Alors que l’armée russe est engagée dans son « opération spéciale » en Ukraine, elle cherche à en tirer les leçons opérationnelles et tactiques pour l’avenir. Les analystes russes étudient ce qui s’est passé sur le terrain jusqu’à maintenant en Ukraine (Retex) mais ils tirent des enseignements d’ un autre champ de bataille qui s’est dévoilé depuis octobre 2023 dans la bande de Gaza. Il est vrai que les opérations menées par Tsahal retiennent toute l’attention des stratèges russes - comme des autres -.

Pour les analystes russes, Tsahal qu’ils présentent comme « une des meilleures au monde en termes d’expérience et d’entraînement au combat » est confronté  à « un ennemi motivé mais très faiblement armé. Il y a même une pénurie d’armes d’infanterie modernes. »

Toujours selon eux, malgré le rapport de forces qui semble extrêmement favorable à Israël, « les combats se poursuivent depuis plusieurs mois. Il n’y a pas encore de résultats et l’issue du conflit n’est pas claire. De plus, les pertes des forces armées israéliennes dans cette guerre sont plus importantes que dans certains conflits majeurs de l’époque de la Guerre froide. Cela indique que les changements accumulés dans la technologie militaire ont modifié la nature des opérations de combat. – Apparemment, la science militaire ne s’est pas encore adaptée à cela et aucun moyen de sortir de l’impasse actuelle n’a été trouvé. – D’ailleurs, lors de la Seconde Guerre du Liban en 2006 au cours de laquelle les Israéliens ont mené une offensive de longue haleine contre les positions du mouvement Hezbollah, le rythme de progression a été très lent avec des pertes importantes de véhicules blindés. Ils n’ont pas réussi à vaincre l’ennemi. C’est aussi une démonstration de la façon dont les choses ont changé. »

Il est évident que ces analystes tendent à démontrer que l’armée russe ne se « débrouille pas si mal que cela en Ukraine » contre un adversaire beaucoup plus nombreux et qui possède des armements sophistiqués.

Mais plus généralement, ils reviennent aussi sur quelques faits intéressants.

Ainsi, ils estiment également que les caractéristiques des blindés qui ont été conçus pour un conflit majeur en centre-Europe du temps de la Guerre froide ne répondent plus aux critères actuels.

À savoir qu’ils étaient surtout protégés sur l’avant alors que les menaces actuelles sont omnidirectionnelles.

Drone Lancet frappant un Abrams ukrainien

Les capacités de tir des chars de bataille qui dépassent parfois les trois/quatre kilomètres sont illusoires, la majorité des engagements se faisant à quelques centaines de mètres (moins encore à Gaza.)

Certes ces chars ont été particulièrement efficaces dans le désert irakien mais ce dernier offrait des vues à longue distance que l’on ne retrouve pas en centre-Europe.

Cela dit, les engins blindés ne font pas la différence en dehors de leur nombre. Il n’existe aucun exemple significatif montrant que l’introduction de blindés occidentaux en Ukraine à la place des anciens types de véhicules blindés soviétiques – techniquement totalement surclassés – ait modifié la situation sur le champ de bataille.

Les erreurs russes

Enfin, les analystes russes reconnaissent un certain nombre d’erreurs commises dans le passé. L’industrie militaire a suivi la tendance générale en développant des armements très sophistiqués – mais extrêmement chers – au détriment des équipements classiques qui sont venus à manquer sur le champ de bataille.

Le meilleur exemple de cette gabegie est le croiseur à propulsion nucléaire Amiral Nakhimov: projet 1144 classe Kirov entièrement modernisé pour un coût exorbitant mais … parfaitement inutile dans les conditions actuelles…

Ils estiment même que les crédits accordés au char T-14 Armata auraient été beaucoup mieux employés au développement du T-90M. Des chaînes d’assemblage sont beaucoup plus faciles à mettre en œuvre car ce char n’est que la suite des anciens T-72B et à des prix raisonnables. Comme évoqué plus avant, l’important n’est pas tant la sophistication (les combats char contre char sont extrêmement rares) mais le nombre.

Et la suite ?

Pour l’avenir à court terme, les analystes russes craignent que si l’Ukraine est déstabilisée à l’intérieur et que ses défenses commencent à s’affaiblir fortement sur le front, les forces de l’OTAN ne se déploient dans les régions occidentales du pays pour tenter de geler la situation. Pour les Russes, il est tout à fait possible que le vaste exercice « Steadfast Defender 2024 » (22 janvier au 31 mai 2024) mené officiellement pour repousser une attaque russe contre l’OTAN ne soit qu’une préparation à un tel scénario.

Le danger d’un affrontement direct OTAN/Russie sera alors inexorable avec les risques d’escalade (nucléaire ?) que cela représente.

Et à plus long terme, même après la fin de la guerre en Ukraine (dont personne ne connaît la forme), la confrontation avec l’Occident ne sera pas terminée tant que le risque de conflits militaires à grande échelle perdurera.

Pour les analystes russes, il est clair qu’il faudra que Moscou accepte une certaine « militarisation » de la société et de l’économie.

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Texte

Alain Rodier