Alors que tous les stratèges militaires ne parlaient jusqu’à peu que de « nouvelles armes intelligentes, de drones, de l’Intelligence Artificielle, etc. » souvent par peur d’avoir une « guerre de retard », l’Ukraine voyait se développer un conflit qui, même si la situation est loin d’être figée, rappelle étrangement la Première Guerre mondiale : la guerre de tranchées.

Pour mémoire, les forces militaires engagées dans la Grande guerre ont privilégié le mouvement d’août 1914 avant d’être obligées de stabiliser le front à partir de mars 1915.

Dans les faits, la guerre de tranchées fut le résultat de la révolution amenée par l’augmentation considérable de la puissance de feu qui pénalisait les attaquants. Il était devenu impossible d’attaquer en rangs serrés comme cela avait été le cas depuis l’Antiquité. La dernière guerre de ce type eu lieu en 1870-71 sous Napoléon III (avant de reprendre lors de la Seconde Guerre mondiale).

Au XVIIe siècle, Vauban a bien utilisé des tranchées mais dans le but de faire tomber des fortifications adverses, leur rôle étant alors de s’approcher en sûreté de l’ennemi pour ensuite prendre ses positions de vive force.

La Grande guerre fut le point culminant de la guerre de tranchées qui s’étendaient tout le long du front.

Tirant les leçons de cette boucherie épouvantable, les stratèges réinventèrent les fortifications en dur (leurs ancêtres étant les châteaux-forts) que furent ensuite les lignes Maginot et Siegfried, le mur de l’Atlantique et les positions retranchées des Japonais dans le Pacifique. Mais la victoire revint aux forces en mouvement qui contournèrent (lignes Maginot et Siegfried) ou enlevèrent frontalement les positions ennemies (mur de l’Atlantiques, bunkers japonais dans les îles du Pacifique Sud).

Cela ne signifia pas la fin de la guerre de tranchées mais il ne s’agissait plus alors de longues lignes à défendre mais de réduits éparpillés. On le vit lors de les guerres de Corée, d’Indochine (avec l’exemple marquant de Diên Biên Phu), du Vietnam…

Guerre de Corée

Diên Biên Phu

À noter qu’à Dien Bien Phu, les tranchées française avaient un but défensif et celles des Viet-Minh un but offensif (pour s’approcher au maximum des positions françaises avant de lancer l’assaut, le tout couplé avec la technique des sapes très employée durant la guerre 1914-1918).

Malgré tous les progrès technologiques, aujourd’hui, même des tranchées relativement rudimentaires peuvent encore fournir un bon niveau de protection contre les tirs directs et indirects.

Prendre les tranchées adverses est généralement extrêmement difficile et oblige les attaquants à s’exposer aux feux directs des défenseurs puis à s’engager dans des combats rapprochés souvent couteux en vies humaines. L’ordre « baïonnette au canon » reste un effroi historique.

Les tranchées ont toujours été des obstacles à surmonter ou un moyen de protéger les forces amies, ou les deux, dans de nombreux conflits majeurs dans lesquels Les armées ont été engagées mais globalement, l’avantage a toujours bénéficié aux forces manœuvrantes (Israël).

Cela inclut les lignes de tranchées irakiennes rencontrées lors de la première guerre du Golfe puis lors de l’invasion américaine de l’Irak en 2003. Dans les deux cas, elles n’avaient pas été d’une grande utilité pour ralentir les forces de la coalition. Parfois même, elles se sont révélées être un véritable piège les Américains utilisant des munitions pénétrantes qui les faisaient s’effondrer enfouissant vivants les occupants.

Mais, la guerre des tranchées pourrait constituer une composante de futurs conflits. Par exemple, les tranchées font partie des vastes réseaux de défense qui ont été construits des deux côtés de la zone démilitarisée (DMZ) qui divise la péninsule coréenne depuis 1953.

Ukraine

En Ukraine, les lignes défensives russes présentent des obstacles particulièrement problématiques à la contre-offensive actuelle de Kiev. Il est possible que ces tranchées font partie d’une poignée de facteurs majeurs qui dominent le champ de bataille en ce moment et qui expliquent la relative stagnation de la situation.

La taille même des fortifications russes actuelles en Ukraine qui dépassent bien plus de mille kilomètres de long et jusqu’à cinquante kilomètres de profondeur et la rapidité avec laquelle elles ont été construites est un signe que la Russie a conservé d’importantes capacités en génie militaire. Ces leçons ont été acquises dans l’Histoire lors des deux premiers conflits mondiaux.

Dans les conditions actuelles, cela s’avère être une approche de la défense en profondeur qui reste importante. Dans leurs formes de base et leurs moyens de construction, les fortifications de campagne russes semblent peu différer de celles prescrites par la doctrine des années 1960. La stabilité de la défense, en particulier contre les attaquants blindés, dépend d’une combinaison d’éléments.

Les points forts du niveau de la compagnie et de la section capables d’une défense tous azimuts, sont dispersés dans toute la zone défendue. Ceux-ci sont disposés de manière à ce que leurs tirs puissent battre les axes d’attaque les plus probables. Les terrains couverts par ces feux sont préparés avec des mines antichar et antipersonnel et des barrières physiques (barbelés, dents de dragon, etc.).

Les pièces d’artillerie, les postes de tir des missiles antichars et des systèmes de défense aérienne contrôlés par le niveau supérieur (régiment, brigade) sont également enfouis, tout comme les centres de contrôle, les points d’approvisionnement, etc.

De plus, les lance-roquettes multiples sont capables de créer à distance de nouveaux champs de mines permettant de renforcer encore la défense alors même que les opérations de combat se poursuivent.

Une des pratiques militaire russe remarquable et généralement mal interprétée par les observateurs a été le déploiement efficace de systèmes d’armes soi-disant obsolètes, y compris d’anciens chars et des tourelles anti-aériennes navales. Ces matériels ont été spécifiquement intégrés dans des positions défensives où ils fournissent un bon service en tant qu’artillerie de campagne et une défense aérienne à courte portée contre des drones commerciaux bon marché.

Enfin, il ne faut pas penser qu’une défense adossée à des positions protégées telles que des tranchées, est rigide. Bien au contraire, elle doit permettre de manœuvrer parfois en laissant l’attaquant pénétrer dans des saillants pour mieux le détruire par des feux préparés à l’avance et par des contre-attaques de flancs percutantes. Il est même possible de lancer directement des attaques de rupture sur les positions de l’adversaire si ce dernier dévoile des faiblesses dans son dispositif.

Globalement, actuellement en Ukraine l’avantage est au défenseur russe bien que la propagande du camp ukrainien prétende qu’il n’a plus suffisamment de munitions, de véhicules blindés et surtout que le moral du combattant serait si bas, que le dispositif militaire moscovite pourrait s’effondrer à tout moment. L’expérience de la révolution de 1917 conduite par les bolchéviques qui a amené la fin de la Première Guerre mondiale du côté russe est visiblement présente dans l’esprit des Occidentaux. Il est exact que le pouvoir du Kremlin est fragilisé par la crise provoquée par la rébellion de la SMP Groupe Wagner mais cela ne semble pas avoir eu – pour l’instant –  un impact marquant sur le front.

La formation américaine

Les Américains développent depuis quelques années (avant l’invasion de l’Ukraine) une tactique appelée les « cents premiers mètres » qui correspondent aux instants qui suivent l’ordre de lancer l’assaut.

Ils l’expérimentent à Fort Moore en Géorgie (anciennement Fort Benning) et pour cela ils ont construit une tranchée d’exercice.

Selon un communiqué de presse de l’armée de Terre diffusé en 2020, ce concept comprend un certain nombre de formations spécifiques y compris « une simulation de mission de réapprovisionnement sur le champ de bataille, des tâches de conditionnement physique et une mise en œuvre des armes, de l’équipement et des méthodes que les soldats d’infanterie utilisent au combat ».

Un point important est mis sur le côté psychologique du combattant qui vise à créer des liens de camaraderie entre les exécutants et à promouvoir la confiance dans leurs cadres de contact (officiers et sous-officiers).

L’accent est aussi mis sur le sens de la discipline militaire.

Dans ce cadre, il n’est pas surprenant qu’une tranchée fasse partie des « 100 premiers mètres » car quitter son abri pour progresser à travers un no man’s land peut être qualifié d’effort « surhumain ».

Pour le commandement US : « quitter la tranchée signifie que vous croyiez en vous-même… vous pensez que vous y arriveriez. Plus important encore, quitter la tranchée… signifie que vous croyiez en vos coéquipiers […] Quitter la tranchée… signifie également que vous avez confiance en vos chefs ».

L’armée américaine a formé dans le passé les forces ukrainiennes au combat dans les tranchées  au Centre international de maintien de la paix et de la sécurité sur la base militaire de Yavoriv, à l’extrémité ouest du pays avant l’invasion de la Russie (photo ci-avant).

Il a beaucoup de points communs avec le combat en zone urbaine qui, avec les franchissements de coupures, est la mission principale de l’infanterie et du génie de combat.

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Texte

Alain Rodier