Les Occidentaux continuent à tourner en rond à propos de la livraison de chars lourds (ou « de bataille ») à l’Ukraine qui en réclame 600 pour pouvoir repousser les forces d’invasion russes hors de ses frontières (Donbass et Crimée y-compris).

Pour Berlin, il est hors de question de livrer des chars Leopard 2 (et d’autoriser des pays détenteurs de cet engin à en livrer) tant que Washington ne fournira pas de son côté des Abrams.
Or, le Pentagone justifie cette « non-livraison » de chars lourds par des questions de maintenance et de formation.
Alors que la question était posée lors d’un point presse du Pentagone, son numéro trois, Colin Kahl a répondu : « je ne pense pas que nous en soyons là » alors que le Royaume-Uni, venait de promettre de fournir 14 Challenger 2.
Il a ajouté : « le char Abrams est un équipement très compliqué. Il est cher, il requiert une formation difficile, il a un moteur d’avion à réaction. Je crois qu’il consomme 11 litres de kérosène au kilomètres […] Ce n’est pas le système le plus facile à entretenir ».
Il n’a toutefois pas exclu que la position de Washington pourrait changer selon l’évolution de la situation militaire sur le terrain.
De son côté, Llyod Austin, le ministre américain de la Défense, s’est toujours bien gardé d’autoriser la livraison aux Ukrainiens des armements qu’ils « ne peuvent pas réparer, qu’ils ne peuvent pas entretenir … ».

Si tous les arguments techniques sont parfaitement exacts et valables pour les autres modèles proposés (certes, le Leopard 2 est tout de même plus simple d’emploi – et moins cher -), la décision est avant tout politique. Pour l’instant, Washington progresse pas à pas vis-à-vis de la Russie, faisant reculer très progressivement les supposées « lignes rouges ». Comme aux échecs, ils avancent une pièce et attendent la réaction de l’adversaire. Si ce dernier ne renverse pas la table, ils en avancent une autre et ainsi de suite.
En matière de chars lourds, la première phase a consisté à faire livrer par des pays qui en étaient dotés des chars T-72 qui équipent déjà l’armée ukrainienne, ce qui facilite considérablement la formation de nouveaux équipages et l’entretien dans les ateliers locaux. Entre autres, la Pologne a fait fort en livrant quelques 230 exemplaires devant recevoir en compensation 116 Abrams (1).
La deuxième phase consiste à faire livrer par l’Europe des chars occidentaux. Les Britanniques ont été priés de montrer l’exemple mais là également, le geste est « politique ». Un escadron de Challenger va être plus un poids pour l’armée ukrainienne qu’un réel atout. L’objectif est visiblement de faire bouger Berlin pour qu’enfin, l’autorisation d’exporter des Leopard 2 soit autorisée à tous les pays qui en sont équipés.
Pour le moment, c’est là que cela coince, les Allemands se disant prêts à délivrer les autorisations nécessaires si les Américains montrent l’exemple.

Enfin pour terminer, avoir des chars entretenus et des équipages formés est loin d’être suffisant. Encore faut-il former des pelotons, des escadrons, des bataillons … à manœuvrer en coordination avec les autres armes – infanterie, génie, artillerie – et si possible, avec la troisième dimension (aviation et drones). C’est une affaire extrêmement complexe qui prend des mois de préparation. Des officiers ukrainiens seraient en ce moment dans des écoles militaires aux États-Unis pour cela…
Et puis il reste tout de même l’ennemi. Lui aussi il sait manœuvrer – même si le début de l’« opération spéciale » a été catastrophique sur ce plan -, et surtout, dans la doctrine russe : une concentration de blindés adverses nécessaire pour effectuer une « percée décisive » est susceptible de constituer un objectif privilégié pour des frappes nucléaires tactiques.

1. Voir « Les chars US pour la Pologne » du 11 janvier 2023.

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Texte

Alain Rodier

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