Les ministres de la Défense de l'Otan ont donné leur aval le 18 octobre à une nouvelle stratégie de l’Alliance destinée à vaincre la Russie en cas du déclenchement d’un conflit de haute intensité. Moscou a répliqué en affirmant que, dans ces conditions, il était inutile de poursuivre le dialogue avec l’Alliance.

Le 21 octobre, les ministres réunis à Bruxelles ont signé le « concept pour la dissuasion et la défense dans la zone euro-atlantique ». Le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, a affirmé que cela faisait partie de l’effort pour « continuer à renforcer notre alliance avec des plans meilleurs et modernisés ». Il a ajouté : « les relations entre l’Otan et la Russie sont au niveau le plus bas depuis la fin de la guerre Froide et cela en raison de la conduite des Russes […] Ils ont envahi leurs voisins, ils ont annexé des morceaux d’un autre pays, il ont investi lourdement dans de nouvelles capacités nucléaires […] ils se sont infiltrés dans nos processus démocratiques, etc. ».

Les responsables de l’Otan insistent toutefois sur le fait qu’ils ne croient pas qu’une attaque soit imminente mais qu’il est approprié de se préparer à tous les cas de figure. Il est prévu dans ce plan que les forces de l’Alliance pourraient affronter leurs homologues russes à la fois dans les régions de la Baltique et de la mer Noire. Ce plan s’intéresse également aux méthodes non-conventionnelles qui incluent l’utilisation d’armes nucléaires, de cyber-attaques et même d’un conflit dans l’espace.

Dans le domaine nucléaire, il semble que certains responsables politiques n’ont pas une vision correcte des choses, surtout en raison d’une grande ignorance historique ajoutée à une difficulté à évaluer correctement la situation. Ainsi, répondant à la question de savoir si l’Otan réfléchissait à des scénarios de « dissuasion de la Russie », la ministre de la défense (sortante) allemande, Annegret Kramp-Karrenbauer, a soutenu le 21 octobre que les pays occidentaux étaient prêts à avoir recours à « de tels moyens pour qu’ils aient un effet dissuasif à l’avance et que personne n’ait l’idée d’attaquer les partenaires de l’Otan ».

Elle ne peut théoriquement ignorer que même si des avions de l’Alliance ont la capacité d’emporter l’arme atomique, la clef du feu nucléaire se trouve à Washington et, éventuellement à Paris. En conséquence, les dirigeants des autres pays membres de l’Otan ne peuvent pas influer véritablement sur la décision des présidents américain et français. Or ces derniers ont à l’esprit la question classique : « est-ce que je vais engager la survie de mon pays pour défendre les voisins ?».

Historiquement, les États-Unis n’ont risqué la guerre nucléaire contre les Russes qu’au moment de la crise de Cuba en octobre 1962 parce que leur territoire était directement menacé.

Il y a eu ensuite une période de tension avec les euromissiles lors de laquelle le président François Mitterrand a fait sa sortie au Bundestag (alors installé à Bonn) le 20 janvier 1983 : « les pacifistes sont à l’Ouest et les missiles sont à l’Est ». Il pouvait parler haut et fort parce que la France avait sa force de dissuasion nucléaire indépendante… de Washington (la clef des armes britanniques est aux États-Unis).

De son côté – et peut-être mieux informé – évoquant « la menace croissante des systèmes de missiles russes », Jens Stoltenberg, a déclaré que l’Alliance n’avait « aucune intention de déployer de nouveaux missiles nucléaires terrestres en Europe ». Cela n’exclut en rien d’autres options aéroterrestres ou navales.
Et le dialogue entre les deux camps ?

Le porte-parole de Kremlin, Dimitri Peskov, a déclaré le 22 octobre : « il n’y a pas de dialogue sous ces conditions […] [l’adoption] d’un tel concept par l’Otan vient encore de le confirmer ».
Toutes ces déclarations interviennent après la rupture officielle déclarée le 18 octobre mais devant intervenir le 1er novembre, des liens diplomatiques directs qui existaient entre la Russie et l’Otan. Cela ne veut pas dire que le contact est perdu, l’Alliance pouvant encore s’adresser au Kremlin via l’ambassade de Russie en Belgique.

En outre, tous les pays membres de l’Alliance ont une représentation diplomatique à Moscou. Mais surtout, le commandement militaire de l’Otan en Europe, (Supreme Allied Commander Europe -SACEUR- ) maintient une ligne directe avec le Chef d’état major général russe (Chief of the General Staff -CGS-). Les deux officiers généraux se rencontrent d’ailleurs personnellement de temps en temps dans des endroits « neutres ».

Cela démontre que Moscou considère que son seul interlocuteur valable est Washington et que toute la bureaucratie otanienne est obsolète. L’OTAN n’est que le corridor d’entrée vers les États-Unis qui sont les vrais patrons de l’Alliance. Alors, pourquoi les Russes perdraient-ils du temps avec les « subordonnés » quand ils peuvent directement s’adresser au « Boss » ?

Les griefs de Moscou vis-à-vis de l’OTAN

Depuis la fin de l’URSS et l’éclatement du Pacte de Varsovie, la Russie n’a pas compris que l’Otan ne soit pas dissoute puisque la menace que faisait peser l’Armée rouge sur l’Europe s’était éteinte. Il est vrai que l’idéologie communiste qui devait gagner la planète entière ayant quasi disparu, la Russie n’avait plus aucun intérêt à se livrer à des conquêtes militaires. Un peu benoîtement, elle avait même demandé à rejoindre l’Alliance ne comprenant pas que les Américains voulaient toujours l’utiliser contre elle. Puis elle a très mal pris – mais sans réagir car elle n’en avait pas la capacité – le dépeçage de l’ex-Yougoslavie menée sous l’égide de l’Otan, puis le fait que des ex-pays de l’Est aient rejoint l’Alliance. Enfin le grignotage des ses « marches » qui ont fini par attirer ses réactions en Géorgie puis en Ukraine où la Russie a récupéré la Crimée jugée stratégiquement indispensable par le Kremlin (le port de Sébastopol, point de départ de la flotte russe vers les « mers chaudes », ne pouvait être abandonné à l’Ukraine qui aurait fini par en donner les clefs à l’OTAN).

Actuellement, le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Alexandre Grouchko, a déclaré avoir constaté un renforcement continu des capacités militaires de l’Otan aux frontières russes. Pour lui, il ne s’agit pas seulement d’activités militaires accrues, d’un grand nombre de manœuvres ayant une composante stratégique (nucléaire) mais aussi de la construction d’infrastructures, d’aérodromes, d’entrepôts, du déploiement d’équipements pour les renforts, d’infrastructures portuaires. Il a détaillé : « nous observons une activité accrue en Bulgarie et en Roumanie, et elle [l’Alliance] mène à la transformation aussi de la mer Noire en une arène de confrontation militaire; la mer Baltique ils l’ont déjà transformée en une arène de rivalité militaire. […] C’est une voie extrêmement dangereuse, pleine de risques d’incidents militaires ».

Plus généralement, pour Moscou, la tension n’a jamais aussi élevée, même du temps de la guerre Froide et les risques d’incidents pouvant dégénérer se multiplient car les rencontres d’avions ou de navires des deux parties se multiplient.

Sur le théâtre extrême-oriental

C’est aussi vrai sur le théâtre extrême-oriental même si ce n’est pas l’Otan qui est directement engagé mais le pacte de sécurité stratégique « AUKUS » (annoncé le 15 septembre entre l’Australie, la Grande-Bretagne et les États-Unis) et ses alliés japonais, taïwanais et sud-coréens. L’adversaire désigné est d’abord la Chine qui veut contrôler de plus en plus d’espaces maritimes et surtout, qui rêve de récupérer Taïwan qui, officiellement, ne fait qu’un avec le Continent (l’ONU ne reconnaît qu’une seule Chine).

Le président Joe Biden dans un élan d’enthousiasme qui commence à lui être familier, a répondu le 21 octobre à la question suivante : « les États-Unis seraient-ils prêts à défendre Taïwan en cas d’attaque de la Chine ? » : « Oui, nous avons un engagement en ce sens ». (affirmation atténuée par un communiqué postérieur de la Maison Blanche : « la politique des États-Unis vis-à-vis de Taïwan n’a pas changé… »). Cette déclaration intempestive sur le plan diplomatique suivait une grande manoeuvre navale engageant des bâtiments et aéronefs de l’AUKUS, des Pays Bas, de la Nouvelle Zélande et du Japon au sud-est d’Okinawa au Japon.

En parallèle, l’exercice maritime russo-chinois, « Interaction maritime-2021 » se déroulait du 14 au 16 octobre dans la mer du Japon. Plus inquiétant, il était suivi par une « patrouille maritime conjointe » – composée de dix vaisseaux russes et cinq navires chinois – dans la région du Pacifique occidental du 17 au 23 octobre 2021» qui était la première du genre.

Il est évident que tout le monde montre ses muscles à l’heure actuelle. Si la volonté hégémonique de Pékin dans sa zone d’influence n’est un mystère pour aucun observateur, celle de Moscou laisse plus dubitative. Mais à faire de l’anti-Russie en permanence, les Occidentaux sont en train de pousser Moscou dans le camp de Pékin ce qui semble une aberration tant les relations sino-russes sont à la base très délicates. Les militaires dans tous les camps, sont enchantés de ce « va-t’en guerre » de leurs chefs politiques qui ne semble pas se rendre compte de ce que sont les horreurs de la guerre ; cela leur permet de demander plus de moyens financiers et humains pour répondre aux missions qui leur sont confiées.

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Texte

Alain Rodier

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