Le « brouillard de la guerre » encore épaissi par les propagandes des deux parties a rendu très délicat le suivi de la retraite russe de la région de Kherson.

La Russie avait officiellement annoncé son retrait le 9 novembre. Le 11 novembre, elle a affirmé avoir complètement achevé son redéploiement.
Techniquement parlant, cela est rigoureusement impossible car une telle manœuvre de la 49e armée et du 22e corps d’armée nécessitait plusieurs semaines si le retrait devait être effectué en récupérant un maximum de matériels et en préservant les personnels. Des éléments disparates ont été acheminés sur la rive est du Dniepr pour assurer le recueil des unités qui se repliaient de l’ouest. Ils ont commencé à aménager des positions défensives (tranchées, batteries protégées, etc.).

Il est logique de déduire de ce qui précède que la décision du retrait des forces russes avait été prise bien avant son annonce officielle et que la majorité des unités avaient déjà fait mouvement ne laissant que des forces d’arrière-garde et détruisant les matériels qu’elles ne pouvaient emmener.

Les principales voies de franchissement du Dniepr ont été détruites le 11 novembre dont le pont de la centrale hydroélectrique de Kakhovska et celui d’Antonovsky. Les Russes comptaient ainsi « fermer la porte derrière eux ».

L’Ukraine pilonnait le pont Antonovsky depuis des semaines sans pour autant parvenir à le détruire ce qui aurait considérablement gêné le passage des véhicules vers l’est.

Pour garder la discrétion de cette opération de repli, elle a été accompagnée d’une manœuvre de diversion. Ainsi, l’évacuation d’une partie des populations civiles de Kherson avait laissé croire que les Russes se préparaient à mener une bataille de longue haleine dans la ville. D’ailleurs, l’annonce du repli militaire n’a pas été cru par Kiev qui a pensé à un piège destiné à détruire ses troupes si ces dernières se précipitaient pour s’emparer du terrain abandonné.

La divulgation par Moscou de la fabrication d’une « bombe sale » par l’Ukraine que la Russie pourrait employer des armes nucléaires tactiques, pourquoi pas dans la région de Kherson évacuée de ses habitants alors que les forces ukrainiennes s’y amoncelaient. Cette crainte a disparu tant l’idée semblait farfelue. La Russie n’allait pas atomiser une région qu’elle venait d’annexer et dont les 87,05% (pour 687 votants) avaient voté pour son rattachement (mais cela, c’est une autre histoire qui méritera d’être développée ultérieurement)…

Ce « redéploiement » a été justifié par la volonté du commandement russe d’épargner la vie des populations et de ses soldats…

Certains observateurs pensent qu’il y a eu vraisemblablement un accord secret conclu entre Moscou et Washington. Les Russes auraient abandonné Kherson sans combats et, en échange, les forces ukrainiennes les auraient laissé quitter la zone sans intervenir… Il est en effet sidérant de constater que les services de renseignement américains n’ont pas fait officiellement état des mouvements de troupes russes qui ne pouvaient leur échapper.

Parallèlement, il est évident que les communications secrètes entre Moscou et Washington n’ont jamais cessé et que la guerre se terminera quand ces deux capitales se mettront d’accord sur les modalités. À l’évidence, ce n’est pas encore à l’ordre du jour.

L’échec russe

Il est certain qu’après l’échec devant Kiev en mars et la déroute du nord-est dans la région de Kharkiv en septembre, cette retraite devrait être rudement ressentie à Moscou.
Vladimir Poutine s’était engagé personnellement en proclamant fin septembre l’annexion de quatre régions ukrainiennes, dont celle de Kherson. Il avait même prévenu qu’il défendrait « par tous les moyens » ce qu’il considère désormais comme des « territoires russes ». Il est pour l’instant resté bien silencieux.
Les manœuvres politiques autour de Poutine doivent être actuellement intenses sans que personne ne soit capable d’en prévoir le dénouement. Quelle est l’influence du ministère de la défense, des généraux (qui peuvent s’opposer au Mindef), du couple infernal Evgueni Prigojine – Ramzan Kadyrov, de la Douma, etc. ?

Et ailleurs…

Militairement, Moscou a continué de mener des frappes dans la profondeur du territoire ukrainien poursuivant ses destructions d’’infrastructures énergétiques entraînant des coupures l’électricité dans une grande partie du pays. L’objectif est à l’évidence de désorganiser le fonctionnement de la société civile avant l’hiver.

Sur le plan tactique, l’armée russe appuyée par le groupe Wagner, continue aussi son grignotage dans la région de Bakhmout, une localité qu’elle tente de conquérir depuis l’été. L’aéroport de Donetsk est tombé, les forces de la RPD (République populaire de Donetsk) en ayant pris le contrôle après huit ans de combats.

L’hiver arrivant, les positions de part et d’autre vont automatiquement se figer. Les deux belligérants vont en profiter pour se réorganiser, la Russie devant recevoir le renfort de ses 300.000 réservistes ayant reçu un minimum de formation. Les premières opportunités de reprendre les mouvements viendront avec les grands froids.
En attendant, les Ukrainiens vont « sécuriser » la région de Kherson en recherchant les militaires russes et autres « collaborateurs » restés sur zone… La chasse aux « traîtres » risque d’être féroce… Cela dit, les responsables de Wagner savent aussi se montrer abominables ayant apparemment exécuté l’un des leurs qui s’était rendu aux Ukrainiens (mais qui avait ensuite été repris par les Russes) d’une manière particulièrement atroce. Comme Daech, ils ont diffusé cette horreur sur le net pour « faire un exemple ». Cela dit, il convient de garder une grande méfiance vis-à-vis des propagandes diffusées par les deux camps…

Mais, la stabilisation du front ne va pas arrêter les duels d’artillerie. La Corée du Sud aurait vendu 100.000 obus de 155 mm aux États-Unis pour que ses derniers les livrent ensuite à Kiev.
Plus inquiétant encore pour les Russes, depuis leurs nouvelles positions le long du Dniepr, toute la Crimée est à portée des HIMARS ukrainiens…

Pour le général Mark A. Miley, le chef d’état-major américain, les Ukrainiens ont fait tout ce qu’il était possible de faire en fonction de ce qu’ils pouvaient raisonnablement attendre sur le champ de bataille avant l’hiver. En un mot, Washington pense qu’il convient maintenant de négocier…

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Texte

Alain Rodier

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