L’Europe et particulièrement la France semblent rejetées en 2013 quand la publication en ligne d’Al-Qaida dans la Péninsule Arabique (AQPA) « Inspire » dévoile dans son numéro 10 une liste de onze personnalités « recherchées mortes ou vives pour crimes contre l'islam ». Stéphane Charbonnier alias « Charb », dessinateur à Charlie Hebdo figure sur cette liste pour avoir caricaturé Mahomet.

Les menaces étaient nombreuses et répétitives sur la toile. « Inspire » était alors l’« organe de presse » officiel d’Al-Qaida via sa branche yéménite AQPA – Al-Qaida dans la Péninsule Arabique –  (17 numéros dont le dernier est paru en 2017). Si la Choura (le « Conseil », sorte de gouvernement de la nébuleuse) se trouvait installée dans les zones frontalières afghano-pakistanaises, il semble qu’AQPA, en plus de mener la Guerre sainte au Yémen à défaut d’avoir la capacité de la lancer en Arabie saoudite, jouait aussi le rôle d’« affaires extérieures ».

Daech (qui, il faut le rappeler, est une dissidence d’Al-Qaida en Irak) a suivi le mouvement après la création officielle du « Califat » en 2014 mettant en ligne dès octobre de la même année la revue « Dabiq » remplacé en septembre 2016 par « Rumiyah ». De 2014 à 2016, les Francophones ont droit à une version en français : « Dar al Islam ». Il est intéressant de noter que cette revue destinée prioritairement à la France avait ce nom qui signifie « terre où l’islam gouverne » à la différence de Dar al-Harb (« terre de la guerre »).

Les attentats d’Al-Qaida de janvier 2015

Le 7 janvier 2015, Cherif et Saïd Kouachi deux frères se revendiquant d’Al-Qaida attaquent Charlie Hebdo. Le bilan est lourd : 12 tués, 11 blessés. L’enquête démontrera que Saïd avait reçu une formation de type militaire au Yémen en 2011 sous l’égide d’AQPA. Avant sa mort, Cherif affirmera qu’il a été financé pour partie par Anwar al-Awlaqi, le responsable des actions extérieures d’AQMI tué au Yémen par un drone américain en décembre 2011.

Amedy Coulibaly qui connaissait les frères Kouachi depuis un séjour en prison en 2005/2006 puis qui a rencontré Cherif le 6 janvier 2015 (pour se coordonner avec les frères) la veille de l’attentat contre Charlie Hebdo passe à l’action le lendemain. Sa course meurtrière se termine le 9 janvier  dans la superette Hyper Cacher de la Porte de Vincennes : bilan : 5 morts et plusieurs blessés.

Des revendications posthumes citeront Daech. Mais il semble que Coulibaly était surtout un « indépendant » qui – comme les frères Kouachi – avait été influencé par Djamel Beghal, un ancien membre du Groupe Islamique Armé (GIA) algérien condamné à deux fois dix ans de prison en France puis expulsé vers l’Algérie en décembre 2018 où il vit en liberté.

Les attentats de Paris et de St-Denis du 13 novembre 2015 revendiqués par Daech ont ensuite fait 130 tués et 413 blessés. Sept terroristes sont morts.

Aujourd’hui

Dans le dernier numéro relayé par la presse française de « Sada Al-Malahim » (l’écho de la bataille), la version actuelle d’« Inspire » mais en langue arabe (ce qui tend à démontrer que le public recherché n’est plus occidental), AQPA profère des menaces à l’encontre de la France et de la Suède. Un montage photographique montre  un homme cagoulé arborant sur son teeshirt « the lone mujahed » (les combattant pour la foi solitaire). Il est armé d’un fusil d’assaut de type kalachnikov. Un montage photographique montrant deux policiers français en pleurs.

Cette photo de Benjamin Filarski a immortalisé ce moment de compassion dans la rue de La Fontaine-au-Roi (où a eu lieu une des fusillades du 13 novembre 2015). Le photographe précise : « [Les policiers] se recueillent devant des bougies, debout, côte à côte, comme la plupart des gens. Au bout d’une minute, l’un d’eux craque, s’est écarté de cinq mètres. Puis il tombe dans les bras de son collègue ».

Au grand désarroi du photographe, cette photo sera utilisée ultérieurement pour faire la « une » de Dar Al-Islam (Daech). Comme Dabiq son modèle anglophone, le magazine numérique est revenu sur les attentats du 13 novembre 2015 dans son édito, en plus d’un macabre portfolio en fin de magazine.

Il s’agit principalement de la reprise du communiqué par lequel Daech avait revendiqué les attaques du 13 novembre dès le lendemain, texte auquel l’auteur ajoute cette fois-ci quelques insultes supplémentaires:

« Pauvre France. Elle finit l’année comme elle l’a commencée dans les larmes et le sang. La minable petite France a été frappée de plein fouet par les lions du Califat, lors des attaques bénies du 13 novembre 2015, à Paris et Saint-Denis».

« Sada Al-Malahim » (AQPA) reprend donc en partie une présentation de Daech. Dans ce numéro, il est expliqué :« Il est désormais clairement apparent que la Suède a choisi de prendre la tête dans la guerre contre l’Islam et les musulmans parmi les pays de l’Union européenne [ faisant référence aux récents autodafés du Coran en Suède]. rivalisant ainsi avec la France, le Danemark et d’autres pour la première place dans la course à l’opposition à Dieu et à son messager ».

Le texte poursuit suggérant l’organisation d’actions dans ces pays européens : « La Suède, la France et d’autres pays qui combattent Dieu (…) ne comprennent pas simplement des paroles abstraites. Ils ne comprennent pas le langage du dialogue et de la communication (…) Ils ne comprendront pas et ne tiendront pas compte, jusqu’à ce qu’ils entendent des nouvelles comme ‘L’ambassade suédoise a été rasée suite à une explosion violente’ ou ‘Une attaque armée contre un ministère à Paris’. ».

Al-Qaida et Daech toujours vivants

Les mouvements salafistes-jihadistes Al-Qaida « canal historique » et l’« État Islamique » pudiquement renommé Daech sont toujours vivants.

Il est vrai que l’entité géographique du « Califat » islamique située à cheval sur la Syrie et l’Irak n’est plus. Mais les deux mouvements agissent dans la clandestinité, que ce soit en Irak, en Syrie, en Egypte, en Afghanistan, en Extrême-Orient. Leur nouveau terrain d’expansion est le Continent africain. Leur seul point faible est leur rivalité…

Depuis les attentats de 2015, il semblait que ces deux mouvements salafistes-jihadistes n’avaient plus en cible immédiate les pays occidentaux. Mais si l’un des deux reprend le flambeau, il est à craindre qu’il ne se déclenche une surenchère entre les frères ennemis (ils partagent la même idéologie). Leur objectif est simple : recruter de nouveaux adeptes et pour cela, il convient de se faire de la « publicité ».

Quant au côté « tactique » de l’affaire, les deux formations ne semblent pas avoir les moyens suffisants pour envoyer des activistes mener des opérations terroristes en Europe (bien que ce ne soit pas une chose impossible car peu coûteuse). Il va falloir surveiller que leurs discours ne sont pas repris par des apprentis terroristes endogènes (en France, plusieurs affaires impliquant des mineurs sont en cours).

Le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin faisait état à la mi-septembre d’une menace terroriste « très forte » en France. Ce n’est pas surprenant car la France est tout ce que haïssent les salafistes-jihadistes (d’Al-Qaida et de Daech) : pays laïque et impie (où soi-disant les musulmans sont persécutés par les multiples interdictions vestimentaires), ancien colonialiste, aux mœurs décadents, etc.

Principaux responsables d’Al-Qaida en septembre 2023

Saif al-Adel qui serait l’« émir » de la nébuleuse suite à la mort du docteur Ayman al-

Zawahiri tué par un drone américain à Kaboul en août 2022.

Muhammad Abbatay alias Abd al-Rahman al Maghrebi membre de la Choura d’Al-Qaida, responsable du media al Sahab et gendre de feu al-Zawahiri ; il résiderait en Iran.

Abou Obeidah Youssef al-Anabi alias Yazid Mubarak, émir d’AQMI depuis 2020.

Khalid Saeed al-Batarfi émir d’AQPA depuis 2020.

Ahmed Diriye (Abou Ubaidah) émir des Shebabs depuis 2014.

Iyad ag Ghaly émir du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM).

Farouq al-Souri alias Samir Hijazi, leader de Hurras al-Din (HaD) en Syrie.

Sami al Uraydi. commandant du HaD en Syrie et vétéran d’Al-Qaida.

Osama Mahmood émir d’Al-Qaida pour le sous-continent indien (AQIS) depuis 2019.

Leaders de Daech en septembre 2023

Abou Hafs al Hashimi al Qurayshi. Èmir de Daech ayant succédé à Abou al Hasan al Hashimi al Qourayshi tué au printemps 2023.

Abou Ahmed al-Madani aliasTamim al Kurdi. Leader opérationnel de l’EI en Afghanistan depuis 2020.

Abdul Bara al Sahrawi. Émir de la Province de l’État Islamique au Grand Sahara (EIGS) depuis 2021.

Abou Mousab al Barnawi. Émir de l’État Islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP), il serait présent dans la région du Lac Tchad. Annoncé tué en 2021 ?

Seka Musa Baluku. Chef de État l’Islamique en République Centre Africaine.

Abou Yasir Hassan. Leader de l’État Islamique au Mozambique (ISM).

Sanaullah Ghafari alias Shahab al Muhajir. Émir de la Province de l’État Islamique au Khorasan (ISKP). Transfuge du réseau Haqqani depuis avril 2020.

Abou Hajar al Hashemi. Ancien officier irakien, gouverneur de la province de l’État Islamique au Sinaï (ISSP).

Abdulqadir Mumin. Transfuge des Shebabs, leader du groupuscule de Daech en Somalie.

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Texte

Alain Rodier