Alors que l’attention est focalisée sur les actions terroristes de grande ampleur menées par les branches de Daech en Afghanistan (IS-K) et en Afrique (ISWAP, ISCAP, l’EI en Somalie et dans une moindre mesure Boko Haram sur le déclin au profit de l’ISWAP), le noyau central basé à cheval sur la Syrie et l’Irak est en train de renaître de ses cendres et peut redevenir redoutable dans les mois et les années à venir.
Dans les faits, Daech n’a jamais vraiment disparu de ce théâtre de guerre, les activistes survivants s’étant uniquement fondu dans la nature pour se réorganiser en petits groupes agissant indépendamment. Surtout, l’idéologie pratiquées, le salafisme-jihadisme est toujours présente au sein de ses membres mais est aussi favorablement accueillie par les populations les plus déshéritées qui ne supportent pas la mainmise du pouvoir à Bagdad et à Damas par des non-sunnites. Plus encore, la misère devient insupportable lorsque la corruption est la règle du haut en bas de l’échelle administrative. Daech est donc considéré par beaucoup de sunnites comme le porteur de la révolte appelée la « guerre sainte ». Cette organisation trouve en conséquence soutiens logistiques, renseignements et surtout de nouvelles recrues encore plus fanatisées que leurs aînés.
Le renseignement américain estime à 10.000 le nombre d’activistes répartis entre les deux pays mais il ne prend pas en compte les familles, certes non combattantes directement, mais sans lesquelles, les jihadistes ne pourraient pas survivre. Jusqu’à maintenant, ces derniers se sont livrés à une insurrection de basse intensité qui a rencontré des succès divers.
Selon la DIA (Defense Intelligence Agency), en Syrie, Daech après une période de récupération et de reconstitution semble être en train de relancer l’offensive(1). Cela a débuté en septembre avec de nombreuses opérations coordonnées menées contre les forces du régime dans le désert central du pays. D’autres cibles ont été les routes d’approvisionnement et même les milices soutenues par l’Iran.
D’autre part, le renseignement américain craint que des combattants aient franchi l’Euphrate pour rejoindre le nord-est de la Syrie où des forces américaines sont encore aux côtés des Forces démocratiques syriennes (FDS) et ne se préparent à passer sous peu à l’action.
Les villes syriennes de Raqqa et Deir ez-Zor seraient noyautées par des cellules clandestines de Daech. Enfin, les camps de réfugiés comme celui d’al-Hol où sont regroupés 60.000 femmes et enfants sont devenus des incubateurs de jihadistes. Ces mêmes camps permettraient à Daech de se financer grâce à des dons envoyés par ses sympathisants depuis le monde entier.
En Irak, Daech a su créer des bases arrière à partir desquelles il a mené d’importantes opérations offensives mieux planifiées et exécutées que par le passé. Ses premières cibles sont les forces irakiennes et les infrastructures.
Bagdad a toutefois réalisé de « bons coups », particulièrement en arrêtant des responsables de Daech dont Sami Jasim Muhammad al-Jaburi alias Hajji Hamid décrit par le Pentagone comme l’un des « leaders principaux de Daech ». Il était même donné comme le successeur éventuel de le calife actuel Amir Mohammed Abdul Rahman al-Mawli al-Salbi alias Abou Ibrahim al-Hachimi al-Qourachi si ce dernier venait à être neutralisé (la prime sur sa tête a été portée à dix millions de dollars).
Par contre Washington – vraisemblablement échaudé par la chute ultra-rapide du régime afghan – n’est pas tendre avec Bagdad. L’Inspecteur Général du Département de la Défense Sean O’Donnel écrit dans son dernier rapport publié fin octobre : « les Forces de sécurité irakiennes (ISF) continuent à démontrer leur faible niveau de sécurité opérationnelle, un manque d’informations crédibles pour mener des opérations contre l’ISIS (Daech), leur suffisance, un contrôle et une coordination trop faibles de leurs moyens de combat ». Les responsables de l’Opération Inherent Resolve affirment de leur côté que les forces irakiennes ne parviennent pas à remporter des succès significatifs lors des opérations anti-Daech si elles ne bénéficient pas de l’assistance de la coalition…
Il n’empêche que les forces américaines combattantes devraient avoir quitté l’Irak d’ici la fin de l’année. Afin d’éviter une débâcle possible(2), Washington a annoncé qu’il poursuivrait malgré tout son assistance en matière d’entraînement, de soutien et de renseignement. Cette fois, ils se retirent – sans se retirer -.
Il convient de souligner que la problématique est différente de l’Afghanistan. Si Daech est l’ennemi officiel que Washington continue à combattre via les Forces démocratiques syriennes et les Forces de sécurité irakiennes, son adversaire principal dont il souhaite contrer l’influence dans ces deux pays reste l’Iran (3).
1. Voir : « Syrie : le retour de Daech sur le devant de la scène » du 18 février 2021.
2. Le désordre politique le plus complet règne en Irak depuis les élections législatives du 10 octobre 2021. L’Alliance Fatah (proche des milices chiites parrainées par de Téhéran) ne décolère pas de sa perte de 31 sièges (seulement 17 sièges obtenus sur 329) parlant de trucages et déclenche manifestation sur manifestation. Dans la nuit du 6 au 7 novembre, le Premier ministre Moustafa al-Kazimi considéré comme « proche de Washington » a même été la cible d’une tentative d’assassinat à l’aide de drones.
3. Washington s’oppose en Syrie au régime de Bachar el-Assad car il est proche de Téhéran et en Irak aux milices « Hachd al-Chaabi » (Unités de mobilisation populaire) chiites qui pèsent un poids important à Bagdad.
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