Anthony Rota, le président du Parlement (speaker) canadien a démissionné quelques jours après avoir rendu hommage à un homme qui a combattu dans une unité nazie pendant la Seconde Guerre mondiale lors de la visite du président ukrainien Volodimir Zelenski à la Chambre des communes la semaine dernière.

S’adressant aux législateurs canadiens à Ottawa mardi après-midi, le président Anthony Rota a déclaré qu’il démissionnait « le cœur lourd ». Il a ajouté : « cette Chambre est au-dessus de chacun d’entre nous. Par conséquent, je dois me retirer de mon poste de président ».

Il avait invité Yaroslav Hunka à la session parlementaire extraordinaire le 22 septembre à la Chambre des communes, où il l’a qualifié de « héros ukrainien, un héros canadien » que le pays remercie pour « son service ».

Il a reçu des ovations debout à la Chambre des communes, notamment de la part de Zelenski et du Premier ministre canadien Justin Trudeau, qui étaient présents.

Le problème est que selon le groupe communautaire les « Amis du Centre Simon Wiesenthal », Hunka a servi dans la 14e division Waffen SS.

Anthony Rota a précisé : « cette reconnaissance publique a causé de la souffrance aux individus et aux communautés, y compris à la communauté juive du Canada et du monde entier, ainsi qu’aux survivants des atrocités nazies en Pologne, entre autres pays ».

Sa démission a pris effet le 27 septembre.

Les législateurs canadiens de tous les grands partis avaient appelé à la démission de Rota, la ministre canadienne des Affaires étrangères, Mélanie Joly, déclarant le 26 septembre que l’épisode était « un embarras pour la Chambre et pour les Canadiens ».

Trudeau a qualifié les évènements de « profondément embarrassants » pour le Canada.

Pierre Poilievre, le chef des conservateurs, a accusé mardi le premier ministre de ne pas avoir « réussi à faire examiner et empêcher son énorme appareil diplomatique et de renseignement d’honorer un nazi ».

Le leader parlementaire du Nouveau Parti démocratique progressiste, Peter Julian, avait affirmé auparavant que Rota avait commis « une erreur impardonnable qui jette le discrédit sur toute la Chambre ».

L’épisode s’est produit alors que Zelenski s’adressait aux parlementaires canadiens pour la deuxième fois depuis que la Russie a lancé son invasion de son pays en février 2022.

Réactions russes

Les autorités russes avaient justifié leur « opération spéciale » contre l’Ukraine comme faisant partie d’une campagne visant à « dénazifier » le pays.

Kiev et ses alliés avaient qualifié cela de propagande russe, accusant Moscou de tenter de procéder à une conquête de territoires.

Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a profité de l’occasion pour déclarer : « une telle négligence dans la mémoire est scandaleuse […] De nombreux pays occidentaux, dont le Canada, ont élevé une jeune génération qui ne sait pas qui a combattu qui ni ce qui s’est passé pendant la Seconde Guerre mondiale. Et ils ne savent rien de la menace du fascisme».

Le 26 septembre, la Pologne a entamé des démarches pour demander l’extradition de M. Hunka pour qu’il y soit jugé.

Un peu d’Histoire

Yaroslav Hunka, deuxième en partant de la gauche, en décembre 1943, après la fin de l’école de sous-officier d’artillerie antiaérienne à Munich, en Allemagne.

Photo publiée sur le blog « Nouvelles des Combattants ».

Yaroslav Hunka 98 ans a appartenu à la 14e division Waffen Grenadier connue le nom de « division Galice » une unité composée d’Ukrainiens dits « de souche » placée sous le commandement nazi.

 

L’unité fut rebaptisée « Première Division ukrainienne » avant de se rendre aux Alliés occidentaux en 1945.

Elle n’a jamais été condamnée pour ses crimes de guerre mais elle serait responsable de l’exécution de civils polonais et juifs.

Le 28 février 1944,  mille habitants du village polonais de Huta Pieniacka furent massacrés et le village détruit par des SS. La responsabilité de la division Galicie fait l’objet de débats. L’Institut polonais de la mémoire estime dans une analyse publiée le 18 novembre 2003 en se basant sur des documents exhumés en 1999, que ce sont bien des hommes du 4erégiment de la division Galicie qui ont commis le massacre. La controverse à ce propos est toujours en cours.

Elle est commandée par le generalmajor Fritz Freitag qui se suicide le 10 mai 1945.

Selon la BBC, en 1985, Brian Mulroney, alors Premier ministre du Canada, a créé la commission d’enquête sur les criminels de guerre après qu’un député ait affirmé que le médecin nazi Josef Mengele pourrait se trouver dans le pays.

Quelque 600 anciens soldats allemands ont alors cherché à rejoindre le pays. Parmi eux, des membres de la division Galice qui ont fait l’objet d’un contrôle individuel pour des raisons de sécurité.

Jules Deschênes, le président de la commission d’enquête affirma : « les accusations de crimes de guerre de la division Galice n’ont jamais été étayées, ni en 1950, lorsqu’elles ont été déposées pour la première fois, ni en 1984, lorsqu’elles ont été renouvelées, ni devant cette commission ».

Pourtant, suite à cet hommage controversé – et involontaire à en croire le président de la Chambres des communes qui a l’a regretté au vu « des nouveaux renseignements » portés à sa connaissance – le Centre des Amis du Centre d’études sur l’Holocauste Simon Wiesenthal a réaffirmé que la division « était responsable du massacre de civils innocents avec un niveau de brutalité et de méchanceté inimaginable ».

Dominique Arel, titulaire de la chaire d’études ukrainiennes à l’Université d’Ottawa, note que le symbolisme d’avoir un soldat d’une unité SS honoré à Ottawa est « désastreux » pour la cause ukrainienne.

Cela a été une erreur. Le gouvernement canadien n’avait aucune idée, mais les organisations ukrainiennes auraient dû le savoir.

Cela dit, il précise : « dans leur tête, il [Yaroslav Hunka] a combattu l’agression soviétique, mais dans le mauvais uniforme. Quand tu vois un logo SS, surtout dans un contexte où Poutine appelle les Ukrainiens des nazis et fait sa guerre soi-disant pour dénazifier l’Ukraine, ça n’aide pas la cause, ça, c’est clair […] On a l’impression que si tu sers dans une unité SS, à ce moment-là, tu es un nazi du même type qu’un garde dans un camp de concentration… Ce n’est pas tout à fait cela. Ces gars-là, qui étaient très jeunes, se sont joints à cette unité parce qu’ils voulaient acquérir une expérience militaire et voulaient avoir accès à des armes pour ensuite combattre pour l’indépendance de l’Ukraine. Et indépendance contre qui ? Contre l’Union soviétique qui avait annexé leur région en 1939. On parle alors d’une région qui n’avait jamais fait partie de la Russie auparavant. Et les forces soviétiques, la police et tout avaient commis toutes sortes d’atrocités, de déportations, etc. Ils ont connu la terreur soviétique durant deux ans […] Cette unité ne pouvait avoir affaire avec l’Holocauste parce que la Shoah était terminée en Galicie au moment où ils ont été opérationnels.  Ils sont arrivés en 1944 et il n’y avait plus de Juifs. Tout avait été fait avant. […] Même d’un point de vue légal, tu ne peux pas dire que ce sont des criminels de guerre juste parce qu’ils faisaient partie d’une organisation qui a commis des atrocités avant ou un peu partout en Europe. Il faut voir ce que cet individu et son unité ont fait ».

Un petit oubli : la Division Galicie a  été reconnue comme « organisation criminelle » en 1946 par le Tribunal militaire international lors du procès de Nuremberg.

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Texte

Alain Rodier