Les pourparlers entre le Kremlin et les hauts responsable de la Société militaire privée Wagner ont eu lieu le 29 juin 2023 quelques jours seulement après la mutinerie avortée des mercenaires Wagner les 23 et 24 juin qui a défié l'autorité de M. Poutine.

Pour mémoire, Wagner a mené de nombreux combats sanglants depuis que la Russie a lancé son invasion à grande échelle de l’Ukraine en février 2022. La SMP a d’abord été découverte en Syrie où elle avait été déployée (avec d’autres SMP dépendant de Moscou) pour soutenir le président el-Assad. Elle a ensuite étendu ses activités à la Libye puis à de nombreux autres pays du continent africains ( Soudan, Mozambique, Mali, République centrafricaine, etc.).

Mais selon le porte-parole du Pentagone, le brigadier général Patrick S. Ryder, le groupe ne « participe plus à aucune capacité significative de soutien aux opérations de combat en Ukraine » même si  « la majorité » des combattants de ses combattants s’y trouvent toujours.

De son côté, le ministère biélorusse de la Défense a déclaré le 14 juillet que des instructeurs de Wagner serviraient de conseillers pour les forces de défense territoriale du pays biélorusses  « dans un certain nombre de disciplines militaires près de la ville d’Ossipovitchi », ville où un immense camp de toile a été monté pour accueillir les mercenaires du groupe…

Que s’est-il passé lors de la réunion du 29 juin au Kremlin ?

Dans une interview accordée le 13 juillet au quotidien économique Kommersant, le président Poutine a déclaré que 35 commandants de Wagner, dont Prigojin, étaient présents à la fameuse « réunion » (convocation ?) du 29 juin.

Il leur aurait proposé plusieurs « options » notamment celle de rejoindre les forces régulières russes mais sous le commandement d’un dirigeant de Wagner « Sedoi » ( cheveux gris ) ». Toujours selon lui, « de nombreux [commandants de Wagner] hochaient la tête quand il leur disait cela […] mais Prigojin qui était assis au premier rang ne l’a pas vu […] C’est pour cette raison qu’il a dit après avoir écouté [le président] : ‘Non, les gars ne sont pas d’accord avec cette décision’ »…

Depuis, son sort est inconnu. La photo en entête de l’article le montre dans un camp de toile, vraisemblablement en Biélorussie. Mais elle n’est pas datée.

Qui est « Sedoi » ?

Sedoi (ou Siedoy) est le nom de guerre de l’ex-colonel Andrei Troshev, un ancien commandant de Wagner déjà sanctionné par l’Union européenne pour ses actions en Syrie particulièrement dans la région de Deir ez-Zor.

Né à Leningrad (devenu Saint-Pétersbourg) le 5 avril 1962, il aurait combattu en Afghanistan pendant l’invasion de l’URSS. Après la chute de l’Union soviétique, il aurait servi en Tchétchénie au sein de l’armée russe puis dans la SOBR, la « force d’intervention spéciale rapide » de la Garde nationale russe.

Toujours selon l’UE, Sedoi a été un des membres fondateur de la SMP Wagner dont il est devenu le « directeur exécutif (chef de cabinet).

Il aurait comme adjoint Dmitry Outkine, ancien officier des forces spéciales du renseignement militaire GRU.

Sedoi a reçu la plus haute distinction russe (Héro de la Russie) en 2016 pour la reprise de Palmyre en Syrie sur les militants de l’État islamique (Daech).

Une photographie de 2016 (ci-après) le montre aux côtés de Poutine et d’autres officiers.

De gauche à droite : Andrey Bogatov, Andrei Troshev, Vladimir Poutine, Aleksandr Kuznetsov et Dmitry Outkine (4 commandants de Wagner), le Kremlin 2016.

Le Kremlin semble vouloir faire la différence entre le chef de Wagner et les combattants de la SMP creusant un fossé entre eux. Cela expliquerait les tentatives des médias d’État russes de discréditer Prigojine depuis le putsch raté.

La question qui se pose est que vont devenir des mercenaires de Wagner toujours présents en Syrie et sur le continent africain ?

Et pendant ce temps là, une purge a débuté

Une véritable purge aurait actuellement lieu en Russie : des officiers généraux, de hauts responsables du FSB et de l’administration auraient été arrêtés.

Sont toujours « manquant à l’appel » les généraux SourovikineYvan Popov commandant la 58ème Armée, Vladimir Seliverstov commandant la 106ème division aéroportée de la Garde et une quinzaine d’autres encore pour avoir critiqué le stratégie du ministre de la défense Sergueï Choïgou et du chef d’état-major, le général Guerassimov.

La position du GRU qui a entretenu des relations privilégiées avec Wagner serait incertaine.

Des questions se posent sur le rôle réel actuel du président Poutine : n’est-il plus qu’une « marionnette » laissée en place pour maintenir un semblant d’unité, pendant que les comptes se règlent en coulisse. Mais alors, qui tire les ficelles ?

Cette incertitude pourrait expliquer la position actuelle du Président Biden qui affiche un apparent soutien à Poutine car il ne souhaite surtout pas un bouleversement en Russie qui pourrait amener au Kremlin un clan d’ultras extrêmement dangereux.

Situation en Ukraine

Plus d’un mois après le début de la contre-offensive ukrainienne, certains Ukrainiens et leurs alliés expriment leurs inquiétudes quant à la lenteur des progrès des troupes de Kiev.

D’autres pensent que les défenses russes finiront bien par s’effondrer (surtout s’il y a une révolution de palais au Kremlin) permettant à l’Ukraine de s’emparer d’un territoire stratégiquement important.

Bien que président Zelenski n’ait pas obtenu de calendrier précis pour l’adhésion de son pays à l’OTAN lors du sommet de l’Alliance qui s’est tenu en Lituanie, il a néanmoins reçu des membres du G7 un « cadre de sécurité » à long terme pour l’aider à se prémunir contre l’agression russe.

Le 13 juillet, le commandant du front sud de l’armée ukrainienne, le brigadier général Oleksandr Tarnavskyi, a déclaré à la chaîne de télévision américaine CNN que l’armée avait reçu le premier lot d’armes à sous-munitions promis par les États-Unis. Il a souligné qu’ils feraient une différence : « nous venons de les recevoir, nous ne les avons pas encore utilisés, mais ils peuvent radicalement changer [le champ de bataille] ».

Il est vrai que dans le cadre actuel d’une situation sur le terrain relativement figée, ces armements vont d’être un apport important pour l’artillerie ukrainienne dans les duels quotidiens qui l’opposent à son homologue russe.

Toutefois, le chef d’état d’état-major de la Defense Intelligence Agency (n°3 de la DIA, le renseignement militaire US) John Kirchhofer, a fait à la mi-juillet un état des lieux glaçant en affirmant que le conflit entre la Russie et l’Ukraine était au « point mort » malgré la contre-offensive ukrainienne. Il a précisé : « nous sommes définitivement dans une impasse ».

Comme en écho de ces déclarations, la vice-ministre de la Défense ukrainienne Ganna Malyar a admis le 16 juillet que l’armée ukrainienne était « sur une position défensive » dans l’est du pays précisant que « pendant deux jours d’affilée, l’ennemi a attaqué activement dans le secteur de Koupiansk, dans la région de Kharkiv […] De féroces combats ont lieu, et des positions (…) changent plusieurs fois par jour ».

Par contre, elle a fait valoir que les forces ukrainiennes « avançaient progressivement » près de Bakhmout, ville tombée sous contrôle russe en mai 2023.

La Russie a annoncé le 16 juillet avoir neutralisé au moins dix drones ukrainiens lancés en Crimée près de Sébastopol, quartier général de la flotte russe en mer Noire.

Par contre, le pont de Crimée (de Kerch) a été gravement endommagé par au moins deux explosions successives pour la seconde fois(2) dans la nuit du 16 au 17 juillet. Les services ukrainiens ont reconnu à demi-mots être derrière cette attaque qui aurait mis en œuvre des missiles – sans doute des Storm Shadows britanniques -. Tous les analystes s’attendaient à ce type de frappe depuis l’arrivée de ces armes air-sol en Ukraine. Une autre version parle de drones navals…

Cet objectif « fixe » est très symbolique pour les Ukrainiens qui veulent démontrer qu’ils peuvent frapper dans la profondeur du dispositif russe. Pour les Russes, cela reste un camouflet car c’est la démonstration que leur dispositif défensif présente de sérieuses failles…

Mais globalement, cela ne change pas grand-chose sur le plan stratégique.

Enfin, la non reconduction de l’accord conclu sous l’égide de l’ONU entre la Russie, l’Ukraine et la Turquie pour assurer l’expédition de céréales via la mer Noire n’a pas été prorogé jusqu’à négociations ultérieures. À noter que les clauses portant sur les avantages offerts à la Russie dans l’accord n’ont jamais été mis en œuvre (exportations d’engrais et d’ammoniac). L’attaque du pont de Kerch n’a pas arrangé les choses. Il convient d’attendre la réaction d’Ankara…

 

1. Voir : « Wagner rend ses armes » du 13 juillet 2023.
2. Voir : « Sabotage du pont reliant la Russie à la Crimée » du 8 octobre 2023.

Publié le

Texte

Alain Rodier