Une vidéo datée du 19 août 2021 publiée par « le Centre de média Al Yaqout » (créé en 2019) met en scène le mouvement Ansaru qui félicite les taliban pour avoir « chassé les forces infidèles d’Afghanistan ».
En fait, elle n’a été diffusée qu’à la mi-décembre. Dans ce document, Ansaru se place dans la lignée de la mouvance d’Al-Qaida « canal historique » ce qui signifie qu’il est encore bien présent aujourd’hui (surtout au Nigeria et dans la région du lac Tchad) malgré l’arrestation de son chef en 2016(2).
C’est au début de l’année 2012 que Ansaru (Jamāatu Anṣāril Muslimīna fī Bilādis Sūdān – l’Avant garde pour la protection des musulmans en Afrique noire -) est apparu via un « organe de presse » rattaché à Al-Qaida « canal historique ». En fait, ce mouvement qui est une dissidence de Boko Haram avait été mis sur pied dès 2011.
Son premier leader était un certain Abubakar Adam Kambar remplacé après sa mort en 2012 par Khalid al-Barnawi alias Abou Usamatal Ansari (arrêté en 2016)(1).
Il s’est montré rapidement opérationnel certains de ses activistes ayant suivi un entraînement dans le Sahel aux côtes d’Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) (dont ses chefs surnommés les « Sahariens »). D’autres sont passés dans les rangs des Shebabs somaliens.
Ainsi, Ansaru a été à même de monter des opérations complexes dont l’attaque de novembre 2012 de la prison d’Abuja qui a permis de libérer 37 combattants. Il s’est fait surtout connaître par de nombreux enlèvements d’Européens au nord du Nigeria (dont celui non revendiqué en mai 2011 d’un Britannique et d’un Italien dans la ville de Birnin Kebbi, celui de Francis Collomp à Rimi en décembre 2012 puis d’un kidnapping de deux Libanais, deux Syriens, un Grec, un Italien et un Britannique dans l’État de Bauchi en février 2013, etc.). Ansaru a assassiné les otages pris en 2011 et 2013 prétextant une opération de secours organisée conjointement par les Britanniques et les Nigérians.
Ansaru a aussi mené de nombreuses attaques contre les forces de sécurité nigérianes comme celle dirigée contre un convoi militaire en janvier 2013 dans l’État de Kogi qui devait se rendre au Mali pour participer à la lutte contre AQMI aux côtés des forces maliennes.
Avant 2013, Ansaru était étroitement lié à AQMI et ce dernier lui faisait bénéficier de ses « organes de presse » pour publier ses revendications.
Abubakar Shekau qui était l’émir de Boko Haram depuis 2009 (il a été tué en mai 2021 par l’ISWAP) s’est opposé à Ansaru, surtout dans son fief du Nord-Ouest du pays parfois en coopérant indirectement avec les forces régulières nigériennes en lui fournissant des informations sur la localisation de ses « concurrents » d’Ansaru pour que ce soient elles qui s’en chargent.
Les opérations Serval puis Barkhane lancées par l’armée française en 2013 ont fait perdre à Ansaru les liens directs qu’il entretenait avec AQMI, et surtout le soutien en matériel et en instruction qu’il en tirait. Le résultat est que de nombreux activistes ont quitté Ansaru pour rejoindre Boko Haram ou l’ISWA.
De 2014 à 2020, Ansaru a continué d’exister en mode survie. Il semble qu’il s’est mêlé à des groupes qualifiés de « bandits » ou « coupeurs de routes » qui se livrent à des actions purement criminelles comme l’enlèvement de jeunes élèves rendus contre rançons.
Cette reconnaissance officielle des taliban par une branche d’Al-Qaida « canal historique » ne peut qu’inquiéter. Quelle va être l’attitude du nouveau gouvernement en place à Kaboul vis-à-vis de son vieux « compagnon de combat ». Va t’il le laisser agir à sa guise ou le contrôler étroitement car cela démange certainement le Docteur Ayman al-Zawahiri, l’émir historique d’Al-Qaida, de se servir de l’Afghanistan comme base retranchée pour relancer la nébuleuse dans des opérations extérieures et ainsi redonner du souffle au combat jihadiste internationaliste.
1. À ne pas confondre avec Abou Mousab al-Barnawi (voir « Lac Tchad. Combats entre jihadistes » du 4 octobre 2021) alias Habib Yousouf, un des fils du fondateur de Boko Haram qui a également quitté Boko Haram pour fonder la « province de l’État Islamique en Afrique de l’Ouest » (ISWAP – Islamic State in West Africa Province) officiellement reconnue par Daech.
2. L’identité de son remplaçant n’est pas connue, sans doute volontairement pour préserver sa sécurité.
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