L’optimisme professé par Biden durant ses quatre années de mandat a bien disparu lors de cette allocution de moins de vingt minutes derrière le Bureau ovale.
Il a particulièrement dit : « je veux mettre en garde le pays contre certaines choses qui m’inquiètent grandement. Il s’agit de la dangereuse concentration du pouvoir aux mains de très peu de personnes ultra-riches ». Il a insisté sur les « conséquences dangereuses si leur pouvoir est laissé sans limites ».
Selon lui, « une oligarchie prend forme en Amérique » et elle « menace concrètement notre démocratie toute entière, nos droits et libertés élémentaires ».
Il a évoqué l’apparition d’un « complexe technologico-industriel ». À l’évidence, cette allusion vise son successeur Donald Trump et des richissimes patrons de la tech, au premier rang desquels se trouvent Elon Musk, le patron de Tesla, SpaceX et X, allié indéfectible du président élu, mais aussi Jeff Bezos (Amazon, Blue Origin) et Mark Zuckerberg (Meta).
Selon la chaîne de télévision NBC, ces trois personnalités devraient assister à l’investiture de Donald Trump le 20 janvier.
Bernie Sanders, figure de la gauche américaine s’était insurgé le 14 janvier que ces « trois personnes possèdent aujourd’hui plus de richesses que la moitié la plus pauvre de la société américaine ».
Joe Biden a poursuivi : « les Américains sont ensevelis sous une avalanche de désinformation qui permet l’abus de pouvoir » et à appelé à faire « rendre des comptes » aux réseaux sociaux et à mettre en place des « garde-fous » sur l’intelligence artificielle. Pour lui, la « concentration de richesse et de pouvoir […] porte atteinte au sens de l’unité et du bien commun ».
Il s’est aussi alarmé des « forces puissantes » qui voudraient « éliminer les mesures que nous avons prises pour affronter la crise climatique ».
Ces mises en garde ont relégué au second plan la défense de son bilan qui sur le plan économique semble avoir très positif même si tous les ménages n’en n’ont pas vraiment ressenti les effets.
Pour conclure, Joe Biden a lancé à ses compatriotes: « À votre tour de monter la garde ».
Il est normal de comparer son discours à celui que fit le président Dwight D. Eisenhower le 17 janvier 1961 à la fin de son deuxième mandat. Âgé de 70 ans contre 82 pour son vénérable successeur, il avait mis en garde son pays contre la possible montée en puissance d’un « complexe militaro-industriel » précisant à l’époque que : « dans les assemblées du gouvernement, nous devons donc nous garder de toute influence injustifiée, qu’elle ait ou non été sollicitée, exercée par le complexe militaro-industriel. Le risque d’une désastreuse ascension d’un pouvoir illégitime existe et persistera. Nous ne devons jamais laisser le poids de cette combinaison mettre en danger nos libertés et nos processus démocratiques. Nous ne devrions jamais rien prendre pour argent comptant. Seule une communauté de citoyens prompts à la réaction et bien informés pourra imposer un véritable entrelacement de l’énorme machinerie industrielle et militaire de la défense avec nos méthodes et nos buts pacifiques, de telle sorte que sécurité et liberté puissent prospérer ensemble ».
Cet ancien général héro de la Seconde Guerre mondiale puis chef d’état-major de l’armée de terre des États-Unis de 1945 à 1948 et commandant suprême des forces alliées en Europe de 1951 à 1952 connaissait parfaitement les industriels de l’armement et les militaires toujours avides de budgets conséquents justifiés par des menaces souvent exagérées par les services de renseignement.
C’est ce fameux complexe qui a « accompagné » (pour ne pas dire plus) les guerres du Vietnam (1955-75), du Golfe (1990 puis 2003), d’Afghanistan (2001-2021) et bien d’autres conflits « secondaires » (comme celui de Bosnie-Herzégovine en 1992) sans compter la « guerre des étoiles » qui – il est vrai – a mis à genoux l’URSS.
Biden en est un des derniers responsables politiques ayant participé au succès de ce lobbies. En effet, il a été sénateur de 1973 à 2009 membre éminent du comité des Affaires étrangères, vice-président des États-Unis de 2009 à 2017 et président des États-Unis depuis le 20 janvier 2021. La dénomination de « néoconservateur » au moins en matière de politique étrangère lui convient parfaitement.
Il est très possible que le complexe « technologico-industriel » comme il l’a désigné succède au « militaro-industriel » mais, en réalité, ils sont extrêmement liés. De toutes façons, ni l’un ni l’autre ne sont là pour faire des cadeaux à leurs homologues européens car, fort logiquement, la notion d’« America first » restera l’idée fondamentale des politiques US qui privilégient bien normalement les intérêts de leurs administrés avant ceux des étrangers, fussent-ils leurs alliés historiques.