Les forces russes ont retardé la contre-offensive ukrainienne qui a été lancée au début juin en déployant depuis des semaines de solides défenses qui s’appuient sur des champs de mines – dont des modèles antipersonnel – battus par les feux.

Par ailleurs, Kiev commence à manquer des munitions d’artillerie qui sont essentielles lors de toute offensive.

L’artillerie permet de saturer les zones d’attaque en neutralisant ou au moins en immobilisant les défenses adverses de manière à effectuer les percées tactiques puis en encageant les positions conquises pour se prémunir des contre-attaques.

En conséquence, les États-Unis ont décidé de fournir des obus de 155 mm à sous-munitions à l’Ukraine pour aider son armée à obtenir des succès le long des lignes de front.

L’Administration Biden a annoncé le 7 juin qu’elle en enverra des milliers dans le cadre d’un nouveau programme d’aide militaire d’une valeur de 800 millions de dollars. Cela porte son assistance depuis février 2022 à plus de 41 milliards de dollars.

Sur CNN, le président Biden a déclaré : « cela a été une décision très difficile pour moi ». Il a précisé en avoir discuté au préalable avec les pays alliés et le Congrès américain.

Jake Sullivan, le conseiller à la Sécurité nationale, a surenchéri en affirmant que le président Biden avait pris sa décision après une « recommandation unanime » de son Administration. En claire, tous ses collaborateurs civils et militaires étaient « pour ».

De plus, Kiev aurait fourni des garanties écrites sur l’usage que ses forces feraient de ces armes afin de minimiser « les risques posés aux civils » et a assuré ne pas vouloir les utiliser en Russie même.

Nombre de pays ont interdit l’utilisation et la production de ce type de munition dans le cadre de la Convention d’Oslo de 2008. Mais force est de constater que ce n’est pas le cas pour les grandes puissances : États-Unis, Russie, Chine, Inde, Israël, … .

Carte montrant les pays où la Convention sur les armes à sous-munitions est entrée en vigueur (en violet), ainsi que ceux qui ont signé, mais pas ratifié (en bleu) ou adhéré (en rose) à l’accord. Les USA, la Russie, l’Ukraine, la Chine, l’Inde, le Pakistan, Israël, l’Arabie saoudite, le Maghreb (sauf la Tunisie), etc. ne l’on pas signé. 

Source : AndrewRT via Wikimedia.

 

Quid des armes à sous-munitions ?

Une arme à sous-munitions est une bombe, une roquette ou un obus qui s’ouvre dans les airs et libère des grenades (parfois appelées « bombelettes ») sur une vaste étendue.

Ces armes sont conçues pour neutraliser des véhicules ou des personnels à pied en atteignant plusieurs cibles à la fois.

Les obus à sous-munitions de 155  mm sont tirés par les mêmes armes d’artillerie que les États-Unis et leurs alliés ont déjà fournies à l’Ukraine pour la guerre.

Les sous-munitions « DPICM » (Dual-Purpose Improved Conventional Munitions) englobent divers types d’obus d’artillerie et de roquettes chargés de plusieurs types de sous-munitions qui sont tous conçus pour fonctionner à peu près de la même manière.

L’essentiel de la production des munitions chargées DPICM a eu lieu entre les années 1970 et 1990 ce qui voudrait dire que les munitions américaines ont plus de trente ans…

Ces sous munitions pouvaient être emportées dans des obus de 105 mm, 155 mm et 203 mm. Elles peuvent aussi être mises en œuvre par des roquettes d’artillerie de 227 mm tirées à partir des lanceurs M270 Multiple Launch Rocket System (MLRS) et M142 High Mobility Artillery Rocket System (HIMARS). Ces deux systèmes sont en service dans l’armée ukrainienne et la question se pose concernant la fourniture éventuelle de roquettes à sous-munitions car pourquoi ne fournir que des obus de 155 mm ?

Le DPICM a évolué à partir de la série antérieure d’armes à sous-munitions améliorées (ICM). Le «double usage» vient du fait que les sous-munitions DPICM, que l’armée américaine appelle des «grenades», sont conçues pour être au moins efficaces contre les véhicules blindés ainsi que contre des cibles plus molles comme les véhicules classiques et les forces débarquées.

Bien qu’il existe plusieurs types de sous-munitions DPICM, elles sont toutes conçues de la même façon avec une charge creuse destinée à percer le blindage (pas très épais mais elles arrivent par les toits relativement stabilisées par un ruban de queue) entourée d’un boîtier fonctionnant comme une grenade défensive envoyant des shrapnels aux alentours.

Le problème est que dans les conflits précédents et actuels (Vietnam, Afghanistan, Yémen, Liban, etc.), les armes à sous-munitions ont eu un taux de « ratés » élevé, ce qui signifie que des milliers de grenades non explosées sont restées sur place et ont tué ou mutilé des personnes bien des mois ou des années après. Les Américains reconnaissent jusqu’à 20% de grenades non explosées mais dans des cas très spécifiques qui freinent les sous-munitions dans leur chute : forte végétation, marais, etc.

Les États-Unis ont utilisé pour la dernière fois au combat ce type de munitions en 2003 en Irak. Ils ont arrêté de le faire quand les opérations se sont déplacées vers des environnements urbains aux des populations civiles plus denses.

Le brigadier général Patrick S. Ryder, porte-parole du Pentagone, a déclaré que le ministère de la Défense disposait de « plusieurs variantes » des munitions et que « celles que nous envisageons de fournir n’incluraient pas les modèles plus anciens avec des taux de non explosion supérieurs à 2,35 % ». Sur une munition qui comporte 600 grenades, environ 14 n’explosent pas à l’impact. Un obus de 155 mm qui en compte 72 en laisserait une à deux non explosées.

Pourquoi maintenant ?

Pendant plus d’un an, les États-Unis ont puisé dans leurs propres stocks de munitions de 155 mm et envoyé plus de deux millions d’obus en Ukraine. Les alliés du monde entier en ont fourni des centaines de milliers d’autres.

Un obus de 155 mm standard peut atteindre des cibles à des distances allant de 24 à 32 kilomètres, ce qui en fait une munition de choix pour les troupes terrestres ukrainiennes qui tentent d’atteindre des objectifs loin à l’intérieur des lignes ennemies.

L’arme à sous-munitions est une option intéressante car elle peut détruire plus de cibles avec moins d’obus. Comme les États-Unis ne les ont plus utilisées depuis 2003, ils en ont de grandes quantités en stock disponible immédiatement. Les Républicains ont fait état de plus de trois millions d’armes de ce type.

Ryan Brobst, analyste de recherche pour la Fondation pour la défense des démocraties (National Endowment for Democracy – NED) a affirmé que :  « les armes à sous-munitions sont plus efficaces que les obus d’artillerie classiques car elles infligent des dégâts sur une zone plus large […] C’est important pour l’Ukraine alors qu’elle essaie de nettoyer les positions russes fortement fortifiées […] Exploiter les stocks américains d’armes à sous-munitions pourrait remédier à la pénurie d’obus de l’Ukraine et atténuer la pression sur les stocks de 155 mm aux États-Unis et ailleurs ».

Comparaison entre les effets d’un obus d’artillerie à sous-munitions (à gauche), un hautement explosif avec une fusée à impact (au centre) et avec une fusée à explosion en altitude (à droite).

 

En outre, depuis que la Russie a lancé son invasion en 2022, il est clair que les forces ukrainiennes ont régulièrement la possibilité de frapper de grandes concentrations ennemies. Encore une fois, il faudrait un plus grand volume d’obus classiques et plus de temps pour saturer une zone de même superficie.

Un argument en faveur de la délivrance de telles munitions à l’Ukraine est que ce sont ses gouvernants légitimes qui choisiraient de les utiliser sur son propre territoire. Ils acceptent les risques de le faire et n’imposent pas leurs effets à long terme sur un autre État.

Il convient également de noter que l’armée américaine a déjà fourni des obus d’artillerie à sous-munitions chargés de mines antichar dispersables qui présentent également une menace pour d’autres types de véhicules. On ne sait pas pourquoi les obus RAAM (Remote Anti-Armor Mine) de 155 mm n’ont pas suscité le même type de débat politique.

Enfin, il est clair que l’armée russe a utilisé ce type de munitions en Syrie puis en Ukraine.

Quelle est leur légalité ?

L’utilisation de bombes sous-munitions en elle-même ne viole pas le droit international, mais leur utilisation contre des civils peut constituer un crime de guerre.

Comme dans toute frappe, il revient au commandement de vérifier si la cible est légitime et de tout faire pour éviter les pertes civiles dites « collatérales »..

Le directeur adjoint des armements de Human Rights Watch, Mark Hiznaya, déclaré à l’Associated Press : « cependant, la partie du droit international où cela commence à jouer (un rôle), ce sont les attaques aveugles visant des civils […] donc, ce n’est pas nécessairement lié aux armes, mais à la façon dont les armes sont utilisées ».

Moscou est directement visé pour l’utilisation que ses forces armées fait de ce type en ciblant des populations civiles.

Il n’existe pas d’« arme miracle » capable à elle seule d’inverser le sens de la guerre à l’exception des bombes atomiques américaines lors du second conflit mondial. Cela dit, les obus et autres roquettes à sous-munitions peuvent effectivement aider l’armée ukrainienne de manière notable, que ce soit en phase offensive comme c’est le cas actuellement, ou défensive si les Russes tentaient de reprendre l’initiative.

En réalité, elles vont surtout concourir à stabiliser le front en le rendant de plus en plus impraticable car des zones entières sont déjà minées ou truffées de munitions non explosées. Cela va réduire de plus en plus les possibilités de mouvements ce qui devrait obliger les parties à adopter une solution à la « coréenne » : pas d’accord de paix mais une ligne de démarcation depuis 1953…

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Texte

Alain Rodier