Après avoir été annoncée pour 2014, la mise en service d’un nouveau système d’armes légères d’infanterie destiné à équiper l’armée russe est enfin sur les rails. En effet, d’ici décembre prochain, plusieurs unités d’infanterie et des forces d’opérations spéciales seront dotées de nouveaux modèles d’armes automatiques, tous compatibles avec le système « Ratnik ».

Bien que n’étant pas une des priorités majeures des programmes d’équipements des forces armées – notamment en termes d’investissements, qui font généralement la part belle à l’armée de l’air –, les armes légères d’infanterie, fusils d’assaut et armes d’appui léger, font aussi l’objet de l’attention des états-majors avec la modernisation et/ou le remplacement des modèles en service. En témoigne la récente adoption du HK416/417 par l’armée française.

Sur le plan opérationnel, la nécessité d’améliorer les capacités du combattant sur le terrain n’a pas échappé non plus aux responsables militaires russes, qui ont décidé d’adopter de nouveaux modèles plus modernes, suivant l’exemple de nombreux autres pays dans le monde (Tavor TAR-21 en Thaïlande, Beretta ARX-160/200 en Italie, MPT-76 en Turquie, FN SCAR en Belgique, HK416 en Norvège, ER-88 en Australie, etc.). Mais en Russie comme ailleurs, la mise en service d’une nouvelle arme individuelle standard ne se fait pas du jour au lendemain. Loin de là… Après différentes étapes, de la classique demande d’informations ou RfI (request for information) à la sélection finale et à l’adoption, le processus est souvent long et semé d’embûches : tests d’évaluation insuffisants, résultats non conformes aux attentes, reports de programmation faute de budget ou autre, révisions de dernière minute du cahier des charges, sous-estimation des coûts de production en série, etc.

La Russie, qui ne fait pas exception à la règle (sauf pour la RfI qui se fait depuis toujours « en interne »), avait annoncé pour 2014 la mise en service d’un nouveau fusil d’assaut destiné à équiper ses forces armées. Or, en 2014, la compétition était toujours en cours et, par conséquent, le ministère de la Défense n’avait toujours pas tranché. En fait, c’est seulement le 29 janvier 2018 que l’ultime étape du processus a finalement été franchie avec l’annonce officielle de l’adoption par l’armée russe de l’AK-12/AK-15 comme arme standard pour les unités classiques et de l’A-545/A-762 pour les unités d’élite et les forces d’opérations spéciales (Spetsnaz). La dénomination officielle de référence de ces modèles est GRAU 1 6P70 pour l’AK-12, GRAU 6P71 pour l’AK-15, GRAU 6P67 pour l’A-545 et GRAU 6P68 pour l’A-762.

Par ailleurs, une semaine plus tard, le 6 février 2018, le ministère russe de la Défense a annoncé la signature d’un contrat portant sur la production et la livraison d’une première tranche de fusils-mitrailleurs RPK-16 en calibre 5,45 x 39 mm. Ce modèle, dérivé directement du fusil d’assaut AK-12 chambré pour la même munition, est destiné à remplacer les RPK-74 et RPK-74M ou respectivement GRAU SP18 et SP39.

Kalachnikov n’est pas mort…

En novembre 2011, le ministère russe de la Défense avait mis fin aux commandes de fusils d’assaut de la famille Kalachnikov AK-74/AK-74M et autres, justifiant sa décision par le fait que le nombre d’exemplaires déjà en service ou stockés dans les dépôts des forces armées était dix fois supérieur aux besoins.

Cependant, les industriels russes ont entrepris le développement de nouveaux modèles, y compris en 5,56 x 45 mm standard OTAN, pour satisfaire, faute de mieux, le marché à l’exportation. Pour l’essentiel, ces nouveaux fusils d’assaut, développés et réalisés au cours de la première décennie des années 2000, sont à configuration standard (seuls le KPB A-91, le Korobov TBK-059 et le TSKIB OTs-14 Groza sont à configuration bullpup) et sont basés sur le système Kalachnikov (emprunt de gaz, verrouillage par rotation de la culasse).

En 2011, cette situation n’a pas empêché la société Izhmash, devenue depuis 2013 JSC Kalashnikov Concern, de projeter et de réaliser l’AK-12, dont le prototype initial est connu comme A-200, dévoilé pour la première fois en 2012. Malgré sa prise de position concernant l’introduction d’un nouveau fusil d’assaut dans l’armée russe, le ministère de la Défense décida, en novembre 2012, d’entreprendre une campagne d’essais de l’AK-12. Environ un mois plus tard, les tests étaient pratiquement achevés. Ils révélèrent certains défauts, notamment au niveau de l’ergonomie et de la fiabilité de l’arme en condition d’utilisation en milieu adverse ; défauts auxquels le constructeur s’empressa de remédier en améliorant, sur fonds propres, son nouveau modèle chambré en 5,45 x 39 mm. Une nouvelle série d’essais démarra en juin 2013 et se conclut moins de six mois plus tard, cette fois avec succès.

Entre-temps, l’introduction d’un nouveau système d’armes légères d’infanterie, compatible avec le programme « Ratnik » (« Guerrier », en russe), était devenue d’actualité. Le vice-président de la Commission de l’industrie militaire, Oleg Botchkarev, affirma même, le 16 septembre 2013, que les livraisons d’un nouveau fusil d’assaut aux forces armées démarreraient dès l’année suivante ; ce qui ne fut cependant pas le cas. Deux modèles en 5,45 x 39 mm étaient alors en compétition : l’AK-12 et l’A-545 de Degtyarev Plant, tous deux déclinés également en 7,62 x 39 mm (AK-15 et A-762). Krasnaïa zvezda (Etoile rouge), le journal officiel des forces armées, devait confirmer, du reste, que le Conseil de coordination sur l’équipement de combat avait sélectionné quatre types de fusils d’assaut.

Ces choix ont été validés à l’issue d’une série de tests intensifs menés en 2016-2017. Pour autant, et bien que de nombreuses informations aient fait état, entre 2014 et 2015, de la décision concernant le choix du nouveau fusil d’assaut, la compétition était toujours bel et bien en cours ; le ministère de la Défense n’ayant pas encore tranché à l’époque.

À chacun son modèle

Le modèle définitif de l’AK-12, basé sur le prototype A-400, fut présenté officiellement lors du salon Army 2016, ainsi que la version AK-15 légèrement plus lourde. A noter que ceux-ci ont donné respectivement naissance, l’année suivante, à l’AK-12K et à l’AK-15K, variante à canon court. En août 2017, le PDG de JSC Kalachnikov, Alexei Krivoruchko, a annoncé dans une interview à l’agence TASS que l’AK-12 avait passé les tests finaux et que la société attendait la réponse du ministère de la Défense. Celle-ci est arrivée le 29 janvier 2018, avec l’annonce de l’adoption des fusils d’assaut AK-12 et AK-15 comme nouvelles armes longues individuelles standard des forces régulières, comptant encore de nombreux conscrits dans leurs rangs. Cela étant, ces dernières devront attendre encore quelques mois pour recevoir l’AK‑12/AK-15, dont la production en série doit démarrer cette année : dans le meilleur des cas, une mise en service des premiers lots arrivera fin décembre prochain.

Sans entrer dans les détails, l’AK-12 se caractérise par la présence d’un long rail type Picatinny positionné sur le dessus de la boîte de culasse, permettant le montage d’accessoires d’aide au tir en complément des organes de visée mécaniques réglables, d’une série de rails placés sur le garde-main en polymère, d’un canon facilement interchangeable, d’une longueur de 415 mm (16,3 pouces), d’une poignée-pistolet ergonomique, d’une crosse réglable en longueur et repliable sur le côté de la carcasse, d’un frein de bouche dérivé de celui de l’AK-74M, et d’un sélecteur à trois modalités de tir : coup par coup, rafale de deux coups et rafale libre. L’arme, dont l’interface carcasse-boîte de culasse a été renforcée pour une meilleure rigidité, peut être équipée d’un modérateur de son, d’une baïonnette et d’un lance-grenade de 40 mm de type GP-25/GP-34. Les caractéristiques de l’AK-15 sont presque les mêmes, si ce n’est qu’il est un peu plus lourd et qu’il est chambré pour les munitions calibre 7,62 x 39 mm.

Si l’adoption de l’AK-12/AK-15 marque la conclusion d’une compétition lancée en 2013 et l’opposant à l’A-545/A-762, le modèle proposé par Degtyarev Plant, qui a été développé à l’origine par Kovrov Mechanical Plant (KMZ) et projeté par l’ingénieur de l’armement Sergey Ivanovich Koksharov, n’a pas pour autant été mis sur la touche. Loin de là, puisque cette version modifiée de l’AEK-971/AEK-973 a été retenue par le ministère de la Défense pour équiper les unités d’élite de l’armée russe, forces aéroportées et d’assaut amphibie, qui comptent bon nombre de militaires professionnels et sous contrat (krontraniki), et les forces d’opérations spéciales (Spetsnaz), qui sont entièrement professionnalisées.

Plusieurs raisons sont à l’origine de ce choix. À commencer par la plus grande précision de l’A-545/A-762, due à l’adoption d’un dispositif compensateur, que les Anglo-Saxons nomment BARS (Balanced Automatics Recoil System). Celui-ci améliore sensiblement le système de fonctionnement traditionnel à piston à course longue du système Kalachnikov, en réduisant les effets négatifs du recul sur la précision du tir en modalité automatique (la précision de l’A-545 serait de 15 à 20 % supérieure à celle de l’AK-74M). En revanche, le système BARS nécessite un entretien plus rigoureux, à cause de sa complexité.

Par rapport à l’EK-971 original, l’A-545, qui monte un canon de 420 mm (16,5 pouces), se différencie par une série de modifications, notamment au niveau des organes de visée mécaniques, plus sophistiqués mais tout aussi robustes (hausse à tambour notamment), qui offrent, par ailleurs, une ligne de mire plus longue, et par l’adoption d’un sélecteur de tir ambidextre, d’un rail type Picatinny et d’une crosse télescopique réglable et rétractable. Une des particularités de l’arme réside aussi dans l’arc de rotation du sélecteur de tir ambidextre, qui est de 180°. De la position « sûreté » à celle « rafale de deux coups », avec passage intermédiaire pour le tir au coup par coup avec rotation respective de 45°, on passe directement à 90° pour celle en rafale libre.

Comme dans le cas du nouveau fusil d’assaut standard du fantassin russe, les caractéristiques de l’A-762 sont quasiment identiques à celles de l’A-545, si ce n’est qu’il est un peu plus lourd et qu’il est chambré pour les munitions de calibre 7,62 x 39 mm.

Du RPK-74 au RPK-16

Dévoilé pour la première fois à l’occasion du salon de l’armement Army 2016, le RPK-16 va également faire son entrée dans les forces armées russes, au sein desquelles il succédera aux RPK-74 et RPK‑74M. Comme son nom l’indique, il s’agit donc du fusil-mitrailleur du système Kalachnikov (RPK pour Ruchnoy Pulemyot Kalashnikova) chambré en 5,45 x 39 mm, dérivé du fusil d’assaut AK-12 dont il conserve de nombreuses caractéristiques.

Doté d’un bipied réglable et amovible, monté sur rail type Picatinny, au lieu du bipied fixe présent sur le RPK-74/RPK-74M, le nouveau fusil-mitrailleur de l’armée russe est équipé d’une crosse réglable et repliable, réalisée en polymère, tout comme la poignée-pistolet ergonomique et le garde-main. Un long rail, toujours de type Picatinny, est installé sur le dessus de la boîte de culasse, permettant le montage d’accessoires d’aide au tir.

Le RPK-16 se caractérise aussi par son canon facilement interchangeable, pouvant recevoir un modérateur de son. Il est disponible en deux différentes longueurs : 550 mm (21,6 pouces) pour la configuration « arme d’appui léger/mitrailleuse légère » et 370 mm (14,6 pouces) pour celle dite « d’assaut », cette dernière pouvant être équipée d’une poignée antérieure, montée à la place du bipied. Dans les deux cas, puisqu’il s’agit bien d’un fusil-mitrailleur, l’arme est alimentée par boîtiers-chargeurs amovibles de différentes capacités, compatibles avec ceux du précédent RPK-74/RPK-74M et des nouveaux fusils d’assaut AK-12 et A-545, y compris, tout naturellement, celui à tambour de 96 coups. ν

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Jean-Pierre HUSSON, JSC Kalashnikov Concern, VPK, Rostec, Russian MoD