Fin décembre, le ministre de la défense russe Sergeï Choïgu a annoncé que les travaux d’agrandissement de la piste ouest d’aviation de la base de Hmeimim en Syrie étaient terminés. Elle permet désormais d’accueillir des bombardiers stratégiques à long rayon d’action Tupolev Tu-22M3.

Cette transformation est surtout destinée à accroître l’influence militaire russe sur la Méditerranée orientale et sur le Proche-Orient.

Les travaux avaient été décidés en 2019 et avaient débuté en 2020 avec l’accord de Damas qui avait dû céder de nouveaux terrains permettant cette extension (les parties russes de l’aéroport de Hmeimim et du port de Tartous bénéficient de l’extraterritorialité). La piste de 2.797 mètres à l’origine mesure désormais 3.199 mètres de long pour 52-54 mètres de large avec un nouveau enrobé. La signalisation lumineuse et les balises ont aussi été changées. Pour la première fois, trois Tu-22M3 ont séjourné sur la base en mai. En juin, un nouveau déploiement avait eu lieu mais les Tu-22M3 étaient alors accompagnés de MiG-31K armés de missiles hypersoniques.

Il est évident que cela n’avait rien à voir avec des mesures pour contrer la menace terroriste représentée par Daech ou même par les rebelles syriens. Moscou a voulu démontrer que les États-Unis ne sont pas les seuls à pouvoir déployer leurs bombardiers stratégiques hors de leurs frontières comme ces derniers le font avec la projection de B-52 en Grande Bretagne ou en Norvège.
La base de Hmeimim devient ainsi une menace sur le flanc sud de l’Otan tout en permettant de participer à la défense de la Crimée (annexée par la Russie en 2014) lors d’un conflit éventuel.
Par ailleurs, l’armée de l’air russe a démontré en décembre 2021 ses capacités de déploiement sur d’autres bases syriennes en envoyant plus d’une vingtaine d’aéronefs couverts par un A-50 AWACS sur les aéroports de Hassaké et Deir ez-Zor à proximité des forces américaines présentes dans ces régions pour protéger les puits de pétrole et les Forces démocratiques syriennes (FDS).
Puisque le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire n’a pas été renouvelé en 2019 (à l’initiative de Washington qui reprochait à Moscou de faire de l’obstruction) , les Russes n’ont pas caché qu’ils pouvaient très bien étendre la portée de leurs systèmes de défense anti-navires Iskander et Bastion installés à Tartous de 500 à 5.000 kilomètres.

Cela dit, la Russie continue à présenter de graves lacunes pour projeter des forces opérationnelles en nombre. Elle manque de navires de guerre de haute mer et ses capacités de transport aérien demeurent relativement modestes. Mener une campagne dans une ambiance de « haute intensité » n’est pas comparable à acheminer quelques centaines de « mercenaires » en Afrique en affrétant des vols civils.

Tupolev TU-22M3M

Le TU-22 a été conçu dans les années 1960. De nombreux modèles se sont succédés, 500 appareils ayant été construits. La Russie a encore une soixantaine de Tu-22M3 dont certains ont été mis en oeuvre en Syrie à partir de 2016, les appareils faisant escale sur la base d’Hamadan en Iran (qui bénéficie d’une piste de 3.234 mètres).
Une trentaine de ces appareils sont en cours de modernisation au standard Tu-22M3M. Ces avions ont un rayon d’action à pleine charge de 2.410 kilomètres mais ils peuvent être ravitaillés en vol.
Dans le cadre des mesures coercitives prises par la Russie face à ce qu’elle considère comme des agressions de l’Otan, elle utilise à plein ses bombardiers stratégiques Tupolev. Ils peuvent mettre en œuvre une palette de bombes lisses (principalement employées en Syrie) mais aussi de nombreux missiles de croisière. Entre autres, ils sont susceptibles d’être armés de trois missiles Kh-32 (une amélioration de l’actuel Kh-22).
Les Tu-22M3M peuvent aussi – au choix – emporter quatre missiles Kh-47M2 Kinjal, huit missiles Kh-55 ou 12 missile aéro-balistiques Rhaduga Kh-15.

Même si ce n’est pas leur mission première, les missiles Kh-15 et Kh-32 peuvent également être équipés d’ogives nucléaires. En effet, en cas de guerre nucléaire, la Russie devrait plutôt mettre en œuvre des armes sol-sol ou mer-sol qui seraient beaucoup plus difficiles à intercepter. Bien sûr, il y a les 50 Tu-160 M2 (version modernisée de Tu-160) et les 20 Tu-95 MSM (version modernisée du Tu-95) qui sont prévus. Leurs prédécesseurs viennent régulièrement rôder autour des pays membres de l’Otan et des Tu-95 ont mis en œuvre des missiles Kh-555 en Syrie.

À noter qu’à terme ces trois bombardiers devraient être remplacés par un seul appareil polyvalent et furtif dont le nom de code est PAK DA. C’est Tupolev qui aurait remporté le contrat mais il semble que le programme ait pris du retard, ce qui expliquerait la modernisation d’une partie de la flotte existante. Il n’y a à ce jour aucune représentation officielle de ce mystérieux PAK DA.

Si Moscou peut déployer des Tu-22M3M à Hmeimim, il est aussi possible en cas de crise de les faire atterrir sur l’aéroport de Kaliningrad/Khrabrovo qui a une piste de 3.350 mètres de long ou dans un pays ami comme la Biélorussie (en particulier sur la base aérienne de Machulishchy près de Minsk).

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Texte

Alain Rodier

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