Les premiers avions de combat F-16 de fabrication américaine devraient être délivrés à l’Ukraine dans les prochaines semaines alors que leurs pilotes terminent leur formation. Aucun détail ne transparait sur l’instruction des nombreux techniciens qui doivent assurer la maintenance des appareils.

La principale question qui se pose est : les F-16 feront-il la différence permettant à Kiev de contrer efficacement les forces armées russes ?

D’abord, le commandement ukrainien sait pertinemment que les premiers appareils fournis constitueront des cibles prioritaires pour Moscou, bien sûr d’un point de vue tactique mais encore plus sur le plan psychologique.

Étant donné que les missiles russes peuvent potentiellement atteindre n’importe quel aérodrome ukrainien qualifié pour les F-16, Kiev n’envisagerait dans un premier temps que d’en positionner deux en permanence.

Les autres pourraient être basés à demeure dans d’autres pays d’Europe de l’Est comme la Pologne.

Mais à ce moment là se posera la question de la cobelligérance. Des F-16 décollant d’un pays étranger pour mener des actions de combat contre l’armée russe au dessus de l’Ukraine peut permettre à Moscou de considérer les aérodromes de départ comme des objectifs justifiant des frappes.

À ce moment là, un dérapage dramatique risque d’être enclenché. À savoir qu’une attaque d’un pays de l’OTAN engage les autres selon l’article 5 de l’Alliance même s’il y a des « nuances.» En effet, il stipule que si un pays de l’OTAN est victime d’une attaque armée, chaque membre de l’Alliance considèrera cet acte de violence comme une attaque armée dirigée contre l’ensemble des membres et prendra les mesures qu’il jugera nécessaires pour venir en aide au pays attaqué. Chaque pays membre reste individuellement maître des « mesures » qu’il « juge nécessaire. »

Une argutie pourrait consister à systématiquement faire effectuer des « sauts de puce » aux F-16 qui partiraient bien de l’étranger mais se poseraient en Ukraine pour charger leurs munitions avant de redécoller pour effectuer leur mission de combat. Mais ce n’est pas certain que Moscou goberait ce stratagème sans compter que cela compliquerait et retarderait considérablement les missions des pilotes.

Selon des observateurs spécialisés interrogés par la chaîne qatarie Al Jazeera, 50 ans après sa création et avec l’émergence de nouvelles générations d’avions de combat, il est peu probable que le F-16 change fondamentalement la donne dans la guerre russo-ukrainienne.

Dans le détail, la prise d’air du moteur est située trop bas et peut « avaler » des cailloux provenant des pistes d’atterrissage ukrainiennes défoncées – ce qui peut également être dangereux pour le train d’atterrissage de l’appareil.

Un problème encore plus important réside dans la portée des armes embarquées que l’Occident pourrait fournir. Un F-16 peut théoriquement emporter  divers missiles ou bombes, mais les avions que l’Ukraine va recevoir devraient être livrés en version défense aérienne et pas d’attaque au sol…

Bien sûr, les techniciens ukrainiens peuvent effectuer les adaptations nécessaires comme cela a été le cas  lorsqu’ils ont monté des missiles SCALP-EG et Storm Shadow » sur des Su-24M Fencer.

La formation de pilotes ukrainiens déjà expérimentés a duré six mois – une courte période pour maîtriser les bases du vol, éviter les tirs de l’adversaire et engager les avions ennemis. Les pilotes ukrainiens avaient également eu besoin d’une formation en anglais – et ont dû réadapter leurs habitudes de pilotage d’avions de combat de production soviétique, conçus pour contrer les F-16 et leurs frères F-15 mais qui n’étaient pas « copiés » sur eux.

Des dizaines de pilotes ukrainiens supplémentaires suivront mais, selon Mykhailo Zhirokhov, un expert militaire basé à Tchernihiv dans le nord de l’Ukraine, « la formation reste extrêmement basique, ce qui n’est pas un plus. […] Par conséquent, les F-16 pourraient être utilisés exclusivement comme porteurs d’armes de haute précision. »

L’armée de l’air ukrainienne dispose déjà de bombes à guidage de précision GBU-39 de fabrication américaine qui peuvent planer sur environ 100 km jusqu’à leurs objectifs.

Selon le même expert, les forces ukrainiennes « utilisent également des kits de munitions d’attaque directe qui transforment des bombes lisses en munitions à guidage de précision, et ont également reçu des bombes guidées AASM de fabrication française. »

Dans le cadre de sa première mission officiellement reconnue, la défense aérienne, les F-16 pourront aussi intercepter des missiles de croisière et des drones russes.

Plus globalement, les hauts gradés ukrainiens espèrent se doter de missiles air-air AIM-120D-3 qui pourraient mettre fin à la suprématie aérienne russe.

Mais  les avions russes ne survolent que rarement les positions ukrainiennes larguant à distance leurs bombes KAB qui peuvent planer sur des dizaines de kilomètres. Selon Deep State, une chaîne Telegram ayant des liens avec l’armée ukrainienne, les KAB sont devenues une « arme miracle qui donne des résultats et n’a pratiquement aucune contre-mesure. » Ce sont elles qui auraient permis la prise d’Avdiivka et de plusieurs autres villes de l’est de l’Ukraine.

Nikolay Mitrokhin, de l’université allemande de Brême  affirme que : « théoriquement, au départ seuls un ou deux F-16 devraient être stationnés sur le sol ukrainien pour chasser les avions russes transportant des KAB […] Les F-16 sont un cadeau trop précieux, et trop peu sont fournis [à l’Ukraine] pour que l’on puisse les risquer. »

Pour lui, il est par ailleurs peu probable qu’ils soient impliqués dans des combats directs avec des avions de combat russes, et leurs duels se limiteront à des frappes de missiles « peu efficaces. »

Les F-16 pourront frapper des cibles terrestres – mais uniquement à des distances qui excluent l’utilisation par la Russie des systèmes de défense aérienne S-300, S-400 et S-500.

Les Pays-Bas, la Belgique, le Danemark et la Norvège se sont engagés à fournir un total de 85 F-16 d’ici 2028 qui seront remplacés par des F-35.

C’est suffisant pour armer quatre escadrons – mais c’est loin des 120 avions que le président ukrainien Volodymyr Zelensky a demandé à l’Occident pour contrer les 300 chasseurs russes.

Le porte-parole de l’armée de l’air ukrainienne Youri Ihnat a déclaré à la télévision en 2023 que l’armée de l’air ukrainienne a été négligée et sous-financée depuis des décennies. Le « plus jeune » avion de combat ukrainien est le Su-27 fabriqué en 1991 et les autres avions sont souvent « deux fois plus vieux que leurs pilotes. »

Kiev possède environ 50 MiG-29 et deux douzaines d’avions de combat Sukhoi 27 dont les radars notoirement défectueux ont une courte portée de détection et peuvent être facilement brouillés par les Russes.

Moscou utilise des MiG et des Sukhois plus récents et mieux équipés et l’Ukraine en a détruit au moins une douzaine sur des aérodromes dans les régions occupées ou en Russie continentale.

De son côté, Kiev a perdu au moins 22 de ses MiG, mais l’Allemagne, la Pologne et la Slovaquie ont fait don de 27 avions similaires qui sont devenus pour la plupart une source de pièces de rechange.

Et tandis que des pays occidentaux comme la France et la Suède ont proposé leurs avions de combat, Washington a poussé Kiev à accepter les F-16 afin de garantir leur utilisation en Ukraine pour les décennies à venir. Selon l’analyste basé à Kiev Aleksey Kushch, « il s’agit de la défense du complexe militaro-industriel américain et d’une question d’influence géopolitique. »

À l’évidence, l’arme miracle n’existe pas. Le sort de la guerre se trouve ailleurs…

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Texte

Alain RODIER