Le 10 septembre, les chefs d’état-major américain et britannique ont donné leur opinion sur l’évolution de la guerre en Ukraine. Bien évidemment, les mots sont soigneusement choisis.

Le général Milley a déclaré qu’il était trop tôt pour dire si la contre-offensive avait échoué, mais a déclaré que l’Ukraine « progressait à un rythme très régulier à travers les lignes de front russes ». Il a ajouté et la nuance est intéressante : « il reste encore un temps raisonnable, probablement environ 30 à 45 jours de combats, donc les Ukrainiens n’ont pas fini. […] il y a des batailles qui ne sont pas terminées… ».

Dans les faits, il reste à l’Ukraine un peu plus de 30 jours de combats avant que les conditions météorologiques n’entravent sa contre-offensive. Des conditions plus froides rendraient la tâche beaucoup plus difficile à l’Ukraine. Il oublie de dire que c’est également le cas pour les forces russes.

De plus, la prise de Robotyne, village complètement détruit, ne constitue pas un succès tactique d’importance. L’atteinte de la première ligne de défense russe après trois mois de combats est la traduction d’un relatif échec militaire. Une exploitation réussie d’une percée – aussi minime soit-elle – nécessite l’engagement de réserves suffisantes. Or, il semble que Kiev a  mis en ligne la grande partie de ses forces de réserve. Il ne resterait plus que quelques brigades de combat disponibles. Or, il est vraisemblable qu’elles sont conservées pour faire face à une éventuelle action offensive russe toujours imaginable.

Enfin, les pertes ukrainiennes seraient considérables. Kiev aurait perdu entre 35.000 et 50.000 hommes en trois mois. Même si les estimations sont identiques pour la partie russe, les réserves humaines sont totalement différentes des deux côtés.

Le président Zelensky – qui connaît les chiffres et les difficultés croissantes à recruter – a déclaré le 8 septembre que la Russie « stoppait la contre-offensive » grâce à sa supériorité aérienne. Il semble vouloir préparer son opinion publique et ses alliés occidentaux à de mauvaises nouvelles en en rejetant la faute sur l’approvisionnement insuffisant de son armée en armes et munitions performantes.

Certains observateurs estiment que c’est Washington qui a poussé Kiev à lancer cette opération d’envergure étant persuadé que les forces russes finiraient bien par craquer(1). Il semble que les services de renseignement américains – inégalables en efficacité pour tout ce qui a trait au « tactique » – se sont trompés sur l’état d’esprit de leur ennemi russe.

Le général Milley a aussi reconnu que l’offensive ukrainienne s’était déroulée plus lentement que prévu tout en ajoutant : « de violents combats se poursuivent […] Les Ukrainiens continuent de progresser régulièrement […] J’ai dit au tout début de cette [guerre] que cela allait être long, lent, difficile et faire de nombreuses victimes, et c’est exactement ce qui se passe ».

Dans la même interview, l’amiral Sir Tony Radakin, chef d’état-major de la défense britannique, a déclaré que « l’Ukraine gagne et la Russie perd » expliquant : « C’est parce que l’objectif de la Russie était de soumettre l’Ukraine et de la mettre sous son contrôle […] Cela ne s’est pas produit et cela n’arrivera jamais, et c’est pourquoi l’Ukraine gagne ».

Sur ce point, il a totalement raison : Poutine s’est totalement trompé lors de sa prise de décision de l’invasion. Lui aussi s’est laissé berner par ses services de renseignement qui lui affirmaient – en bons courtisans – que l’affaire était « facile ». Ils se sont aussi trompés sur l’état d’esprit de leur adversaire. Comment ont-ils pu imaginer que les Ukrainiens les accueilleraient en « libérateurs » alors que 80% de la population voue une haine farouche envers la Russie – Histoire oblige – ? Même les observateurs éloignés le savaient bien avant le déclenchement de l’« opération spéciale »… (2)

Pour rester dans un optimiste de bon aloi, l’amiral a précisé que l’Ukraine progressait dans sa bataille pour reconquérir son territoire, ayant récupéré 50 % du terrain conquis par la Russie.

Pour lui, « les progrès de l’Ukraine sont également dus à la pression économique et diplomatique exercée par la communauté internationale, et la Russie en souffre ». Il oublie de dire que la « communauté internationale » qu’il évoque  représente que l’Occident plus le Japon et la Corée du Sud. Les pays du Proche et Moyen-Orient, l’Inde, la Chine, une grande partie de l’Afrique, l’Amérique latine dont le Brésil… ne sont pas d’accord – voir les résultats du dernier G20 qui a refusé de désigner la Russie comme l’« agresseur »…

Quant à la Corée du Nord…

Pour l’amiral Radakin, l’alliance de Vladimir Poutine avec la Corée du Nord montre que le président russe est dans un « état de désespoir ». Les liens entre les deux pays montrent combien il reste peu de partenaires à la Russie. Elle est « le reflet de l’erreur catastrophique commise par la Russie en envahissant l’Ukraine […] Et cela reflète également la situation intérieure en Russie ». Il semble que sur ce dernier point, comme Washington, il se trompe…

Il va falloir attendre le voyage de Kim Jong-Un en Russie dans le train blindé historique de la famille. Il a horreur de prendre l’avion et sans doute encore plus en Russie…

Plus globalement concernant la coopération russo-nord-coréenne, ce qui inquiète surtout Washington et les Coréens du Sud, – les premiers concernés -, c’est ce que Pyongyang va obtenir en échange de cet accord.

En résumé, les informations provenant de Kiev et de Moscou – et d’ailleurs – sont toutes à prendre avec suspicion tant la propagande de guerre est la règle mais les hypothèses suivantes peuvent être avancées :

– la contre-offensive ukrainienne n’a pas atteint les buts qui étaient espérés par Kiev pressé par les Occidentaux ;

– les pertes humaines doivent être effroyables mais ne paraissent pas émouvoir grand monde en Occident ;

– la situation sur le front devrait être ralentie d’ici quelques semaines en raison des conditions atmosphériques (qui sont les même pour les deux parties) ; cela n’arrêtera pas les échanges de tirs d’artillerie, les bombardements par missiles et drones ainsi que les opérations spectaculaires menée par les forces spéciales ukrainiennes comme la prise d’une plate-forme pétrolière en Mer noire le 11 septembre ;

– ni Kiev ni Moscou ne voulant actuellement négocier, la guerre risque de durer jusqu’à épuisement des combattants…

–  mais le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a fait cette déclaration le 10 septembre à la chaîne ABC : « l’Ukraine est prête à négocier avec la Fédération de Russie si la partie russe fait une telle proposition […] il faut être deux pour danser le tango. Si Poutine manifeste cet intérêt, alors je pense que les Ukrainiens seront les premiers à négocier, et nous serons juste derrière eux ». Il faut comprendre que Washington semble faire un dernier effort avant d’être aux « abonnés absents » le temps de la présidentielle ;

–  les dirigeants européens ont pris sur eux d’assurer le « relai » de Washington si la politique US venait à changer vis-à-vis de l’Ukraine ; il n’est certain que cette option fasse l’unanimité dans toutes les capitales de l’UE.

 

1. En matière de renseignement « humain », les services font souvent appel aux opposants en exil qui ont une vision partiale de la situation. En ce qui concerne les Russes (mais c’est aussi vrai pour les Iraniens), ils ont tendance à décrire une situation catastrophique pour le pouvoir en place car elle répond à leurs désirs plus qu’aux informations qu’ils peuvent détenir.

2. Il y a aussi la possibilité qu’ils ne se soient pas trompés mais – comme cela avait été le cas à de nombreuses reprises pour Staline – que Poutine enfermé dans sa tour d’ivoire ne les ai pas cru…

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Texte

alain Rodier