Le président Vladimir Poutine va profiter de la commémoration de la victoire de l’Armée Rouge sur le Nazisme le 9 mai (la victoire est commémorée le 8 mai en Occident) pour donner son interprétation concernant les résultats de l’« opération spéciale » menée par la Russie en Ukraine. Pour la suite, toutes « les options sont sur la table ».

Il peut rester à un niveau « modéré » en affirmant que les forces russes remplissent avec succès la mission qui leur a été confiée. Personne ne sera alors dupe de ce gros mensonge ; le conflit qui devait être court est parti pour s’éterniser et depuis quinze jours, les positions militaires évoluent peu sur le terrain. Si cela continue à ce rythme, et sans percée stratégique majeure, c’est une guerre de tranchées qui est repartie pour les mois, voire les années à venir.

Poutine va certainement vitupérer contre les livraisons d’armes effectuées par l’Occident – et peut-être menacer de représailles – tout en oubliant un peu rapidement que l’URSS avait aidé tous les mouvements révolutionnaires de la planète depuis l’Extrême-orient jusqu’aux continents africain et latino-américains sans en subir de conséquences directes. Seule la crise de Cuba de 1962 avait mené le monde au bord du précipice. Il est vrai qu’alors les États-Unis étaient directement menacé sur leur sol ce qui n’est plus arrivé depuis.

Si c’est le choix qu’a fait Poutine, cela prouvera que les États-Unis auront gagné leur pari même si cela ne se fait pas sentir immédiatement : remettre la Russie au rang d’une puissance régionale. Ce ne sera plus qu’un État fournisseur de matières premières bradées à la Chine et dans une bien moindre mesure à l’Inde, qui sauront récupérer les dividendes de la situation économique désastreuse dans laquelle la Russie est en train de tomber. Un exemple, les hydrocarbures russes se négocient aujourd’hui 30% moins cher qu’avant l’invasion de l’Ukraine. Toutefois, les exportations vers la Chine ont augmenté de 60%.

Mais confronté à ce qui est incontestablement pour le moment un échec militaire qui se transforme peu à peu en un échec personnel, le président Poutine risque de prendre des mesures radicales qui peuvent aller jusqu’à la mobilisation générale (avec toutes les versions intermédiaires possibles). Mais si cette décision est prise, même si elle n’aura pas d’effet tactique à court ou moyen terme du fait de l’impréparation des personnels, elle pourrait mobiliser la population derrière son président car il présentera la Russie comme la victime de l’agressivité de l’Occident libéral emmené par les États-Unis. Pour le moment, il semble et, selon ce que l’on peut savoir, qu’il reste majoritairement populaire. Bien sûr, la propagande et le muselage de toute opposition y sont pour quelque chose mais la résilience du peuple russe face à toute « menace extérieure » n’est pas nouvelle (résistance aux invasions napoléonienne puis nazie).

Il convient de reconnaître que, depuis l’effondrement de l’URSS , la Maison-Blanche a donné les arguments « qui vont bien » pour provoquer l’ire russe : intervention en Serbie puis invasion de l’Irak en dehors de toutes les règles internationales, extension de l’emprise de l’OTAN sur les marches de la Russie, déclarations politiques méprisantes voulant montrer qui dirige le monde, etc. et ce malgré les nombreux échecs rencontrés ici et là, le plus récent restant le retrait d’Afghanistan qui a rappelé les douloureux souvenirs de Saigon en 1975.

Et la menace nucléaire dans tout cela ?

Comme cela a été dit depuis quelques semaines, Washington ne semble plus croire que Vladimir Poutine puisse se rendre responsable d’un acte « inapproprié », c’est-à-dire le déclenchement d’une frappe d’armes nucléaires tactiques sur des objectifs situés « hors couverture OTAN »(1), donc n’importe où en Ukraine.
Les Américains sont persuadés que les Russes, comme eux, savent qu’une frappe nucléaire limitée entraînerait automatique l’engagement des forces stratégiques et que ce serait alors la « fin du monde ». Le concept avait été développé en 1983 lors de la manoeuvre « Proud Prophet », des simulations réalisées par l’armée américaine destinées à évaluer les effets de leurs stratégies dans l’éventualité d’un conflit nucléaire avec l’Union Soviétique(2) avaient amené la conclusion qu’un engagement limité d’« armes du champ de bataille » conduisait inéluctablement à la guerre nucléaire totale.

Cela semble parfaitement réaliste quant à une frappe en premier par les Occidentaux mais il faut aujourd’hui inverser le scénario. Si Moscou se sentant acculé en Ukraine décidait de délivrer des frappes nucléaires tactiques.

. Les forces du Pacte de Varsovie puis de Russie se sont toujours entraînées pour une telle éventualité. Leurs matériels de premières lignes sont conçus pour cela avec des systèmes de pressurisation et de filtrage d’air. Une frappe nucléaire tactique qui engage toujours plusieurs armes, doit être suivie dans la foulée d’un assaut blindé pour percer les défenses adverses, neutraliser ce qui reste à détruire, puis occuper le terrain. Même si les résultats tactiques ne sont pas garantis car cela n’a jamais été fait, une telle manœuvre donnerait au minimum de l’air aux forces russes…

Ces frappes seraient encore plus destinées à « calmer les velléités interventionnistes de l’Occident ».
La question qui se pose est : quelle serait la réaction de Washington et de Paris, les deux seuls pays occidentaux dont les dirigeants ont la possibilité d’« appuyer sur le bouton » ?

Et c’est là que se trouve le problème central : les présidents américain et français (le PM britannique se conforme à la décision de Washington) sont-ils disposés à franchir l’étape suivante, c’est-à-dire à riposter avec également des armes tactiques sachant que se serait l’engrenage infernal vers la guerre nucléaire totale ?

Déjà, cette question lancinante avait fait douter le général de Gaulle qui pensait que les États-Unis ne se sacrifieraient pas pour le « vieux continent » en cas d’attaque du Pacte de Varsovie – et pourtant à l’époque, des milliers de militaires américains positionnés en Europe pouvaient être été tués -. C’est pour cette raison qu’il avait décidé la mise sur pied d’une force nucléaire de dissuasion nationale qui serait mise en œuvre si les intérêts vitaux de la nation étaient menacés. La nature de ces « intérêts vitaux » est toujours restée volontairement floue pour que l’adversaire éventuel ne sache pas où était la « ligne rouge » à ne pas franchir.

Attendons le discours du 9 mai pour en savoir plus…

1. Sur un pays de l’OTAN, cela pourrait conduire à l’escalade apocalyptique mais cette option n’est pas certaine.
2. ce que les USA appelaient « désescalade par l’escalade » était l’idée qu’une frappe nucléaire limitée pourrait empêcher le Pacte de Varsovie de progresser plus avant.

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Texte

Alain Rodier

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