Dans un discours enflammé diffusé en vidéo le 03 novembre 2023 depuis un lieu tenu secret, le secrétaire général du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah, n’a pas promis d’escalade immédiate et à grande échelle des hostilités sur le front nord avec Israël.

Pour lui, toute réponse future dépendra de ce qui se passera à Gaza et du niveau des attaques lancées par Israël sur le Sud-Liban.

À noter qu’il n’a pas évoqué une réaction possible aux très fréquents bombardements israéliens en Syrie alors qu’un fort corps expéditionnaire du Hezbollah s’y trouve et qu’il en est majoritairement la cible.

Dans sa diatribe très attendue mondialement – on peut s’étonner de cette audience accordée au chef d’un mouvement considéré comme « terroriste » (ou sa branche militaire, le « Conseil du Jihad ») par de nombreux États et organisations internationales comme la Ligue arabe –  Nasrallah a déclaré que toutes les options étaient sur la table dans ce qu’il a appelé une doctrine de « l’ambigüité constructive ».

Il a reconnu que l’une des raisons pour lesquelles le Hezbollah ne s’est pas pleinement lancé dans la guerre est qu’il n’est pas encore préparé : « Nous n’avons pas atteint la phase de victoire par KO […] Nous devons être réalistes ».

Il est évident que ces propos renvoient à la guerre de 2006 qui, si elle n’a pas constitué une franche victoire pour Tsahal, a été catastrophique pour la structure militaire du Hezbollah certes reconstruite depuis. Ainsi, les Israéliens estiment qu’il aurait en stock quelques 130.000 roquettes et missiles divers alors qu’il n’en n’avait que 16.000 avant la guerre de 2006 (il en avait tiré 4.000 en 34 jours de conflit).

Nasrallah a néanmoins souligné que le Hezbollah était passé à l’action contre Israël dès le 8 octobre, le lendemain du lancement par le Hamas de l’opération « tempête Al Aqsa ».

Il a ajouté que les affrontements cours le long de la frontière libanaise privaient Tsahal de ressources militaires pour les combats de Gaza et créaient une pression psychologique sur la population israélienne. À savoir que pour lui, la moitié de l’armée israélienne, la moitié de ses défenses antimissiles et un quart de son armée de l’air sont réparties le long de la frontière avec le Liban en raison de la poursuite des combats et en prévision d’une implication totale du Hezbollah. De plus, des dizaines de milliers d’Israéliens ont dû quitter les communautés frontalières, ce qui a entraîné des tensions sociétales supplémentaires. Dans les faits, plusieurs villages et la ville de Kiryat Shmona (25.000 habitants) ont été évacués.

Nasrallah a affirmé que le Hamas avait entièrement planifié son opération sans le prévenir ni Téhéran. Il a même parlé de « surprise choquante ». Par là, il tente d’exonérer le Hezbollah et l’Iran de toute responsabilité dans les atrocités commises le 7 octobre par le Hamas.

Il ne trompe pas les observateurs avertis car les échanges tactico-stratégiques entre Téhéran, le Hezbollah (qui peut être assimilé à une « courroie de transmission ») et le Hamas sont permanents – même s’il y a eu une période brouille qui a duré de 2012 à 2019 en raison du soutien surprenant du Hamas aux rebelles syriens -.

En 2021, un état-major conjoint avait même été monté entre le Hamas et le Hezbollah pour coordonner la « bataille de Saif al-Quds » qui a duré onze jours.Quelques 4.360 roquettes avaient été tirées depuis la bande de Gaza, le système « Dôme de fer » parvenant à en intercepter plus de 90%. Tsahal avait répliqué en effectuant 1.500 frappes aériennes, terrestres et maritimes sur la bande de Gaza. Les Palestiniens avaient eu environ 272 morts et les Israéliens 30. C’est à se demander si ce n’était pas la répétition de l’opération du 7 octobre 2023…

Los de son discours, Nasrallah a dirigé une grande partie de sa colère contre l’Amérique, affirmant qu’elle était le principal partisan d’Israël et qu’elle était responsable de « tous les meurtres, massacres et barbaries en cours » à Gaza.

Le chef du Hezbollah a verbalement visé les forces militaires américaines dans la région, affirmant qu’elles continueraient d’y être attaquées : « Les États-Unis doivent être tenus responsables et payer le prix des crimes perpétrés par Israël à Gaza, c’est pourquoi les mouvements de résistance ont attaqué et continueront d’attaquer les forces américaines en Irak et en Syrie ».

Il fait référence aux milices chiites présentes en Syrie et en Irak qui sont soutenues par Téhéran.

Il a ajouté que les forces américaines paieraient un lourd tribut à toute action directe qui serait menée contre son organisation : « vos navires, que vous utilisez pour nous menacer, nous avons également préparé de les frapper ». Il fait allusions aux deux groupes aéronavals emmenés par les porte-avions USS Dwight D. Eisenhower et USS Gerald R. Ford.

Le Hezbollah possède des missiles de croisière antinavires C-701, C-802 et potentiellement une douzaine de missiles supersoniques Yakhont P-800. Mais il semble que cela ne soit pas suffisant pour représenter un risque important pour la flotte américaine.

Le contre-amiral Daniel Hagari, le principal porte-parole des Forces de défense israéliennes (FDI) avait déclaré avant le discours de Nasrallah qu’Israël était prêt à toute éventualité sur le front nord, mais que l’attention restait dirigée sur Gaza : « Nous sommes à un niveau élevé de préparation, à la fois défensif et offensif, avec un haut niveau de vigilance pour réagir à tout évènement qui se produirait à la frontière nord aujourd’hui et dans les jours à venir […] L’Iran continue de mener des activités subversives et négatives et pousse ses mandataires – en son nom – avec des armes iraniennes qu’il leur envoie, exactement comme en Ukraine, au Yémen et en Irak contre les troupes américaines. C’est ce qu’ils essaient de faire contre l’État d’Israël. Ils essaient de nous détourner de notre guerre à Gaza. Nous continuerons à nous concentrer sur cette dernière ».

Ne pas oublier que les troubles qui se déroulent en Cisjordanie et qui auraient fait plus de 150 tués parmi les Palestiniens sont aussi un souci pour l’État hébreu.

En conclusion, Téhéran – et sa créature  Hezbollah – ne sont pas prêts à un affrontement général contre Israël qui entraînerait mécaniquement l’entrée en jeu des États-Unis. Comme l’a bien dit Nasrallah, il convient de rester « réaliste ». Il semble que le Hamas a été « sacrifié » par Téhéran pour arrêter le processus de normalisation entre Israël et les pays arabes et en particulier avec l’Arabie saoudite.

Le régime en place à Téhéran a de sérieux problèmes sociaux et même existentiels à régler à l’intérieur.

Le Hezbollah se retrouve en position d’arbitre politique majeur au Liban.

Pour ces deux entités, ce n’est pas le moment de se lancer dans une confrontation généralisée qui n’est pas leur intérêt actuel. Toutefois, cette analyse est basée sur des critères coût/efficacité qui sont purement occidentaux. C’est ce qui avait fait dire en son temps que ce n’était pas de l’intérêt du président Vladimir Poutine d’envahir l’Ukraine. Et pourtant, il l’a fait…

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Texte

Alain Rodier