Au moment ou presque la totalité des pays membres de l’OTAN se rangent sans sourciller derrière Washington dans sa politique concernant la Russie et la Chine, la Turquie, membre de l’Alliance montre une indépendance criante vis-à-vis de la Maison Blanche.

Le président Recep Tayyip Erdoğan entretient des relations, aussi bien avec l’Ukraine qu’avec Moscou. Il a été reçu par le président Volodymyr Zelinsky à Kiev le 18 août avec le secrétaire général de l’ONU António Guterres. Apparemment, il joue les « monsieur les bons offices » mais en réalité, il pense principalement aux intérêts de la Turquie en composant avec les différentes parties. Au cours de cette rencontre, Guterres et Erdogan ont fait part de leur inquiétude quant à la situation de la centrale nucléaire de Zaporijjia, le premier évoquant un « suicide », le second, « un nouveau Tchernobyl »(1).

Pourquoi Washington qui est très sévère avec toute « déviance » d’un pays allié (subordonné ?) montre une telle mansuétude vis-à-vis d’Ankara sur les grands sujets que son l’Ukraine, l’Arménie, les Kurdes, les achats d’armes russes, etc. ?

La réponse est simple, la position géographique de la Turquie qui est stratégique pour les États-Unis. Depuis la Turquie, ils peuvent contrôler le Proche-Orient mais aussi les marches de la Russie sans parler de la Méditerranée orientale.

La principale est la base d’Inçirlik.
Pendant les périodes de tension entre Ankara et Washington, cette base a toujours été un moyen de négociations pour la Turquie contre les États-Unis.

La base d’Inçirlik est situé à douze kilomètres d’Adana. Elle utilisée dans le cadre d’un accord de défense et de coopération entre la Turquie et les États-Unis entré en vigueur en mars 1980.
Cerise sur le gâteau, les États-Unis auraient entreposé des dizaines d’armes nucléaires B61 susceptibles d’armer des avions US et Turc dans le cadre de l’OTAN. Mais contrairement à ce que beaucoup pensent, Inçirlik est sous commandement turc et les Américains (et parfois autres pays de l’OTAN) ne sont que des « invités ».

Le ministère turc de la défense est très claire à ce propos : « Incirlik est l’une de nos bases aériennes appartenant aux forces armées turques. C’est une base turque, et elle appartient, y compris ses installations, à la République turque […] (la Turquie) « laisse le gouvernement des États-Unis participer à des mesures de défense conjointes dans les installations des forces armées turques à Inçirlik».

Si Ankara décidait de fermer Inçirlik aux Américains, cela déclencherait de fait la fin de l’alliance turco-américaine et conduirait Washington à abandonner Ankara en tant que partenaire régional. Mais les solutions de rechange sur zone sont minces même si des tractations avec la Grèce et Chypre ont lieu. Aucune installation n’offre des capacités d’accueil du même niveau.

Ozgur Unluhisarcikli, le directeur du bureau d’Ankara du « German Marshall Fund of the United States (GMF) »(2) déclarait à ce propos : « en raison de sa situation géographique et du fait qu’elle se trouve dans un pays stable et sûr, Inçirlik constitue la base aérienne la moins chère et la plus efficace de l’US Air Force dans la région ».

Si le gouvernement turc avait autorisé l’utilisation de la base durant la Première guerre du Golfe en 1990, ce n’avait pas été le cas lors de la seconde en 2003.
Le président Erdoğan avait menacé de fermer Inçirlik en décembre 2019 lorsque le Sénat américain avait adopté une résolution reconnaissant le génocide arménien. Il n’y a pas eu de réaction officielle d’Ankara après la déclaration de Joe Biden du 24 février 2021 allant dans le même sens.

Si la décision d’acquérir des systèmes de défense anti-aérien S-400 à la Russie avait provoqué la fureur de Washington par la voix de son secrétaire d’État, Antony Blinken, ce dernier menaçant de déclencher de nouvelles sanctions si cela se renouvelait, les discussions continuent entre Moscou et Ankara pour l’acquisition par la Turquie d’un deuxième lot de S-400.

•1. Selon un expert français : « si une bombe détruit le cœur d’un réacteur cela peut provoquer un désastre comme Tchernobyl, même si les réacteurs sont de type différent (VVER réacteurs à eau sous pression de conception russe ) ; par contre une bombe sur le stockage de déchets (sans pression) produirait des dégâts localement (irradiations, contaminations) ». Il est évident que le Russes ne s’auto-bombardent pas. Par contre, il est vraisemblable qu’ils détournent l’électricité fournie (quatre réacteurs sur six seraient à l’arrêt donc la production est moindre) vers des zones qu’ils tiennent déjà. C’est sans doute pour cette raison que les bombardement actuels visent surtout des lignes haute tension autour de la centrale… à vérifier.
•2. Créé en 1947, le German Marshall Fund of the United States est une institution américaine de politique publique qui vise à promouvoir les relations transatlantiques, par le biais d’un important réseau d’experts et de financement de projets (Wikipedia).

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Texte

Alain Rodier

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