L'offensive lancée le 6 août par l'Ukraine dans les régions frontalières russes de Koursk et Lipetsk a stupéfié Moscou et constitue une « gifle » personnelle infligée au président Vladimir Poutine. En effet, il sera rappelé dans l’Histoire que lui qui voulait mettre au pas le voisin ukrainien rétif a réussi l’exploit de permettre une invasion - certes minime - du territoire russe par une puissance étrangère (le président Zelensky officiellement revendiqué avoir voulu « déplacer la guerre » en Russie) depuis l’Opération Barbarossa débutée le 22 juin 1941…

Cette opération en cours que Moscou peine à contenir a révélé – une fois de plus – les fautes de commandement et les faiblesses de la défense russe.

Dans un premier temps, l’effet de sidération a provoqué des interrogations des populations qui sont remontées jusqu’au Kremlin.

Cette opération a obligé Poutine à sortir de sa réserve habituelle, un geste rare pour le président qui préfère généralement rester dans l’ombre laissant à ses responsables gouvernementaux et militaires le soin de commenter la situation.

Bien que Poutine ait reconnu le problème de l’invasion dans la région de Koursk, il s’est abstenu de la qualifier d’« échec » de l’armée russe à sécuriser la frontière décrivant simplement l’incursion comme une « provocation à grande échelle ».

Même si ce n’est pas vraiment le moment, cette désillusion militaire supplémentaire pourrait fragiliser le chef d’état-major général Valeri Guerassimov qui est en fonction depuis 2012. Si son grand succès personnel a été l’intervention russe en Syrie en septembre 2015, l’invasion de l’Ukraine débutée en février 2022 a connu de nombreux les échecs.

L’image des militaires russes capitulant au poste de contrôle frontalier de Soudja lui nuira vraisemblablement dans l’avenir mais plus encore son refus d’entendre les avertissements des services de renseignement russes qui avaient décelé un regroupement anormal de troupes ukrainiennes près de la frontière de la région de Koursk, et cela depuis plusieurs semaines.

Il est l’un des rares du ministère de la défense à ne pas avoir (encore) connu une mise à l’écart mais on ne change pas de chef au milieu du gué…

Depuis le lancement de l’assaut le 6 août, les forces ukrainiennes désormais évaluées entre 6.000 et 10.000 hommes auraient capturé un point de transit clé du gazoduc actif entre la Russie et l’Europe via l’Ukraine, attaqué un aérodrome militaire dans la région de Lipetsk, frappé un convoi militaire russe et obligé plus de 76.000 civils à fuir la région qui a été placée sous le régime « antiterrorisme ». À noter que les autorités locales ont été incapables de gérer ces évacuations en bon ordre ca qui a encore accru les récriminations des populations locales…

De l’autre côté de la frontière, l’Ukraine a demandé l’évacuation d’au moins 20.000 civils de la région de Soumy par crainte de représailles massives.

Objectif de Kiev

L’objectif affiché de Kiev est : « étirer les positions de l’ennemi, de lui infliger des pertes maximales, de déstabiliser la situation en Russie […] et de transférer la guerre sur le territoire russe ».

Le 11 août, l’armée ukrainienne avait conquis 458 km2 et pénétré dans plus de trente localités de la région de Koursk.

Il ne fait aucun doute que les services secrets anglo-saxons étaient conscients du manque de défenses russes dans cette zone, ce qui a permis aux forces ukrainiennes de faire ses profondes avancées.

À noter qu’il ne s’agit pas de  la première incursion en Russie de combattants basés en Ukraine(1). Certains groupes de Russes anti-Kremlin ont lancé des raids en 2023 qui ont été repoussés. En mars 2024, ces forces irrégulières ont de nouveau pénétré dans les régions de Belgorod et de Koursk où elles ont été confrontées aux forces de sécurité russes. Dans les deux cas, elles n’ont pu agir sans le soutien direct de l’armée ukrainienne.

L’Ukraine s’attendait à une offensive russe dans la région de Soumy mais en attaquant en premier, ses forces ont bénéficié de l’effet de surprise tactique.

Toutefois, l’armée russe dispose de suffisamment d’unités de volontaires dans les régions de Koursk et de Belgorod et dans sa réserve centrale. En outre, la population russe est probablement tout à fait disposée à laisser les conscrits se battre si la « mère patrie » est envahie.

Aujourd’hui, les objectifs opérationnels annoncés par l’Ukraine sont en grande partie pure propagande car les zones de front les plus cruciales se situent toujours dans le Donbass.

L’ouverture d’un nouveau front est une surprise mais les forces ukrainiennes font de leur mieux dans une situation générale difficile. De plus et loin d’être négligeable, cette opération a bénéficié d’une bonne couverture médiatique en Occident et a semé le doute parmi les observateurs pro-guerre.

Les deux camps vont transférer des troupes vers le front de Koursk. L’Ukraine a déjà déplacé des forces du front de Kharkov et d’autres seront bougées. Au fil du temps, la supériorité russe en matière de ressources humaine va augmenter sur zone.

La Russie fait de même mais cela ne semble pas diminuer l’intensité des combats sur le front de Kharkiv. Il est même probable que l’ouverture des combats sur la ligne de front de Soumy et de Koursk s’est faite au détriment de la partie sud-ouest de la région de Donetsk.

L’armée russe compte 600.000 hommes en Ukraine contre 400.000 pour les forces de Kiev. Dans le pire des cas, la Russie pourrait commencer à utiliser des forces de conscrits dans la guerre, ce qui commence à être le cas dans la région de Koursk. Cela pourrait encore faire grimper les effectifs russes.

Pour conclure provisoirement, Kiev sait que les négociations avec Moscou sont désormais inéluctables. Comme prévu, les armements occidentaux – chasseurs F16, blindés Abrams, Leopard 2 et Bradley y compris – n’ont pas fait la différence. Seuls les lance-roquettes HIMARS ont obtenu des résultats tactiques handicapants pour les Russes.

Le grand problème de l’Ukraine est sa ressource humaine qui reste limitée.

Cette opération permet à Kiev de récupérer quelques atouts politiques car son intérêt tactique réel est nul. Mais il va falloir aller assez vite avant que les forces russes – même si elles continuent à être handicapées par une valeur opérationnelle discutable – ne finissent par percer au centre et au sud leur permettant à leur tour de s’emparer de gages importants.

 

1. Voir « Coups de main en Russie » du 18 mars 2024 et « L’opposition russe face à la guerre » du 2 juin 2023.

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Texte

Alain RODIER