Le 28 février 2024, la région sécessionniste pro-russe de Transnistrie a appelé via son Congrès des députés les deux chambres du parlement russe à « protéger la Transnistrie face à la pression croissante » de la Moldavie, étant donné que « plus de 220 000 citoyens russes résident en permanence dans la région. »

Les rumeurs de la tenue d’un référendum qui courraient depuis quelques jours se sont révélées être une fausse information. Ou alors, ce sont les dirigeants de cette cet État autonome autoproclamé en 1990 (mais reconnu par aucun pays de l’ONU) qui ont voulu se rappeler aux bons souvenirs du Kremlin qui finance la vie de ses concitoyens. La rumeur prétendait que le président Vladimir Poutine pourrait, en réponse, déclarer l’annexion de la Transnistrie par la Russie lors de son discours à l’Assemblée fédérale russe le 29 février. Il n’en rien été.

Cependant ? il est à noter qu’il a forcé le ton en déclarant : « Aujourd’hui, je vais vous parler pour l’avenir et pour nos objectifs stratégiques […]  Les pays occidentaux « doivent comprendre que, nous aussi, avons des armes capables d’atteindre des cibles sur leur territoire […] Tout ce qu’ils inventent en ce moment, ce avec quoi ils effraient le monde, tout cela constitue une réelle menace d’un conflit avec une utilisation d’armes nucléaires, ce qui signifie la destruction de la civilisation. »

Contexte

La Moldavie est un ancien État soviétique situé entre la Roumanie et l’Ukraine avec une population d’environ 2,6 millions d’habitants. Le parlement moldave est majoritaire pro-occidental, et la présidente moldave pro-occidentale Maia Sandu a obtenu pour son pays le statut de candidat en juin 2022.

Le Kremlin considère cette démarche comme inacceptable tout comme il a considéré l’accord d’association de l’Ukraine avec l’UE en 2014 comme inacceptable.

La Transnistrie est une région sécessionniste pro-russe de l’est de la Moldavie peuplée d’environ 465.000 habitants qui ont unilatéralement déclaré leur indépendance vis-à-vis de la République socialiste soviétique de Moldavie en 1990. Depuis, la Russie a distribué plus de 200.000 passeports russes à des citoyens de Transnistrie.

Depuis la fin de la guerre de 1990-1992 qui fit des centaines de victimes, l’armée russe y maintient la présence de deux bataillons de fusiliers motorisés (83ème et 113ème ), un bataillon de sécurité et d’appui, un détachement d’hélicoptères et des unités administratives dépendant du district militaire occidental.

La Transnistrie souhaite être annexée par la Russie depuis 2006. Un référendum allant dans ce sens a eu lieu cette année là (99% de « pour ».)

Le président actuel de la Transnistrie, Vadim Krasnoselsky (ouvertement monarchiste et anticommuniste), a réaffirmé l’engagement continu de la Transnistrie à mettre en œuvre le référendum de 2006 en vue de rejoindre la Russie en janvier 2023, ce qui n’a pas eu lieu.

Mais Tiraspol (capitale de la Transnistrie) demande de l’aide à la Russie contre les menaces soi-disant croissantes de l’OTAN tout en dénonçant des risques « de terrorisme » depuis mai 2023.

De son côté, le président Vladimir Poutine définit l’identité russe en partie comme un « monde russe » plus large (« Russkiy Mir ») qui comprend les personnes vivant sur d’anciens territoires de l’Union soviétique et de l’Empire russe indépendamment de leur appartenance nationale ou religieuse. Cette définition inclut les « compatriotes à l’étranger » en Moldavie et en Transnistrie.

Le Kremlin a utilisé ce concept pour justifier l’invasion de l’Ukraine censée défendre des « compatriotes à l’étranger » dans ce pays comme cela avait le cas en Transnistrie en 1990-1992.

Le Kremlin cherche à utiliser la Transnistrie pour faire dérailler le processus d’adhésion de la Moldavie à l’UE … entre autres choses.

Les responsables occidentaux ont mis en garde contre une éventuelle opération hybride russe contre la Moldavie depuis le début de 2023.

CNN a rapporté en mars 2023 que les responsables de la Maison Blanche pensent que les personnes russes liées au renseignement prévoient d’organiser des manifestations contre le gouvernement moldave dans l’intention de fomenter une « insurrection fabriquée » pour installer une administration pro-russe en Moldavie

Le ministre russe des Affaires étrangères Segueï Lavrov a déclaré le 14 février 2024 que les États-Unis et l’Union européenne contrôlaient le gouvernement moldave.

Il a aussi affirmé que l’Occident avait mis fin au processus de négociations portant sur la Transnistrie dit «  5/2 » comprenant la Russie, l’Ukraine, la Transnistrie, la Moldavie et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en tant que médiateurs et l’UE et les États-Unis en tant qu’observateurs.

En effet, le vice-premier ministre moldave, Oleg Serebrian, avait déclaré le 28 janvier que la Moldavie ne reviendrait pas au processus des « 5/2 » tant que les relations russo-ukrainiennes ne s’amélioreraient pas et que la guerre de la Russie en Ukraine se poursuivrait.

Historiquement, le Kremlin a dominé l’orientation géopolitique de la Moldavie par le biais de de la mise en avant de politiciens pro-russes. En particulier, l’oligarque israélo-moldave Ilan Șor est la  principale figure de l’opposition pro-Moscou au gouvernement de Maia Sandu.

Depuis le 26 octobre 2022, il est visé par les sanctions du Département du Trésor américain pour « association » avec le gouvernement russe. Le 31 mai 2023, l’Union européenne impose à son tour des sanctions à son encontre en raison de son « association » avec le gouvernement russe et de son rôle dans des troubles pro-russes en Moldavie. Son parti (Parti Șor) est interdit le 19 juin 2023 et il est lui-même placé en résidence surveillée.

Une autre personnalité intéressante à suivre est l’oligarque Viktor Gushan alias « le Sheriff de Transnistrie » qui possèderait plus de 60% des biens régionaux via ses  chaînes de supermarchés, des sociétés de télécommunications et l’équipe de football « Sheriff Tiraspol. »

Il se fait discret mais il a au minimum la nationalité russe, moldave et ukrainienne. Sa fortune estimée à deux milliards de dollars est répartie en Transnistrie, en Ukraine, en Allemagne et sans doute ailleurs…Il est soupçonné par les autorités modlave d’avoir des relations avec le crime organisé russe.

 

Réalité opérationnelle

Toutes intervention militaire russe serait très difficile pour Moscou puisque la Moldavie et la Transnistrie sont enclavées et uniquement accessibles par les territoires roumain et ukrainien.

Toute intervention terrestre est exclue car le port d’Odessa – qui aurait pu constituer une base de départ – n’est jamais tombé aux mains des Ruses.

Les forces russes actuellement en Transnistrie ne sont pas capables de poser une menace militaire significative pour l’Ukraine sans recevoir des renforts conséquents, ce qui relève de l’impossible. Elles pourraient constituer une menace plus importante pour la stabilité de la Moldavie mais aucun indicateur d’alerte n’a pour le moment signalé une situation anormale.

Selon Washington, la Transnistrie peut juste mener une guerre hybride contre la Moldavie afin d’y provoquer une crise politique importante.

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Texte

Alain Rodier