Alors que la situation tactique était relativement figée depuis le début mars, les choses se sont accélérées rapidement ces derniers jours. Selon les instructions données par le président Vladimir Poutine, les unités qui tentaient d’encercler la capitale Kiev se sont repliées relativement en bon ordre en Biélorussie et en Russie. Les forces ukrainiennes qui réoccupent précautionneusement le terrain en raison des mines et pièges laissés par les Russes derrière eux, découvrent des horreurs qui, selon Kiev, devraient être qualifiées de « génocide ».

Malgré ce qu’a pu dire le président Poutine prétendant que l’offensive sur Kiev n’était qu’une « diversion », il semble bien qu’elle se soit révélée être un échec cuisant de sa stratégie qui consistait à faire tomber le gouvernement ukrainien sous le prétexte de « dénazification ».
Il pensait que l’armée russe serait accueillie favorablement, car il croyait que les peuples ukrainien et russe étaient des « frères ». Il est possible qu’il ne se soit pas trompé dans ses qualifications, mais alors cela veut dire que cette conquête est devenue une « guerre civile ». Pour tous les professionnels, la guerre est une chose abominable, mais son pendant « civil » est encore pire. Les belligérants se massacrent parce que se connaissant, ils se haïssent profondément.

Le massacre de Boutcha attribué à la Russie.

Depuis l’invasion totalement illégale de l’Ukraine par la Russie, Kiev a tenté avec un succès légitime de rencontrer la sympathie des pays occidentaux. Mais la propagande est allée plus loin en voulant diaboliser l’agresseur en affirmant que l’armée russe se rendait responsable de crimes de guerre voire d’un génocide. Les bombardements indiscriminés de zones civiles donnaient aux Ukrainiens les bons arguments pour cela. Dès la fin mars avant même le retrait russe de l’olblast de Kiev, la procureure générale d’Ukraine Iryna Venediktova annonçait avoir recueilli des preuves pour 2.500 cas présumés de crimes de guerre et avoir identifié « plusieurs centaines de suspects ».
Mais, quand en mars 2022, les forces russes ont évacué la ville de Boutcha dans la périphérie de Kiev, les Ukrainiens auraient découvert à leur arrivée le 1er avril des scènes d’abomination, de nombreux civils (au moins 400) ayant été assassinés et certains cadavres étant encore sur la voie publique. Les recherches dans des fosses communes ainsi qu’aux alentours de cette ville ont débuté.
Il est évident que des investigations – si possible indépendantes (mais qui est « indépendant » aujourd’hui dans le conflit ukrainien ?) – doivent obligatoirement avoir lieu.
Mais il convient aussi de garder raison dans le déchaînement des passions que ces horreurs provoquent. La loi du talion n’est pas loin et la vraie justice n’a rien a y gagner. De plus, si les Ukrainiens chauffés à blanc se vengent en employant des méthodes similaires, cela donnera le prétexte rêvé pour le président Poutine de mobiliser sa population contre Kiev et les Occidentaux qui sont en soutien.

Et il est utile d’avoir en mémoire quelques expériences du passé.
. Historiquement, les Russes ont toujours été féroces à la guerre s’affranchissant allégrement de toutes les conventions internationales. Lors de la Seconde Guerre mondiale, après s’être partagé la Pologne avec Hitler, ils se sont rendus coupables (entre autres) du massacre de Katyń lorsque le NKVD (la police politique ancêtre du KGB) a assassiné au printemps 1940 plusieurs milliers de cadres polonais considérés comme réfractaires à l’idéologie communiste. Ce crime de masse n’a été reconnu officiellement par Moscou qu’en 1990 !
. En 1941, Hitler s’est attaqué à l’URSS rompant le pacte germano-soviétique. Les Allemands l’ont payé très cher, car, s’ils se sont montrés monstrueux, les Soviétiques leur ont rendu la pareille en utilisant tous les moyens à leur disposition. Dès l’entrée des forces soviétiques en Allemagne, le viol a été institué comme un moyen d’asservissement de populations à soumettre…
. Les exemples des exactions commises lors de la Seconde Guerre mondiale sont légion. Les responsables nazis l’ont justement payé lors du procès de Nuremberg – 1945-46 – (et certains responsables japonais lors des procès de Tokyo – 1946-48 -), mais il y a eu peu de cas de procès du côté des vainqueurs.
. Sur le plan de la manipulation de l’information, l’affaire des charniers de Timişoara en Roumanie en 1989 est enseignée dans toutes les bonnes écoles de journalisme. Les observateurs ont, à l’époque, été roulés dans la farine par les opposants au régime de Nicolae Ceauşescu. Cette affaire l’a conduit, lui et son épouse, à être exécuté sommairement alors qu’il y avait beaucoup d’autres sujets qui auraient permis de les faire condamner lourdement par une justice un peu impartiale.
. En 1914, une légende a couru selon laquelle les Allemands (les « Boches » comme on les appelait en France à l’époque) coupaient systématiquement les mains des enfants belges. Cette information aura la vie dure malgré l’insistance de la Commission d’enquête sur la violation des droits des gens, qui a déclaré que rien ne permettait d’affirmer ces faits et certainement pas leur caractère systématique. L’image de l’enfant belge martyrisé sera surtout utilisée à destination de la communauté internationale pour solliciter la générosité des donateurs et mettre l’opinion publique dans le camp des alliés.

Que va-t-il se passer ?

Tout le monde se pose la question de la suite.

. Sur le plan militaire, les unités qui se sont repliées en Biélorussie (35è et 36è Armées) et en Russie (41è Armée et vraisemblablement une partie de la 1è Armée de chars) ne vont pas être opérationnelles immédiatement, car elles sont usées et diminuées.
. Il n’empêche qu’une offensive venant de l’est destinée à conquérir l’ensemble du Donbass est au programme, le président Poutine l’a officiellement annoncé et, pour une fois, tout le monde est porté à le croire.
. Enfin, Marioupol pourrait tomber dans les jours qui viennent et l’objectif évident pour les Russes est de maintenir une liaison terrestre entre la Crimée et le Donbass.
. Par contre, l’offensive sur Odessa semble être passée au deuxième plan pour le moment.

. Ce n’est pas demain que le président Poutine et son entourage passeront devant une cour de justice internationale, ce qui ne signifie pas qu’il ne faille pas instruire le dossier en recueillant un maximum de preuves qui risquent de disparaître avec le temps.

. Sur le scène internationale, les Américains sont à la tête de la lutte contre Moscou.
S’ils sont satisfaits globalement de l’attitude européenne, celle des riches pays du Golfe persique leur pose question. En dehors du fait que Mohammed Ben Salmane (MBS) fait payer sa mise au ban par les Occidentaux après l’assassinat en 2017 de l’opposant Jamal Khashoggi à Istanbul(1), les Émirats arabes unis (EAU) sont aussi très remontés contre les États-Unis. Ces pays sont ulcérés par l’attitude de Washington qui, pour eux, n’a plus les moyens de ses ambitions, mais qui tente de leur imposer sa loi.

Il est probable qu’il va se produire un certain nombre de retournements d’alliances dans les temps à venir. Ce qui se dessine, c’est :
. D’un côté l’Europe(2), le Canada, l’Australie, la Nouvelle Zélande, le Japon, Taiwan, la Corée du Sud (à confirmer) derrière les États-Unis ;
. de l’autre la Russie, la Chine (qui va maintenant négocier de nombreux accords en position de force, Moscou n’ayant plus vraiment le choix), l’Iran, le Venezuela, Cuba et à terme les pays du Golfe persique.
. Les autres choisiront en fonction de leurs intérêts directs. La stabilité de certains pays va être mise en grave danger en raison de l’augmentation exponentielle du prix des matières premières qui frappera de plein fouet les populations. Des émeutes de la faim ne sont pas à exclure.
. Il restera quelques électrons libres comme Israël et la Corée du Nord(3).

Le président Poutine a ouvert la boîte de Pandore en envahissant l’Ukraine. Les conséquences pour la planète entière ne sont pas aujourd’hui prévisibles en dehors du fait qu’elles vont être révolutionnaires, au sens propre comme au figuré du terme.

1. La Turquie vient de transférer ce dossier judiciaire explosif de l’assassinat à Riyad où il va être enterré. Cela prouve que le président turc s’est considérablement rapproché de l’Arabie saoudite comme il l’a déjà fait avec les EAU alors que ces royaumes étaient ses adversaires politico-religieux (Erdoğan défendant les Frères musulmans, ennemis de ces dynasties).
2. La plupart des pays européens vont se retrouver presque complètement dépendants économiquement des États-Unis avec comme première conséquence une importante augmentation des prix à la consommation. Les suites sociales ne sont pas mesurables pour l’instant.
3. Ces deux pays fondamentalement différents ont un seul point commun : si leur existence même est mise en danger, leurs dirigeants n’hésiteraient pas une seconde à déclencher le feu nucléaire.

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Texte

Alain Rodier

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