L’Histoire se répète sans que les responsables politiques concernés ne semblent en tirer les leçons. Ils célèbrent victoire après victoire sur le terrorisme – comme si un « moyen de combat » pouvait être vaincu – mais la « bête » renaît systématiquement de ses cendres. Ainsi, quand Ben Laden a été tué au Pakistan en 2011 par un commando des Navy Seals, s’en était fini d’Al-Qaida « canal historique ». Peu d’intérêt a été porté sur son remplaçant et ancien second, le docteur Ayman al-Zawahiri car il paraît qu’il n’avait pas le même « charisme ». Il n’empêche qu’il est toujours présent lançant à l’occasion des messages audio pour galvaniser ses troupes que l’on disait moribondes.
Puis cela a été le tour de Daech d’être « vaincu » en Syrie et en Irak, le point final étant la mort d’Abou Bakr al-Baghdadi, lui aussi tué en 2019 par un commando américain (cette fois dépendant de la force Delta) dans la province d’Idlib située au nord-ouest de la Syrie.
Au Sahel, Abdelmalek Droukdel, le légendaire émir d’Al-Qaida au Maghreb Islamique a à son tour été neutralisé au Mali en 2020, cette fois par l’armée française.
Si l’on en croit les communiqués officiels, partout des activistes et des responsables intermédiaires de groupes salafistes-jihadistes sont sans cesse neutralisés. C’est à un tel point que les Américains, très friands de statistiques et de autres « camemberts » power point ont, selon certaines de leurs savantes études, liquidé au moins deux fois les effectifs annoncés (par eux-mêmes) de Daech sur le front syro-irakien. Et il en reste toujours !
En fait, il convient de ne pas prendre les responsables politiques pour des ignorants. Les discours volontairement optimistes sont destinés à rassurer les populations de manière à ne qu’elles ne vivent pas dans la crainte permanente de la menace terroriste surtout en ce moment, alors qu’elles sont déjà assez ébranlées par les suites de la crise de la Covid-19 et par les prévisions sur un avenir économique qui se révèle extrêmement sombre.
C’est sans doute pour cette raison que les mouvements salafistes-jihadistes multiplient les opérations offensives là où ils le peuvent pour se rappeler aux bons souvenirs de leurs ennemis, les « mécréants » (les chrétiens, les juifs, les athées…) et les « apostats » (les dirigeants de tous les pays musulmans de la planète). Plus important pour eux que de frapper les esprits de leurs ennemis, il leur faut soumettre par tous les moyens les populations au milieu desquelles ils vivent. Quand l’idéologie ne suffit pas, c’est la terreur qui est employée. Cela explique les assassinats de chefs locaux mais aussi les tueries de masse qui sont survenues au Mozambique et au Nigeria à la fin 2020 puis au Sahel au début de l’année. A chaque fois, plus de cent civils ont été assassinés.
L’augmentation des opérations menées en Afrique et au Proche-Orient s’explique aussi par la « concurrence » que se livrent globalement Al-Qaida et Daech. Plus précisément, au Sahel, Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) et les mouvements qui lui sont associés au sein du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) d’un côté à Daech de l’autre même s’il est éclaté entre la province de l’Afrique de l’Ouest (et plus au Sud en République Démocratique du Congo, celle de l’Afrique centrale), Boko Haram mouvement lui-même partagé en deux factions. C’est le même cas en Somalie où les Shebabs affilés à Al-Qaida luttent contre l’État Islamique local.
Par contre, en Égypte et surtout dans le Sinaï, c’est l’État Islamique qui semble tenir le haut de la dune puisque les pavés n’y existent pas.
Al-Qaida est aussi à l’offensive en Syrie où les troupes russes ont été prises à partie à deux reprises le 29 décembre et le 1er janvier par les « Gardiens de la religion », une émanation officielle de la nébuleuse emmenée par Al-Zawahiri. L’EI de son côté multiplie les coups de main en Irak et en Syrie de manière à maintenir une insécurité globale qui lui permettra de réapparaître frontalement quand la situation sera suffisamment dégradée. Dans la région, le reste des forces est éparpillé entre troupes gouvernementales, milices proches de l’Iran, Kurdes (eux-mêmes profondément divisés) et rebelles plus ou moins dépendant de la Turquie.
En Afghanistan, Al-Qaida reste aux côtés des talibans qui s’étripent avec Daech. Ce mouvement, pour tenter d’exister sur la scène internationale lance attaque sur attaque dans la capitale en visant comme ailleurs des cibles molles, les civils(1).
L’Extrême-Orient reste une poudrière là également partagé entre les fidèles d’Al-Qaida et ceux de l’État Islamique. Il n’y a que le Caucase qui reste relativement calme en dehors d’attentats sporadiques (le dernier a eu lieu en décembre à Grozni). Cela peut s’expliquer par la répression féroce menée par les autorités emmenée par le bouillant président tchétchène, Ramzan Akhmadovitch Kadyrov. De plus, sur le plan idéologico-religieux, il coupe l’herbe sous le pied des radicaux islamiques sunnites faisant pratiquer un islam encore plus rigoriste par ses administrés (pour lui, c’est une autre affaire).
Les responsables politiques occidentaux savent bien que la solution militaire n’existe pas. Pour être clair, aucune victoire militaire durable n’est envisageable. Deux systèmes civilisationnels s’opposent : d’un côté les salafistes-jihadistes qui proposent des « solutions » aux populations locales via la loi islamique (et il convient de reconnaître qu’ils savent être « convaincants »), de l’autre, les Occidentaux défenseurs d’une séparation des pouvoirs entre le politique et le religieux. Bien que cela soit difficile à admettre, il faudra bien faire un jour comme les Américains en Afghanistan : négocier. Le problème est avec qui?
Parallèlement, certaines officines et organes de presse alertent régulièrement sur les dangers terroristes conduits par les chiites pilotés par Téhéran et par l’ultra-droite. Même les autorités se font piéger comme Laurent Nunez, le coordinateur du renseignement qui affirme au début janvier : « On voit en ce moment une montée en puissance de la mouvance survivaliste ou suprématiste au sein de l’ultra-droite. C’est une source d’inquiétude ». S’il ne faut effectivement écarter aucune option et rester vigilant car tout est possible(2), il semble que c’est majoritairement de la désinformation menée dans des buts politiques précis destinés à détourner l’attention de la menace principale actuelle : l’activisme islamique radical sunnite.
1. Bien que Daech soit issu de la branche irakienne d’Al-Qaida, ces deux mouvements sont désormais très différents. Al-Qaida s’en prend aujourd’hui (ce n’a pas été le cas lors des attentats du 11 septembre 2001 ni ensuite en Europe) à des ennemis bien définis (forces de sécurité, journalistes, politiques, etc.) alors que Daech tape tout ce qu’il trouve, les civils étant forcément « coupables » pour ne pas avoir fait allégeance. Ces activistes sont de véritables fous-furieux même si ceux d’Al-Qaida ne peuvent en aucun cas être considérés comme des « modérés ».
2. Un exemple de terrorisme atypique : l’enquête sur l’attentat à la bombe de Nashville le jour de Noël a démontré que l’auteur (Anthony Quinn Warner) croyait en des extraterrestres et des lézards qui allaient dominer le monde. Il est certain que le complotisme gagne du terrain, que ce soit à cause de la 5G ou de l’origine du coronavirus qui seraient des moyens de domination mondiale employé par des mégalomanes.
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