Le major Hennadiy Chastiakov, conseiller auprès le chef des forces armées ukrainiennes, le général Valéri Zaloujny, a été tué le 6 novembre à son domicile par une grenade à main.

Son fils de 13 ans a été grièvement blessé. Son épouse et sa fille de 11 ans, qui fêtait également l’anniversaire, ont été plus légèrement touchées.

Le ministre de l’Intérieur, Ihor Klymenko, a déclaré que le major était rentré chez lui avec des cadeaux offerts par ses collègues à l’occasion de son 39ème anniversaire. Ce serait le colonel Alexander Timchenko qui aurait offert une bouteille de whisky accompagnée de six grenades  à main d’origine allemande pouvant être confondues avec un service à verres (certes très « spécial ») avec le mot suivant : « Il est difficile de vous surprendre, donc je vous donne des grenades de combat et une bouteille de bon whisky ».

La particularité de cette grenade à corps en plastique est sa polyvalence. Il s’agit d’une grenade offensive et défensive en une seule. Avec une couverture de fragmentation – une grenade pour le combat défensif (6.500 billes en acier d’un diamètre de 2 mm) avec un rayon de fragmentation mortel de 10 m. Retirez le couvercle – obtenez une grenade pour un combat offensif sans fragments.

Lors de l’ouverture des paquets, le fils de l’officier ukrainien aurait commencé à jouer avec une des grenades. Selon la police, « ensuite, le militaire a pris la grenade des mains de l’enfant et a tiré sur la goupille provoquant une tragique explosion ». Le ministre de l’intérieur a appelé à attendre les résultats de l’enquête officielle ouverte.

Pour le bureau du procureur, l’explosion qui s’est produite dans l’appartement familial à Chaiky dans la banlieue ouest de Kiev, est « le résultat d’une manipulation imprudente des munitions ». Cinq autres grenades ont été trouvées à proximité des paquets cadeaux.

Apprenant la nouvelle, le général Valéri Zaloujny a parlé d’une « douleur indescriptible » et d’« une lourde perte pour l’armée ukrainienne et pour lui-même personnellement ». Il a annoncé plus tard qu’une enquête en cours permettrait de certifier si l’officier, un homme bénéficiant de toute sa confiance, avait été assassiné ou était mort accidentellement « dans des circonstances tragiques ».

Mais cette explosion a déclenché toutes sortes de spéculations en Ukraine.

Au ministère de l’intérieur, la possibilité d’une attaque russe par le biais d’agents infiltrés a même été envisagée.

De son côté, la députée de la majorité présidentielle Maryana Bezulha a déclaré que la mort du major Chastiakov était due à la négligence : « Je n’aurais jamais pensé qu’Hennadiy mourrait par négligence le jour de son propre anniversaire. Les grenades sont distribuées et non offertes en cadeau ».

Trois options sont possibles : un règlement de comptes intérieur, une actions des services secrets russes et enfin le tragique accident.

En faveur de la première option, la semaine dernière, le général Valéri Zaloujny a donné une évaluation sans détour de la situation sur les lignes de front ukrainiennes face aux forces d’invasion russes. « Tout comme lors de la Première Guerre mondiale, nous avons atteint un niveau technologique qui nous met dans une impasse […] Il n’y aura probablement pas de percée profonde et belle ».

Le président Volodymr Zelensky a immédiatement nié que la guerre était dans une impasse : « aujourd’hui, les gens sont fatigués, tout le monde est fatigué et il y a des opinions différentes. C’est clair, mais il n’y a pas d’impasse ». Il a appelé les Ukrainiens à « se ressaisir, à éviter de se détendre et de se diviser en conflits ou en d’autres priorités ». Il a également annoncé que « ce n’est pas le bon moment » pour les élections présidentielles qui doivent avoir lieu au printemps prochain, car l’Ukraine est en guerre et soumise à la loi martiale. Il a été élu en 2019.

Dans cette ambiance délétère, certains auraient pu avoir pour idée d’envoyer un « signe » au général Valéri Zaloujny en tuant un de ses fidèles.

La deuxième option serait une réponse des services secrets russes à la tentative d’assassinat dont a été victime début septembre le major-général du FSB Yuri Afanasevskii au cours de laquelle lui et son fils ont été gravement blessés à leur domicile à Louhansk. L’épouse de l’officier aurait aussi été touchée mais moins gravement.

Des sources russes soupçonnent les services secrets ukrainiens (SBU) d’avoir placé de l’explosif dans un téléphone portable qui a été remis au général par une femme. La commission d’enquête russe a déclaré qu’elle lui avait donné « un téléphone portable avec un engin explosif qui a été déclenché après l’activation du téléphone  […] L’agresseur est arrêtée, elle a déjà avoué ».

Afanasevskii travaillait comme chef des douanes dans la région de Louhansk en Ukraine

Enfin, il reste la thèse de l’accident. Le major a pu croire que les six grenades qui accompagnaient la bouteille de Johnny Walker étaient un service de verres à whisky « un peu original » et ne pas se rendre compte que les grenades étaient bien réelles. Ce serait un « accident bête » sachant que les « accidents intelligents » n’existent pas !

Mais le fait que son ami colonel Timchenko ait possédé chez lui des grenades (deux autres ont été trouvées à son domicile par les enquêteurs) et en ait distribué sans y accorder beaucoup d’importance est un grave signe d’incompétence et de laisser-aller pour un ministère de la défense ukrainien en proie à des affaires de corruption, au point d’avoir conduit au limogeage récent de son ministre Oleksiy Reznikov.

Ce n’est pas non plus le meilleur moment pour l’exécutif de Zelensky qui fait l’objet le 8 novembre d’un nouvel examen de la part de l’Union européenne sur ses progrès dans la lutte contre la corruption et qui est également soumis à une surveillance internationale constante sur l’utilisation et la destination des armes envoyées par l’Union européenne (par exemple, les 100.000 grenades à main allemandes).

Enfin, ce drame vient s’ajouter à une frappe de missile russe qui a tué le 3 novembre au moins 19 militaires lors d’une cérémonie de remise de décorations près de la ligne de front dans la région sud de Zaporijia.

De nombreuses critiques avaient été formulées selon lesquelles la cérémonie se déroulaient dans une zone dangereuse et que les autorités étaient en très en retard… Malheureusement, ce n’a pas été le cas pour les Russes…

Enfin, le président Zelensky a licencié le général iktor Oleksandrovych Khorenko, le commandant des forces spéciales à la demande du nouveau ministre ukrainien de la Défense, Roustem Oumerov (1).

Les forces spéciales ukrainiennes sont l’une des unités militaires aujourd’hui les plus célèbres en Europe. Des efforts et des ressources considérables ont été investis dans la création et la formation de cette unité. Or il apparaîtrait que son efficacité n’est pas proportionnelle à sa force, ses coûts et son statut.

Malgré ses victoires proclamées dans les médias ukrainiens, les faits et les actions des plus hauts gradés semblent même suggérer le contraire.

En cette période de doutes, toutes ces affaires commencent à peser lourd à Kiev et préparent un sinistre hiver. Le printemps verra peut-être la tendance s’inverser.

 

1. Voir : « Nouveau ministre de la défense ukrainien » du 6 septembre 2023.

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Texte

Alain Rodier