Erik Prince issue d’une riche famille du Michigan, fondateur de la société militaire privée (SMP) « Blackwater USA » aujourd’hui disparue, revient sur le devant de la scène particulièrement en Amérique latine où il présente ses entreprises comme une solution à l'insécurité et au crime organisé.

Pour mémoire, cet ancien lieutenant de vaisseau de l’US Navy a été déployé au début des années 1990 au sein du Seal Team 8 à Haïti, au Moyen-Orient puis dans les Balkans.

Sa société a changé de nom en 2009 pour devenir la « Xe Company » puis « Academi » en 2011. Elle a notamment travaillé en Irak et en Afghanistan pour le compte du gouvernement américain.
Prince a quitté définitivement cette SMP en août 2010 pour fonder de multiples compagnies aux appellations changeantes pour plus de discrétion. Malgré ses sucès financiers, sa carrière avait été entachée par la mort de 17 civils tués par ses hommes le 16 septembre 2007 sur la place Nisour à Bagdad.

Pour mémoire, « Academi » a poursuivi sa route en rejoignant la « Triple Canopy » pour former le « Constellis Group » en juin 2014. Elle est encadrée par des vétérans des forces spéciales de l’US Army et fournit des services de sécurité, de soutien et de gestion des risques aux entreprises, aux administrations publiques ainsi qu’à des organisations à but non lucratif.
Le sergent major (er) Gregory « Mo » Mulligan qui a une expérience de dirigeant de SMP de plus de dix ans.

Prince a dirigé jusqu’en 2021 – date de sa démission – une société de capital-investissement appelée « Frontier Resource Group » (FRG) une firme de logistique et de transport déclarée aux Bermudes et cotée à la bourse de Hong Kong mais dont le siège était localisé à Pékin…

Aujourd’hui, les gouvernements régionaux se tournent de plus en plus directement vers des SMP pour les aider à faire face aux crises sécuritaires urgentes.
Malgré les controverses, Prince demeure une figure respectée dans certains cercles politiques entretenant des liens étroits avec le président américain Donald Trump dont il a été un des conseiller en matière de politique étrangère durant son premier mandat.
Cependant, selon CNN, il avait été mis à l’écart par des responsables opposés à ses propositions d’étendre le recours aux mercenaires à l’échelle mondiale.

Depuis le début de son deuxième mandat, Prince semble avoir regagné de l’influence auprès de Trump en se tournant vers l’Amérique latine.

Ainsi, ses entreprises seraient en train de développer des projets en Équateur, en Haïti, au Pérou et au Salvador. Elles proposent des services allant du conseil anti-criminalité, la mise en œuvre de drones et la gestion de programmes d’expulsion.

Si ces initiatives servent les intérêts financiers de Prince, elles s’inscrivent également dans une approche plus offensive des États-Unis dans la région, notamment en matière de lutte contre le trafic de drogue et le crime organisé.
Plus généralement, les SMP participent depuis longtemps à cette lutte en Amérique latine, généralement sous la direction des États-Unis. Washington y trouve son intérêt en se démarquant des actions qui peuvent être menées et surtout sur le plan financier. Si des « privés » peuvent être plus chers que des GIs au quotidien, ils le sont beaucoup moins dans le temps. Une fois leur mission terminée, ils ne peuvent prétendre à la poursuite d’une carrière militaire puis à une retraite coûteuse pour l’État.

L’opération la plus médiatisée de Prince se déroule en Équateur où le taux d’homicides est désormais le plus élevé d’Amérique latine(1). En mars 2025, lors de sa campagne de réélection, le président équatorien Daniel Noboa a annoncé une « alliance stratégique » avec Prince pour lutter contre le crime organisé, le narcoterrorisme et même la pêche illégale.

Prince agit en tant que consultant en sécurité, souhaitant doter la police et l’armée équatoriennes « des outils et des tactiques nécessaires pour lutter efficacement contre les narcotrafiquants. »
Cependant, l’ampleur réelle de son implication dans ce pays reste incertaine.

Depuis début 2025, Prince aurait étendu ses opérations à Haïti où la crise sécuritaire continue de s’aggraver(2), les gangs contrôlant désormais environ 85 % de la capitale, Port-au-Prince.
Selon le New York Times, le gouvernement haïtien a engagé en mars plusieurs sous-traitants américains, dont une société appartenant à Prince, pour mener des opérations anti-criminalité. À cette fin, Prince recruterait des vétérans militaires américano-haïtiens en vue d’un prochain déploiement à Port-au-Prince de 150 mercenaires.
Mais l’entreprise de Prince est accusée d’avoir participé à des attaques de drones qui auraient fait de nombreux morts bien que rien ne soit venu confirmer son implication directe.
Le Département d’État américain a officiellement déclaré ne pas avoir commandité Prince pour conduire des opérations à Haïti.

Prince s’est également rendu en juillet au Pérou, où le crime organisé est toujours présent les troubles politiques incitant les législateurs à affaiblir les capacités étatiques de lutte contre la criminalité pour séduire leur électorat.
Il a rencontré des représentants d’entreprises minières et les autorités péruviennes pour lutter contre l’exploitation minière illégale, le trafic de drogue et le crime organisé. L’économiste péruvien et ancien candidat à la présidentielle Hernando de Soto l’a accompagné lors de son périple.

Le Salvador est un autre centre d’intérêt pour Prince, qui a visité le Centre de confinement du terrorisme (CECOT) en août 2024 et rencontré à plusieurs reprises le président Nayib Bukele.

Selon le site Politico, il aurait proposé à la Maison Blanche de superviser une opération visant à appréhender des milliers de migrants « présumés délinquants » aux États-Unis et à les envoyer au CECOT. Le projet aurait été suffisamment sérieux pour être discuté par Trump et Bukele à la Maison Blanche en avril 2025 mais aucune suite n’aurait été constatée – du moins officiellement -.

Il faut remarquer que le déploiement à court terme de SMP ne corrige pas les failles et faiblesses fondamentales des institutions étatiques latino-américaines. Le recours aux SMP soulève également des questions plus larges sur les objectifs des gouvernements et sur ce que les prestataires privés peuvent réellement offrir.
Les SMP sont impuissantes vis-à-vis de la corruption endémique qui empoisonne l’Amérique latine. Elles peuvent même y participer directement ou indirectement.
De plus, les entreprises privées sont souvent associées à des problèmes de non-respect des droits humains. Elles permettent aux gouvernants de tirer profit de tactiques violentes tout en évitant potentiellement les conséquences politiques et juridiques que pourrait entraîner de tels agissements s’ils étaient l’œuvre de forces de sécurité officielles.
Mais pour les gouvernements, pressés d’agir rapidement et de produire des résultats, l’aspect visuel et la commodité de l’externalisation de la sécurité peuvent compenser les coûts et les risques à long terme.

Alors que l’Amérique latine ne manque pas d’entreprises de sécurité privées locales, pourquoi les autorités se tournent-elles vers des SMP étrangères ?
Un facteur majeur est la confiance. Dans des pays comme la Colombie et l’Équateur, les entreprises de sécurité locales sont fréquemment liées au crime organisé.
En mars 2025, les autorités colombiennes ont arrêté des membres de trois entreprises accusées d’avoir fourni des armes à des groupes criminels.
En Équateur, des entreprises privées locales ont certes comblé des lacunes sécuritaires laissées par l’État mais les résultats ont été mitigés.
Les SMP étrangères, généralement mieux équipées pour des opérations militaires de grande envergure que les entreprises de sécurité locales, offrent d’autres avantages. Elles sont moins susceptibles d’être liés aux gangs locaux contrairement à l’armée, à la police ou au système judiciaire.
Elles proposent souvent des capacités qui font défaut aux forces de sécurité locales. Par exemple, lors du « Plan Colombie », des sous-traitants américains comme DynCorp ont mis en œuvre des avions de fumigation de plantations de coca, tandis que California Microwave Systems a assuré la surveillance aérienne.

Si le retour des sociétés d’Erik Prince en Amérique latine est relativement récent, elles sont aussi présentes – aux côtés d’autres firmes du même type – en Libye et en République démocratique du Congo depuis longtemps(3).

Enfin, il ne faut pas oublier que l’objectif des SMP est avant tout de faire de l’argent. Si elles ne sont pas rentables, elles disparaissent. La fidélité à un prestataire dépend donc de sa fiabilité financière : plus d’agent signifie plus de mercenaires. Enfin, il est légitime de douter de la probité d’une partie des soldats de fortune…

(1) Voir : « Évolution inquiétante du crime organisé équatorien » du 22 juillet 2025.

(2) Voir : « Haïti : l’enfer se poursuit » du 13 décembre 2024.

(3) Voir : « Le retour des soldats de fortune en Afrique » du 30 mai 2024.