La contre-offensive gouvernementale lancée après la proclamation de l’état d’urgence en novembre 2021 par les forces légalistes éthiopiennes a poussé les rebelles tigréens à abandonner les territoires qu’ils occupaient depuis avril dans les deux provinces voisines, l’Afar et l’Amhara.

Alors qu’ils étaient en position de menacer la capitale à la fin de l’été, ce retournement spectaculaire de situation fait qu’ils sont désormais de retour au Tigré. Ils se disent prêts à négocier la paix avec Addis-Abeba en demandant la médiation des Nations Unies.

Dans ce but, le leader du Front de libération du peuple du Tigré FLPT, Debretsion Gebremichael (à gauche sur la photo), a adressé une lettre à l’ONU le 20 décembre qui affirme que « ce retrait représente une ouverture décisive pour la paix ». Il y décrit ce repli comme une manière de respecter les appels de la communauté internationale à une désescalade. Il propose à l’ONU de mettre en place un cessez le feu, le retour de l’aide humanitaire, et de lancer un processus de paix. Il demande l’établissement d’une zone d’exclusion aérienne au dessus du Tigré et l’imposition d’embargos sur les armes à destination de l’Éthiopie et de son allié érythréen ainsi qu’un mécanisme pour vérifier que des « forces extérieures » ont évacué le Tigré. Il propose également la libération de prisonniers politiques et la venue d’enquêteurs internationaux afin qu’ils poursuivent les responsables de nombreux crimes de guerre dénoncés par Amnesty international.
Mais pour le moment, l’ONU préfère que les négociations passent par l’Organisation de l’Union Africaine (OUA) qui a désigné en août l’ancien président nigérian Olesegun Obasanjo comme envoyé spécial pour la Corne de l’Afrique.

Selon Madame Billene Seyoum, la porte parole du Premier ministre Abiy Ahmed (prix Nobel en 2019 pour avoir conclu la paix avec l’Érythrée, à droite sur la photo), ce retrait est une manière de camoufler une série de défaites militaires qui ont clos l’insurrection qui a débuté le 4 novembre 2020 emmenée par le FLPT et l’Armée de libération oromo (ALO). En effet, bien que Gebremichael assure que ses forces sont intactes, ses capacités militaires ont souffert face aux nombreuses frappes de l’armée fédérale en particulier aidée par les Émirats arabes unis (EAU)(2) et par d’autres. En effet, les forces armées équipées majoritairement de matériels russes (et ex-URSS), ukrainiens, américains, chinois, etc. auraient reçu au moins deux drones armés iraniens Mohajer-6 avec une station de contrôle terrestre (photographiés à l’aéroport de Semera en août 2021). Il est possible que d’autres drones du même type étaient en cours de déploiement au sein des forces légalistes au même moment.

Le fait que les soutiens d’Addis-Abeba soient iraniens, émiratis, turcs (et précédemment israéliens mais avec des drones non armés) montre l’intérêt géostratégique que représente l’Éthiopie pour ces pays en quête d’influence en Afrique.

Cette guerre civile a fait des milliers de victimes. Une dizaine de millions de personnes vivant dans le nord du pays ont un besoin urgent d’aide alimentaire et de soins. Elle a aussi provoqué le retrait partiel des forces éthiopiennes de Somalie où elles combattaient les jihadistes dont les shebabs au sein de la mission de l’Union africaine en Somalie ( Amisom – African Union Mission in Somalia -). Elle a déstabilisé la zone et par ricochet le Soudan qui accueille 400.000 réfugiés. L’avenir reste incertain quand l’on constate les retournements de situation qui peuvent intervenir.

1. En réalité, il a été – au minimum – appuyé et soutenu dans sa démarche par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU).
2. Voir : « Émirats arabes unis : une influence grandissante » du 26 novembre 2021.

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Texte

Alain Rodier

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