Le 6 juin 2023, des membres de la SEDENA (Secretarìa de la Defensa nacional) et de la Garde nationale du Mexique ont arrêté Cruz Antonio Gálvez Hernández alias « El Patrón » ou « Don Cruz » dans l'État méridional de Tabasco. « El Patrón » est un citoyen guatémaltèque soupçonné d'être le chef d'un groupe criminel.

L’arrestation avait eu lieu dans la municipalité de Tenosique et avait été rendue possible grâce au travail effectué par plusieurs agences de renseignement sous la supervision du procureur du spécialisé dans le crime organisé.

Cruz Antonio Gálvez Hernández vivait dans l’État de Tabasco au Mexique sans papiers mais les services guatémaltèques qui l’avaient « logé » avaient demandé à leurs homologues de procéder à son interpellation.

Le jour même, il avait été transféré à la frontière guatémaltèque dans l’État voisin du Petén et remis aux agents de la PNC – Police nationale civile – du Guatemala au poste frontière d’El Ceibo vers 20 heures.

Le convoi l’emmenant vers le palais de justice de La Libertad était tombé dans une embuscade. Néanmoins, il était parvenu à se réfugier dans la base militaire d’El Ceibo. Les hommes armés les y avaient poursuivi et étaient parvenus à pénétrer dans l’enceinte militaire et même à y dérober des armes.

Lors de la fusillade d’une quinzaine de minutes qui avait suivi, deux des assaillants avaient été tués par les forces de sécurité. Heureusement, lais le prisonnier n’avait pas pu être libéré.

Après l’attaque, le Ministerio de Gobernación a envoyé deux hélicoptères et un avion qui l’ont exfiltré vers la capitale où une audience au Tribunal Quinto de Sentencia Penal s’est tenue dans l’urgence vers minuit.

Lors de cette audience, il a été établi que « Don Cruz » devait ensuite être extradé vers les États-Unis, pays dans lequel il est accusé de trafic de cocaïne.

De nombreux prévenus guatémaltèques sont déjà en attente d’extradition (affiche ci-après) vers les USA où ils seront beaucoup mieux gardés qu’à domicile.

L’arrestation de « Don Cruz » le 6 juin avait été précédée le 5 janvier lorsque son frère Gustavo Adolfo Gálvez Hernández alias « El Tavo » avait été capturé entre les municipalités d’El Naranjo et de La Libertad (en haut à gauche sur l’affiche).

Les 14 et 15 juin, les autorités guatémaltèques ont mené cinq raids dans certaines zones de La Libertad à la recherche des suspects impliqués dans l’attaque. Quelques armes volées dans la caserne d’El Ceibo ont été récupérées (photo ci-après).

Une organisation inconnue avec des liens avec des groupes mexicains

L’une des questions soulevées à la suite de ces évènements est celle de l’identification de l’organisation que dirigeait « Don Cruz ». Bien que le groupe ait été désigné comme « Los Gálvez », il n’y a aucune trace d’une quelconque structure criminelle guatémaltèque portant ce nom.

La vérité est que bien que les accusations portées contre « Don Cruz » par la Cour fédérale du district oriental du Texas soient liées à l’appartenance à une organisation criminelle de trafic de drogue, certains journaux ont attribué à ce groupe des activités criminelles plus larges qui comprennent le trafic d’armes et d’êtres humains.

Le procureur de l’État guatémaltèque a publié une déclaration officielle présentant « Los Gálvez » comme une importante organisation criminelle opérant entre 2006 et juin 2020 non seulement en Amérique centrale mais aussi en Amérique du Nord et du Sud.

Les médias mexicains ont révélé que le groupe coordonnait le trafic de drogue entre la province de Petén située au nord du Guatemala et les États mexicains de Campeche et Tabasco.

En ce qui concerne leurs homologues mexicains, il existe des rapports déroutants.

La Jornada (Mexique) pense que « Los Gálvez » sont liés au cartel du Golfe.

D’autres sources comme Infobae.com ou la Prensa Libre guatémaltèque les ont liées au Cártel de Jalisco Nueva Generación (CJNG).

Guatemala : un refuge pour le crime organisé en raison de la situation politique

Les différents indices qui mesurent la qualité de la démocratie en Amérique latine placent généralement le Guatemala dans les dernières places, dépassant seulement Cuba, le Venezuela et le Nicaragua.

Des bandes criminelles y sèment la terreur, le taux d’homicides s’établissant en 2022 à 17,3 pour 100.000 habitants, ce qui est le triple de la moyenne mondiale.

Le pays a subi une guerre civile très brutale de 1960 à 1996 qui a causé la mort d’au moins 200. 000 personnes et la disparition de 50 000 autres.

Après la signature des accords de paix en 1996, la guérilla de l’URNG (Unité révolutionnaire nationale guatémaltèque, Unidad Revolucionaria Nacional Guatemalteca) s’est démobilisée et a rejoint le système démocratique multipartite – certes imparfait – mais des unités paramilitaires clandestines ont été créées au sein des forces armées pour mener des opérations de contre-insurrection dans les zones urbaines. Elles ont commencé à coopter des cellules criminelles de droit commun dans un conglomérat criminel connu sous le nom de CIACS (Cuerpos Ilegales y Aparatos Clandestinos de Seguridad CIACS) – Organismes illégaux et appareils de sécurité clandestins – qui a déclenché une guerre dans le but d’obtenir le monopole du crime organisé au Guatemala.

Les activités de ce dernier ne se limitent pas uniquement au trafic de drogue mais aussi à ceux des armes et des êtres humains ainsi qu’au blanchiment d’argent et à la corruption politique.

Cet état de choses n’a fait qu’empirer lorsque Los Zetas venus du Mexique ont fait leur apparition dans l’État septentrional du Petén à la fin des années 2000 absorbant rapidement les cellules criminelles locales.

Pour y faire face, la Commission internationale guatémaltèque contre la corruption et l’impunité (CICIG) a été créée en 2006.

Malgré des succès initiaux dans leur lutte contre les structures criminelles – qui ont même vu le démantèlement de gangs dirigés par des chefs des Forces armées et de la Police nationale civile – la CICIG a été démantelée en 2019 par le président Jimmy Morales lui-même impliqué dans des cas de corruption.

Deux des gangs de rues les plus connus des Amériques – le Mara Salvatrucha ou MS13 et le gang de la 18ème rue ou Barrio 18 – ont aussi une influence importante au Guatemala comme au Honduras et au Salvador.

Les élections de juin 2023, vers un retournement ?

Le premier tour de l’élection présidentielle guatémaltèque a eu lieu le 25 juin 2023 en même temps que les élections législatives et municipales.

Les résultats ont donné l’ex-Première Dame Sandra Torres (conservatrice) en tête des 22 candidats avec 15,8% des voix.

Mais à la surprise générale, le député de centre-gauche Bernardo Arévalo, grand pourfendeur de la corruption, remporte 12% des suffrages. Les sondages ne lui donnaient que 3%.

Les deux candidats à un mandat de quatre ans non renouvelable à la tête de l’État seront départagés le 20 août lors d’un second tour.

L’élection 2023 marque une rupture après trois présidences de droite successives: Otto Perez (2012-2015), Jimmy Morales (2016-2020) et le président sortant Alejandro Giammattei.

Mais un peu plus de 40% des 9,4 millions d’électeurs inscrits se sont abstenus (37,84% il y a quatre ans). Surtout, 17,4% des votants ont glissé un bulletin nul dans l’urne contre 4,1% lors de la précédente élection.

De plus, trois favoris, dont Thelma Cabrera une dirigeante des peuples autochtones maya (qui représentent environ 45% du corps électoral) ont été écartés de la compétition.

Les Guatémaltèques ne se font guère d’illusions sur la possibilité de changer la réalité de leur pays gangréné par la corruption, la misère et la violence des bandes criminelles.

Ces évictions ont semé le doute sur la loyauté du scrutin et sur l’impartialité des institutions, accusées de manœuvrer pour préserver un régime autoritaire et corrompu fondé sur la cooptation des élites dirigeantes.

Comme cela a été vu précédemment, depuis l’arrivée au pouvoir de Jimmy Morales en 2015, un processus de démantèlement des institutions spécialisées dans la lutte contre la corruption a commencé. Cela a été le cas de la CICIG mais aussi du Bureau du procureur spécialisé contre l’impunité (FECI).

Ces actions ont été poursuivies par le président Alejandro Giammattei lorsqu’il a pris ses fonctions en 2019 élargissant l’oppression aux juges, procureurs et avocats.

Simultanément une pression politique a été exercée contre les journalistes dont le directeur de la rédaction du plus important journal d’investigations guatémaltèque, El Periódico (qui a été contraint de fermer) José Rubén Zamora, condamné à six ans de prison.

Cette période a également été marquée par des poursuites pénales lancées contre des dirigeants de l’opposition politique

Le gouvernement d’Alejandro Giammattei s’est distingué par des actions qui ont bafoué les garanties constitutionnelles et par un processus de régression dans la protection des droits humains.

La Banque mondiale estime que le Guatemala est l’un des pays les plus inégalitaires d’Amérique latine avec 10,3 millions de ses 17,6 millions d’habitants qui vivent sous le seuil de pauvreté et un enfant sur deux qui souffre de dénutrition (source : ONU).

Il y a donc peu de chances que les choses évoluent dans un sens favorable même si Bernardo Arévalo est élu en août. Il sera coincé par le système de corruption qui gangrène le pays et par un crime organisé plus puissant que jamais en Amérique latine.

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Texte

Alain Rodier