Les armes sont importantes - voire vitales - mais en réalité, la capacité de défense d’un peuple dépend d’abord de son état d’esprit et de sa résilience.

Il y a un an, la contre-offensive ukrainienne lancée dans le nord-ouest du pays avait eu des résultats stupéfiants. L’opération dans la région de Kharkiv qui a provoqué la déroute des forces russes et a fait naître l’espoir que l’Ukraine non seulement survivrait à l’invasion de Moscou, mais qu’elle pourrait bouter l’ennemi en dehors de ses frontières. L’enthousiasme et l’optimisme étaient à leur paroxysme aussi bien en Ukraine que dans les pays occidentaux.

Puis est venue la contre offensive de l’été 2023 conduite dans le sud-est du pays par les forces ukrainiennes. Les difficultés sur le terrain préparé par l’armée russe se sont révélées bien plus importantes. Les Ukrainiens ont du grappiller progressivement du terrain au prix de lourdes pertes à travers des champs de mines battus par les feux de l’artillerie russe avec comme objectif d’atteindre et de percer le réseau de défense russe dit de la « ligne Surovikin » qui sillonne le sud occupé.

Cela a suscité des inquiétudes parmi les partenaires occidentaux car Kiev ne paraît plus être en mesure d’expulser les forces russes de tous les territoires occupés.

À l’étranger, la lenteur des progrès militaires de l’Ukraine a ravivé les appels en faveur de nouveaux pourparlers de paix, même si rien n’indique que l’une ou l’autre des parties soit disposée à faire les concessions qui seraient nécessaires.

Le sentiment pacifiste – ou ukraino-sceptique, pro-russe, etc. – provient des couloirs du

pouvoir en Hongrie, est ancré dans les mouvements d’opposition en croissance rapide en Slovaquie et en Allemagne, et enfin se propage depuis la primaire présidentielle du Parti Républicain aux États-Unis.

Samuel Charap de la Rand Corporation, l’un des partisans occidentaux les plus connus du dialogue avec Moscou, a déclaré au New Yorker que la Russie avait déjà été vaincue stratégiquement mais que : « une Russie affaiblie est une bonne chose […] Mais une Russie totalement isolée et voyou, une Russie ‘nord-coréenne’, pas tellement ».

Le président Zelensky a lui-même admis que la guerre « ralentit. Nous reconnaissons ce fait. Tous les processus deviennent plus compliqués et plus lents : des sanctions à la fourniture d’armes ». En résumé, si l’offensive est si lente, c’est de la faute des Occidentaux…

Pour lui, la Russie peut mettre fin immédiatement aux combats « si elle retire toutes ses forces des territoires occupés ». Mais il semble que même cette même cette option est désormais  dépassée et qu’il n’a pas intérêt à revenir en arrière, sa survie politique – et peut-être même plus – est en jeu.

En effet, à mesure que de plus en plus de preuves des crimes de guerre russes apparaissaient et que le nombre de victimes augmente, même un engagement rhétorique en faveur du dialogue est devenu intenable pour les responsables ukrainiens.

Parmi les exigences ukrainiennes (plan en dix points présenté par Zelensky) figurent donc la libération totale du pays, mais également des réparations et des procès pour crimes de guerre contre les dirigeants russes, dont Poutine. De plus Zelensky exige que son plan soit appuyé par l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et à l’Union européenne.

Mais, il ne semble pas que tout cela joue pour l’instant sur le moral des Ukrainiens qui auraient plutôt tendance à se radicaliser.

Les sondages d’opinion publique témoignent du soutien massif et continu à la victoire totale. Une enquête menée cet été par l’Institut international de sociologie de Kiev a révélé que 84 % des Ukrainiens s’opposent à toute concession territoriale à la Russie, même si cela prolonge la guerre.

La majorité des Ukrainiens reste inflexible : la Russie doit non seulement quitter le territoire national mais aussi payer pour ce qu’elle a fait…

Pour un ancien avocat devenu soldat et blessé au début de la guerre : « la Russie nous a enlevé beaucoup de gens […] Plus les Russes meurent, mieux c’est. En tant que combattant, j’ai toujours le droit de tuer des Russes […] Je veux me venger de la manière la plus horrible que permettent les conventions internationales ».

Lesia Vasylenko, députée ukrainienne, a déclaré qu’un changement à la tête du Kremlin ne suffirait pas à lui seul à amener l’Ukraine à la table des négociations. « Nous disons parfois en Ukraine : ‘un bon Russe est un Russe mort’ […] Il ne s’agit pas d’être morbide, il ne s’agit pas de vengeance, c’est la vérité. Les bons Russes d’aujourd’hui sont soit morts – tués par le régime de Poutine -, soit ils pourrissent dans les prisons russes […] Il y a des Russes qui reconnaissent les torts commis par le régime de Poutine et, en outre, ceux qui sont commis par l’empire soviétique. Mais combien sont-ils ? Un seul Navalny ne suffit pas […] Nous avons besoin d’au moins 100 millions de Navalny pour qu’il y ait réellement des changements et pour que l’Ukraine soit en mesure d’accepter n’importe quel type d’accord ».

Et pour le Kremlin ?

Pour Nataliya Bugayova, chercheuse russe non-résidente à l’Institute for Study of War (ISW), basé aux États-Unis, rien n’indique que Poutine cherche une sorte de sortie, indépendamment des affirmations du Kremlin selon lesquelles il est ouvert à de nouvelles négociations.

Le président russe a affirmé que les pourparlers éventuels devraient refléter les « nouvelles réalités territoriales » de l’occupation partielle par la Russie de quatre régions ukrainiennes, ainsi que de son emprise continue sur la Crimée.

Un nouveau scrutin simulé d’élections organisé du dernier week-end dans les zones occupées témoigne de cet engagement.

Pour Bugayova, l’intention de Poutine de « contrôler totalement » l’Ukraine ne semble pas avoir changé et elle ajoute : « Nous devrions supposer que cette intention lui survivra à dessein notant que les plus susceptibles de lui succéder seront les hommes de pouvoir du Kremlin qui souscrivent largement au même programme même s’ils peuvent être en désaccord avec les moyens de Poutine ».

En résumé les négociations sont pour l’instant exclues par les deux partis ;

L’automne pluvieux arrive (la « raspoutitsa » ou « saison des mauvaises routes ») bloquant les mouvements des matériels lourds.

L’hiver qui suivra, s’il est assez rigoureux, pourrait permettre la reprise de mouvements si le sol est assez gelé.

Les armements occidentaux plus modernes (F-16, chars Abrams, etc.) devraient être là au printemps 2024 sans oublier que « larme miracle n’existe pas ».

En bref, la guerre et ses horreurs vont se poursuivre.

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Texte

Alain Rodier