrôle de l’alliance militaire.

Aujourd’hui, l’OTAN augmente encore son implication directe dans la guerre avec l’arrivée de chasseurs F-16 sur la ligne de front. Deux auraient été observés lors de l’opération de Koursk.

Anecdote : emploi des chars Challender 2 dans la région de Koursk

La chaîne de télévision britannique Sky News a déclaré le 6 août que les chars Challenger 2 « sont entrés en Russie pour participer à l’offensive ukrainienne de Koursk » tout en précisant que les équipages étaient bien ukrainiens.

Le ministère de la Défense britannique a affirmé de son côté – mais sans évoquer la présence de chars Challener 2 – : « l’Ukraine a clairement le droit de se défendre contre les attaques illégales de la Russie, ce qui n’exclut pas des opérations à l’intérieur de la Russie […] la politique du gouvernement britannique n’a pas changé […] les équipements doivent être utilisés conformément au droit international ».

Pour le Times, alors qu’il était aux affaires, l’ancien ministre britannique de la Défense Ben Wallace avait autorisé l’Ukraine à frapper des cibles à l’intérieur du territoire russe avec « toutes les armes qui lui étaient fournies » par Londres à l’exception notable des missiles Storm Shadow de longue portée.

Depuis février 2022 date de l’invasion russe, Londres s’est engagé à mobiliser quelques huit milliards d’euros pour soutenir militairement l’Ukraine.

Outre 14 chars Challenger 2 prélevés sur le corps de bataille britannique et les missiles Storm Shadow, le Royaume-Uni a livré des missiles antichars et des centaines de véhicules blindés divers et variés. L’armée britannique a également formé des dizaines de milliers de militaires ukrainiens sur son territoire dont de futurs pilotes destinés à être certifiés sur F16.

Les Challenger 2 ont été affecté à la 82ème brigade d’assaut par air de l’armée ukrainienne. Livrés en mars 2023, deux auraient été neutralisés au combat fin 2023.

Destruction de Challenger 2 en septembre 2023

Le nombre de chars britanniques engagés dans l’opération de Koursk n’a pas été divulgué mais des images divulguées le 15 août ont confirmé la destruction d’au moins un char Challenger 2 lors de l’offensive. Ce qui fait qu’il n’en resterait que onze. Connaissant la difficulté à entretenir ces matériels, il est probable qu’uniquement une poignée reste vraiment opérationnelle.

Un éditorial publié dans The Economist demande à ce que les dernières restrictions soient levées en ce qui concerne l’utilisation des armes de l’OTAN en Ukraine déclarant :

 « le risque d’escalade ne doit pas être exagéré. Il est pervers que l’Ukraine ne soit pas autorisée à frapper les bases aériennes russes à partir desquelles les avions à réaction lancent des bombes pour dévaster les villes ukrainiennes et tuer ses soldats. Les forces russes qui violent de manière flagrante et criminelle les frontières de l’Ukraine ne doivent pas s’attendre à être abritées derrière les leurs ».

Il est vrai que le « risque d’escalade » est une chose relative. Les « lignes rouges » édictées par le président Poutine ont toutes été franchies dont celle qui consistait à dire que le territoire russe était inviolable. Le Kremlin en était tellement certain qu’il n’avait mis aucun dispositif de défense sérieux à sa frontière avec l’Ukraine. Aujourd’hui, il n’est question que d’une « opération contre-terroriste » et en aucun cas de repousser une « invasion » ce qui politiquement aurait une toute autre signification qui pourrait créer des problèmes intérieurs au pouvoir.

Les avis des alliés

Le général Christopher Cavoli, le commandant des forces américaines en Europe (EUCOM) a fait le commentaire suivant : « les choses semblent se dérouler assez bien. […] Ils ont trouvé une zone de faiblesse dans la position des Russes et ils l’ont exploitée rapidement et avec beaucoup d’habileté».

Lindsey Graham, faucon de guerre républicain américain, a également fait l’éloge de l’offensive. Il s’est trouvé des accents à la Patton la déclarant «audacieuse, brillante et magnifique. Continuez comme cela […] C’est Poutine qui a commencé. Foutez-lui une raclée».

Poutine a nommé son conseiller Alexei Dioumine pour superviser l’opération de « contre-terrorisme » contre les activités ukrainiennes dans l’oblast de Koursk. La réorientation générale du Kremlin vers le « siloviki » ( personnalité qui est pour la Loi et l’ordre) Dioumine et des responsables de la sécurité ayant une réputation forte et bien établie en matière de lutte contre le terrorisme et de contre-espionnage, suggère que le Kremlin se tourne de plus en plus vers des individus qui protègent le régime.

Ce qui se passe dans l’oblast de Koursk met en évidence cette dynamique : la réponse du Kremlin à l’incursion met en avant des responsables de la sécurité par rapport aux personnalités politiques et économiques.

La véritable bataille décisive se joue au centre

De nombreux observateurs objectifs pensent que cette aventure militaire en Russie constitue une « bavure stratégique ». Elle détourne les ressources critiques du champ de bataille principal tout en offrant un gain stratégique négligeable.

Même si elle fait les gros titres dans les medias, particulièrement occidentaux, et inflige des dommages psychologiques en Russie, ces victoires superficielles ne font pas grand-chose pour modifier la dynamique fondamentale du conflit. Chaque soldat, char et pièce d’artillerie déployée dans l’incursion en Russie représente une perte pour l’effort ukrainien dans le reste du pays.

Car alors que le monde regarde cette opération médiatisée avec fascination, la véritable bataille pour l’avenir de l’Ukraine se déroule ailleurs.

Un observateur proche de Washington déclare même : « il ne s’agit pas de diminuer la bravoure des forces ukrainiennes qui ont sans aucun doute été confrontées à d’importants défis dans cette incursion – mais le courage sans orientation stratégique est une recette pour le désastre ».

Les autorités militaires de la ville de Pokrovsk, dans l’est de l’Ukraine, ont exhorté les civils à accélérer leur évacuation à la mi-août parce que l’armée russe se rapproche rapidement de ce qui constitue une cible clef de Moscou.

Même le président Volodymyr Zelensky a averti que Pokrovsk et d’autres villes voisines de la région de Donetsk « faisaient face aux assauts russes les plus intenses ».

Depuis l’opération Koursk, il n’a été constaté aucun changement. Les Russes avancent certes au prix de lourdes pertes, mais ils avancent.

Pokrovsk, qui comptait une population d’avant-guerre d’environ 60.000 âmes, est l’un des principaux bastions défensifs d’Ukraine et une plaque tournante logistique clé dans la région de Donetsk. Sa capture compromettrait les capacités défensives et les voies d’approvisionnement de l’Ukraine et rapprocherait la Russie de son objectif déclaré de capturer l’ensemble de la région de Donetsk.

Si Pokrovsk tombe, il n’y a plus de défense derrière, jusqu’au Dniepr.

Si Toretsk tombe, c’est tout le Donbass central qui s’ouvre à la manœuvre russe.

Si Vouhledar tombe, c’est l’unification du front du Donbass et de celui de Zaporijjia qui devient possible.

Les options stratégiques sont largement plus favorables aujourd’hui aux Russes qu’aux Ukrainiens.

Publié le

Texte

Alain Rodier