Malgré des nombreux intérêts communs affichés, en particulier pour contourner les sanctions occidentales pesant sur les deux pays (pas exactement pour les mêmes raisons), une tension est en train de monter entre Moscou et Téhéran à propos du corridor de Zanguezour. Situé au sud de la région de Syunik (elle-même située au sud de l’Arménie), il devrait relier l’Azerbaïdjan au Nakhitchevan (puis à la Turquie) en passant par le sud de l’Arménie.

Depuis le début septembre, les médias iraniens regorgent de reportages, de commentaires et d’analyses sur les relations entre l’Iran et la Russie à la suite du soutien de la Russie à l’établissement de ce corridor.

 

Lors de la récente visite du président Poutine en Azerbaïdjan, le ministre des Affaires étrangères Lavrov a accusé l’Arménie de faire obstacle à la construction de ce corridor.

Les propos de Lavrov ont sonné l’alarme à Téhéran, le plus grand opposant sa création.

Pour Téhéran ce corridor couperait son accès terrestre Sud-Nord vers l’Europe via l’Arménie et la Géorgie. En réaction à la nouvelle, le ministre iranien des Affaires étrangères Araghchi a déclaré que les frontières de l’Iran sont une ligne rouge et que Téhéran n’acceptera aucun changement dans le statu quo. L’ambassadeur d’Iran à Erevan a aussi rencontré le conseiller à la sécurité nationale de l’Arménie pour lui dire que Téhéran s’oppose à l’ouverture du corridor de Zanguezour.

Il convient de rappeler qu’un Azerbaïdjan riche – l’établissement de liaisons régulières avec la Turquie contribuerait à cette prospérité qui repose déjà sur ses ressources en hydrocarbures de la Caspienne – est la terreur du régime des mollahs. En effet, toute la partie nord de l’Iran peuplée majoritairement d’Azéris pourrait être tentée de rejoindre un pays prospère et relativement laïque…

Sa place stratégique située entre le Caucase et l’Asie centrale constitue également un atout pour Bakou si les liaisons terrestres s’améliorent dans l’avenir.

De son côté, la Russie gérant déjà les voies ferrées en Arménie, jouerait un rôle important dans l’investissement et le contrôle du corridor, et améliorerait ses liens économiques et commerciaux avec la Turquie pays peu enclin à appliquer strictement les sanctions économiques décrétées par le monde occidental contre Moscou depuis l’invasion de l’Ukraine.

L’Arménie, qui s’est engagée à l’établir après la guerre du Karabakh de 2020, est apparemment d’accord avec le corridor à condition qu’Erevan (et non Bakou ou Moscou) le contrôle. De plus, il apporterait un soutien financier à Erevan grâce aux revenus du transit.

Les intérêts géopolitiques internationaux

La région de Syunik qui est située au sud de l’Arménie se trouve donc au carrefour d’un conflit d’intérêts géopolitiques. La Turquie, l’Azerbaïdjan, les États-Unis, la Russie et l’Iran rivalisent pour atteindre leurs objectifs.

Les États-Unis encouragent Erevan à signer un traité de paix avec Bakou et empêchent la Russie de contrôler les voies de transit du Zanguezour.

Ce facteur inquiète la Russie qui tient à sécuriser ses intérêts dans un contexte de changements géopolitiques dans la région après son invasion de l’Ukraine en 2022 et l’exode des populations arméniennes du Haut-Karabakh en 2023 sous la pression de l’Azerbaïdjan.

Dans le même temps, l’Iran s’oppose à tout corridor extraterritorial accordé par l’Arménie à la Russie ou à l’Azerbaïdjan.

Les responsables iraniens craignent qu’Israël n’utilise ce « corridor » pour rendre l’Iran plus vulnérable au nord et l’isoler du Caucase du Sud. Les analystes iraniens appellent cette route le « corridor touranique de l’OTAN » estimant qu’elle serait utilisée par Israël, la Turquie et certains pays de l’OTAN à des fins militaires et sécuritaires pour consolider une alliance turque contre l’Iran et la Russie.

L’Iran insiste pour que l’Arménie contrôle la route, afin d’empêcher les États-Unis ou la Russie de le faire.

Cela montre clairement les limites du partenariat stratégique russo-iranien. Si un conflit éclate dans le Caucase, Moscou sera obligé de choisir entre ses intérêts à court terme avec l’Azerbaïdjan et ses intérêts à long terme avec l’Iran ou de trouver un compromis qui satisfasse les deux parties ce qui est loin d’être évident.

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Texte

Alain Rodier