Début décembre, le président turc Recep Tayyip Erdoğan a mis en émoi les pays méditerranéens et occidentaux quand il a déclaré que la Turquie était prête à envoyer des troupes en Libye pour soutenir le gouvernement d’union nationale (GNA). Auparavant reconnu par la communauté internationale et mis en place sous l’égide des Nations unies fin 2015, le GNA est maintenant contesté par nombre de pays, dont la France, l’accusant de n’être qu’un ramassis de milices mafieuses. Mais le GNA est soutenu par la Turquie et le Qatar, qui lui fournissent suffisamment d’armement et d’équipements pour résister avec succès à l’offensive de son adversaire, l’Armée nationale libyenne (ANL) du général Khalifa Haftar.

Ce dernier avait lancé une offensive contre Tripoli, qu’il croyait définitive, en avril 2019, appuyé par l’Égypte, les Émirats arabes unis, et officieusement par la Russie, la France et la Grande-Bretagne. Toutefois, cette offensive s’est enlisée dans les sables devant la capitale de feu Khadafi, chaque camp ayant bénéficié de soutiens militaires massifs de leurs « sponsors » respectifs.

Mais cette « drôle de guerre » s’est soudain réveillée, cette fois internationalement, avec la signature de deux accords le 27 novembre 2019 entre Ankara et Tripoli. Le premier vise à renforcer la coopération militaire et la sécurité entre les deux pays, avec l’arrivée de forces spéciales (en plus grand nombre, car il y en a déjà en Libye) et d’armement ; et le second – totalement surréaliste – délimite les frontières maritimes entre la Turquie et la Libye, en ignorant totalement l’Égypte, Chypre et les îles grecques ! Et pour enfoncer le clou, le président Erdoğan a annoncé : « Si le gouvernement libyen en fait la demande, nous pourrons envoyer nos militaires. » Sous-entendu, en unités constituées, et non pas en petits groupes de forces spéciales arrivant de nuit dans les ports tenus par le GNA.

Ces accords ont aussitôt provoqué une levée de boucliers des gouvernements égyptien et grec, qui en appellent aux Nations unies. Furieux, ils rappellent à juste raison que la Turquie et la Libye n’ont ni frontière ni zones maritimes communes… à moins de remonter à l’époque de l’Empire ottoman !

Les experts estiment toutefois que cela fait beaucoup de conflits pour la Turquie, qui a déjà des troupes en Syrie, et une armée notablement affaiblie par les grandes purges de ces dernières années (des centaines de généraux et officiers supérieurs ont été mis en prison ou expulsés de l’armée, car ils sont soupçonnés d’être gülenistes). Et une nouvelle aventure militaire pour Recep Tayip Erdoğan serait peut-être de trop vis-à-vis des Turcs lassés de ses positions face à nombre de pays. D’autant que les soldats turcs pourraient être amenés à combattre les Russes présents en Libye comme en Syrie…

Éric MICHELETTI

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