Suite à la dégradation dramatique de la situation sécuritaire en Haïti provoquée par une véritable insurrection menée par les gangs omniprésents (1), le Premier ministre haïtien Ariel Henry se retrouve bloqué depuis le 5 mars à Porto Rico. Il est arrivé dans la capitale San Juan en provenance du New Jersey aux États-Unis où il avait fait escale après un voyage qui l’avait amené d’abord à un sommet régional en Guyane avant de se rendre au Kenya. Là, il avait signé un accord sur le déploiement d'une force de police multinationale en Haïti.

Mais la violence en Haïti s’est intensifiée durant de son absence, des gangs armés tentant de s’emparer de l’aéroport international pour l’empêcher d’atterrir.

Leur chef, Jimmy « Barbecue » Chérizier, avait ordonné au Premier ministre de démissionner sinon le pays se dirigerait « directement vers une guerre civile qui mènerait au génocide. »

L’avion d’Ariel Henry qui devait revenir à Haïti a donc été contraint de se dérouter vers Porto Rico après s’être vu refuser l’entrée dans son pays et en République dominicaine.

Pendant son absence, la coalition de gangs dirigée par Chérizier est passée à l’offensive, attaquant des commissariats de police et prenant d’assaut deux des plus grandes prisons d’Haïti permettant à quelques 4 000 détenus de s’évader.

Maintenant, les gangs contrôlent 80% de la capitale et de nombreuses régions du pays. Ils y font régner la terreur en diffusant des vidéos les montrant enlevant des civils dont des religieuses et en torturant ceux qui leurs résistent.

La République dominicaine a annoncé le 5 mars la fermeture de son espace aérien avec son voisin avec lequel elle partage l’île d’Hispaniola. Le dirigeant du pays, Luis Abinader, a récemment déclaré que des mesures seraient prises pour garantir le maintien d’un niveau de « paix et de contrôle » à sa frontière terrestre.

En Haïti où l’état d’urgence a été proclamé, des soldats ont été déployés pour défendre plusieurs aérodromes du pays dont l’aéroport international Toussaint Louverture de Port-au-Prince. Les administrations, les écoles et les universités restent fermées.

 

Contexte politique

Ariel Henry, Premier ministre avait prêté serment après l’assassinat du président haïtien, Jovenel Moïse, en 2021 par des mercenaires colombiens (2).

Haïti devait organiser des élections et M. Henry céder le pouvoir avant le 7 février, mais cela n’a pas eu lieu. Des milliers de personnes sont alors descendues dans la rue pour exiger qu’il s’en tienne au plan négocié par les différents partis politiques.

Dans un pays sans président ni parlement et où aucune élection n’a eu lieu depuis 2016, la question de son remplacement reste cruciale.

L’ambassadrice américaine à l’ONU, Linda Thomas-Greenfield, a déclaré le 6 mars : « nous avons demandé au Premier ministre haïtien d’avancer vers un processus politique qui conduira à la mise en place d’un organe présidentiel de transition qui mènerait à des élections […] Il est urgent qu’il aille dans cette direction et permette aux Haïtiens de retrouver une vie normale. »

 

De son côté, M. Henry a demandé à la communauté internationale d’envoyer des troupes pour aider à combattre ces gangs – mais jusqu’à présent sans effet sur le terrain.

Sa récente visite au Kenya visait à sauver un accord visant à déployer environ 1.000 policiers en Haïti, après que la Haute Cour du Kenya ait bloqué ce plan en janvier.

Les Bahamas et le Bénin se sont engagés à envoyer des troupes, tandis que la Jamaïque et l’État d’Antigua-et-Barbuda se sont déclarés prêts à apporter leur aide.

Les États-Unis ont promis  200 millions de dollars pour soutenir le déploiement.

L’ONU devrait également participer au financement d’une force internationale. Volker Türk, le Haut-Commissaire des Nations unies pour les droits humains a déclaré : « la réalité est telle que, dans le contexte actuel, il n’y a pas d’alternative pour protéger la vie des gens. »

 

Non seulement Haïti est en proie à des troubles civils et politiques généralisés, mais son économie est exsangue. Le résultat est que 5,5 millions d’Haïtiens, soit près de la moitié de la population, ont besoin d’assistance humanitaire. Selon l’ONU, l’escalade des derniers jours a poussé quelques 15.000 personnes à fuir leur domicile de Port-au-Prince.

1. Voir : « GUERRE DES GANGS À HAÏTI » du 27 novembre 2023.

2. Voir : « HAÏTI : QUI EST DERRIÈRE L’ASSASSINAT DU PRÉSIDENT JOVENEL MOÏSE ? » du 12 juillet 2021.

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Texte

Alain Rodier