Le 9 août 2023, le candidat centriste à la présidentielle et ancien journaliste de 59 ans Fernando Villavicencio qui avait fait de la lutte anti-corruption son cheval de bataille a été assassiné par balles par un commando de tueurs à gages colombiens à Quito (1) alors qu’il sortait d’une réunion électorale. Un des protagonistes avait été neutralisé par ses gardes du corps et six suspects avaient été immédiatement appréhendés.

Le 6 octobre, ces six prévenus ont été tués à leur tour alors qu’ils étaient incarcérés dans la prison Guayas 1 du pénitencier dit « du Litoral » à Guayaquil, dans le sud-ouest du pays.

Le 7 octobre, le ministère public a annoncé la mort d’un septième détenu dans la prison d’El Inca à Quito. L’autorité pénitentiaire a précisé, dans un communiqué, que le prisonnier était également « lié » à l’assassinat de Fernando Villavicencio. Les circonstances de sa mort n’ont pas été précisées.

Le président équatorien Guillermo Lasso qui était en déplacement à New York avant de se rendre en Corée du Sud, est rentré aussitôt pour faire face à « l’urgence ». Il a tenu une réunion avec les plus hauts responsables de la sécurité. Il a précisé que sa politique serait : « Ni complicité, ni dissimulation. Ici, la vérité sera connue ». Conclusion, son gouvernement a procédé à une « réorganisation » de la police en destituant son chef, le général Fausto Salinas le remplaçant par le général César Zapata. Le directeur des enquêtes de la police, le général Alain Luna, et le directeur de l’autorité carcérale Luis Ordoñez ont également été démis de leurs fonctions.

Au total, une dizaine de personnes avaient été arrêtées au cours de l’enquête qui avait suivi l’assassinat de Villavicencio.

L’administration pénitentiaire a indiqué dans un communiqué que « les six personnes privées de liberté (PPL) mortes » dans la prison de Guayas 1 à Guayaquil « sont de nationalité colombienne et étaient inculpées pour l’assassinat de l’ex-candidat à la présidentielle Fernando Villavicencio ».

Dans un premier temps, les autorités avaient fourni peu de détails sur cette tuerie. Le parquet avait fait savoir que « face aux troubles survenus vendredi 6 après-midi », du personnel militaire spécialisé avait pénétré dans le pavillon 7 de la prison Guayas 1, où auraient démarré les violences, pour « prendre la situation en main ». C’est là où les corps des détenus colombiens ont été retrouvés.

Guayas 1, qui accueille quelques 6.800 pensionnaires, est l’une des cinq prisons de l’immense complexe pénitentiaire de Guayaquil. Depuis 2021, plus de 430 détenus ont péri, parfois démembrés ou brûlés, lors d’affrontements entre gangs qui défendent leurs « territoires » dans les prisons.

Le président Lasso a décrété en juillet l’état d’urgence dans les prisons, ce qui permet notamment d’y déployer l’armée. Cette mesure, prise à la suite d’un massacre particulièrement effroyable qui avait fait des dizaines de morts à Guayas 1, a été prolongée jusque fin octobre.

Selon des médias locaux, le pavillon 7 de la prison est contrôlé par le groupe « Los Aguilas ».

Ce nom était déjà apparu en 2021 lors des premiers massacres survenus dans les prisons d’Équateur et son « logo » – un aigle, l’image qui les identifie – est toujours visible sur plusieurs murs du pénitencier du Litoral. Los Aguilas ferait partie du gang criminel « Los Choneros », l’une des organisations narcocriminelles les plus puissantes du pays dirigée par Junior Alexander Roldán Paredes alias « JR ». Il aurait plus de 20 homicides à son actif. Il est incarcéré depuis 2009 pour meurtre mais les autorités présument qu’il continue à diriger son organisation depuis sa cellule.

Los Aguilas jouent un rôle logistique et opérationnel dans le cadre de leur alliance avec Los Choneros dirigé jusqu’en 2020 par Jorge Luis Zambrano alias « JL » assassiné dans un centre commercial de Manta en décembre 2020 vraisemblablement par des hommes de main (sicarios) de Junior Alexander Roldán Paredes.

Los Aguilas compterait plus de 1.500 membres en liberté et environ 2.000 en détention.

Ce gang s’est allié aux « Fatales » fondé par Adolfo Macías Villamar alias Fito pour prendre le pouvoir dans l’ensemble des prisons équatoriennes.

Enfin, les membres de Los Aguilas tiendraient déjà les pavillons 3, 6 et 7 de la prison Guayas 1 du pénitencier du Litoral.

Ce sextuple meurtre intervient un peu plus d’une semaine avant le second tour de l’élection présidentielle prévu le 15 octobre qui verra s’affronter Luisa Gonzalez, héritière de l’ex-dirigeant Rafael Correa, et le fils de milliardaire Daniel Noboa. Le remplaçant de Villavicencio, Christian Zurita a été éliminé au premier tour.

Villavicencio était un farouche opposant de l’ex-président de gauche Rafael Correa (2007-2017), qu’il avait envoyé sur le banc des accusés grâce aux révélations d’une de ses enquêtes journalistiques. Réfugié en Belgique, M. Correa a été condamné par contumace à huit ans de prison pour corruption.

La veuve de M. Villavicencio et ses proches ont directement mis en cause – mais sans présenter de preuve – le camp Correa, l’accusant d’avoir des « liens avec des bandes criminelles ».

Cela n’explique pas qui peut avoir commandité l’assassinat des neuf prévenus mais la piste d’un « contrat » exécuté par des sicarios du gang Los Aguilas est suivie par les enquêteurs.

Autrefois considéré comme un îlot de paix en Amérique latine, l’Équateur, situé entre la Colombie et le Pérou, les deux plus gros producteurs mondiaux de cocaïne, est frappé ces dernières années par une vague de violences sans précédent liée au crime organisé et au narcotrafic (2).

Dans ce pays de près de 17 millions d’habitants, le taux d’homicides a explosé. Il a quadruplé entre 2018 et 2022 pour atteindre un record de 26 pour 100.000 habitants. Selon des experts, ce taux pourrait grimper jusqu’à 40 pour 100.000 habitants en 2023.

 

1. Voir : « Tueurs à gages et mercenaires colombiens » du 16 août 2023.

2. Voir : « Équateur. Nouveau hub de la cocaïne » du 17 août 2023.

Publié le

Texte

Alain Rodier