Un important think tank basé aux États-Unis préconise que Washington fasse peser sur la Chine la menace d’emploi en premier d’armes nucléaires tactiques dans le cas où cette dernière tenterait d’envahir Taïwan.

Le « Centre Brent Scowcroft sur la sécurité internationale » à l’origine de cette étude est un think tank basé aux États-Unis qui dépend de l’« Atlantic Council », lui-même spécialisé dans les relations internationales.

Il propose que le Pentagone planifie l’emploi en premier d’armes nucléaires tactiques pour contrer une force d’invasion navale et amphibie chinoise qui se masserait dans le détroit de Taiwan avec des intentions agressives.

En cas de déclenchement de ce feu nucléaire, il aurait alors une très forte probabilité que cette action détruise ou, au minimum paralyse la flotte chinoise ce qui signifierait  l’échec militaire de la tentative d’invasion.

Selon le think tank, l’utilisation d’armes nucléaires tactiques en mer minimiserait les dommages collatéraux et sa limitation à des cibles strictement militaires atténuerait la dynamique d’escalade potentielle en n’atteignant pas le continent chinois.

 

Cette proposition semble être une réaction au changement de l’équilibre militaire conventionnel qui est en train de s’opérer dans la région au bénéfice de la Chine.

Globalement, les auteurs pensent que cette  utilisation en premier d’armes nucléaires tactiques aurait sur Pékin un impact militaire décisif – ce qui est à peu près certain – mais sans provoquer une escalade incontrôlable qui ne contribuerait en rien à améliorer l’issue de la guerre [contre Taïwan].

D’autres analystes américains ne partagent pas cette opinion. Pour eux, étant donné le choc provoqué par une frappe nucléaire américaine et les nombreuses pertes humaines et matérielles qui en découleraient, il est peu probable que les dirigeants chinois réagissent avec mesure.

Pour répondre à l’opération « ciblée » américaine, Pékin pourrait répliquer de la même manière en prenant pour objectifs un ou plusieurs groupes navals américains croisant sur zone, la base aérienne d’Andersen ainsi que d’autres installations à Guam (bien que ces dernières constitueraient techniquement une attaque sur le territoire américain et risqueraient donc une nouvelle escalade américaine.) Les bases américaines à Okinawa et au Japon sont également des objectifs qui pourraient être traités…

Cela dégraderait la capacité des États-Unis à générer des forces dans la région et permettrait à la Chine de lancer une campagne de bombardements aériens dévastatrice contre Taiwan.

Plus généralement, ils soulignent qu’il est peu probable que le passage proposé à la planification et à la menace du recours en premier aux armes nucléaires tactiques puisse être perçue comme crédibles par Pékin.

En effet, Taiwan n’est pas un allié officiel et ne bénéficie donc d’aucune garantie d’intervention militaire directe des États-Unis, même en cas d’invasion.

Le soutien du public américain à Taiwan, qui est plus élevé que jamais selon les sondages, s’oppose toutefois systématiquement à toute intervention militaire directe des États-Unis.

Pris ensemble, ces deux faits – une obligation diplomatique ambigüe et un faible soutien public en faveur d’une implication directe des États-Unis – sapent considérablement la crédibilité d’une menace d’utilisation nucléaire américaine dans le contexte de Taiwan.

Pour conclure, les opposants à cette mesure affirment que les États-Unis ont largement les moyens conventionnels nécessaires pour arrêter une force navale de débarquement, les sous-marins d’attaque étant le tout premier atout suivis des missiles de croisière.

Et pour l’OTAN ?

Les États-Unis ont déployé pour la première fois des armes nucléaires en Europe en septembre 1954 pour contrebalancer le vaste avantage conventionnel des forces du Pacte de Varsovie et dissuader Moscou d’utiliser des armes nucléaires tactiques contre l’OTAN.

Selon le discours officiel, ces armes étaient considérées non seulement comme importantes pour défendre l’Alliance, mais aussi pour maintenir un lien « sans ambigüité » avec les forces nucléaires stratégiques américaines qui garantiraient virtuellement que toute incursion soviétique en Europe occidentale dégénèrerait rapidement en guerre nucléaire générale.

En réalité, de nombreuses questions se sont posées tout au long de la Guerre froide concernant la volonté des États-Unis à lier leur propre sort à celui de leurs alliés européens et plus accessoirement sur l’utilité des forces nucléaires tactiques. Ces questions sont toujours d’actualité aujourd’hui.

Dans les coulisses de l’Histoire, il était admis que Washington et Moscou voulaient éviter toute escalade qui amènerait à une catastrophe nucléaire mutuelle.

Le général de Gaulle était persuadé que la Maison Blanche souhaitait avant tout que le territoire américain ne soit pas touché par une guerre éventuelle en Europe. C’est ce qui explique son obstination (coûteuse financièrement) à doter la France d’une force nucléaire indépendante qui compliquait les prévisions du Kremlin.

Si les stratèges soviétiques étaient persuadés que les Américains ne déclencheraient pas le feu nucléaire si leurs intérêts fondamentaux (le territoire américain) n’étaient pas touchés, ce n’était plus le cas avec le général qui s’était bien gardé de définir une « ligne rouge » identifiable par l’« ennemi conventionnel. »

À noter qu’à la demande de l’état-major, la France s’est dotée d’armes nucléaires tactiques mais cette option a ensuite été abandonnée au profit du « préstratégique » (frappe de « dernier avertissement ») puis du « stratégique.»

Il ne faut pas se faire d’illusions, même aujourd’hui, les menaces nucléaires des États-Unis pour défendre les « autres » ne sont pas crues par leurs adversaires car considérées comme le plus grand bluff de l’Histoire d’après guerre.

Même acculés, les Américains n’ont pas utilisé l’arme nucléaire lors de la guerre de Corée ni, bien sûr, lors de celle du Vietnam.

La menace a été chaude quand les Soviétiques voulaient installer des missiles à Cuba mais ils auraient alors – faute suprême – directement menacé le territoire américain.

 

Quant aux bombes thermonucléaire B61-12 qui doivent prendre le relai des B61-3/4 dans les pays de l’OTAN détenteurs – il faut rappeler que ces armements sont à « double clef », une pour l’OTAN, une pour la Maison-Blanche – elles permettent aux militaires de se livrer à de savants exercices comme dans le « désert des Tartares. »

En effet, elles ne pourraient être employées que si les États-Unis étaient attaqués directement. De plus, leurs capacités de pénétration sur le territoire russe restent sujet à caution. Les missiles intercontinentaux et de croisière sont beaucoup plus performants.

Ce qui est inquiétant, c’est que nombre d’intellectuels, de chercheurs et journalistes se sont emparés du sujet de l’arme nucléaire la présentant comme « employable. » Ils n’ont pas vécu l’époque où tous les responsables savaient que c’était l’arme du « non emploi » (qui a mis à l’abri l’Europe de tout conflit majeur pendant plus de 80 ans – un miracle -) car il n’y aurait pas de vainqueurs ni de vaincus, que des morts et des cadavres ambulants…

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Texte

Alain Rodier