Un projet visant à éliminer en 2021 un couple d’Iraniens ayant fuit vers les États-Unis a été révélé lors du dépôt d’accusations le 29 janvier 2023 pour « complot pour meurtre » à l’encontre du citoyen canadien Damion Patrick John Ryan et ses complices allégués devant un tribunal fédéral du Minnesota (Maryland).

Selon l’acte d’accusation américain, un réseau clandestin dirigé par le trafiquant de drogue iranien Naji Ibrahim Sharifi-Zindashti connu pour avoir été impliqué dans de nombreuses affaires criminelles(1) a pris contact avec Damion Ryan afin de lui commanditer le meurtre de deux réfugiés iraniens vivant aux États-Unis.

Pour communiquer, ils utilisaient le service de communications mobile crypté Sky ECC. Cela avait permis d’adresser les photographies des cibles et les plans situant leurs lieux de résidence.

Les autorités américaines ont fermé Sky ECC et sa société mère de Vancouver, Sky Global en mars 2021 et ont inculpé deux hommes pour racket et trafic de  « substances contrôlées. »

Diamon Ryan âgé aujourd’hui de 43 ans est un membre « full patch » d’un chapitre des Hells Angels en Grèce. Il serait également un associé de l’Alliance Wolfpack, une importante organisation criminelle canadienne de Colombie-Britannique.

 

Il est décrit par la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) comme l’un des membres les plus importants du crime organisé au Canada.

Ryan aurait accepté le contrat pour 350.000 dollars plus 20.000 dollars d’avance pour les frais de repérages.

 

Très surveillé (il était sur la liste des six personnes les plus dangereuses éditée à Vancouver en 2021), il n’a pu finaliser son contrat et a été arrêté en février 2023 à Ottawa pour possession illégale d’armes à feu et de munitions.

 

Photo de la GRC. Matériel saisi lors d’une enquête ciblant Damion Ryan en 2023

Selon l’acte d’accusation américain, le FBI dit avoir appris qu’un associé des Hells Angels de l’ouest du Canada, Adam Richard Pearson, 29 ans, a été recruté par Ryan pour s’occuper du contrat de meurtre pour ses commanditaires iraniens.

 

À ce moment, Pearson vivait sous une fausse identité aux États-Unis après avoir fui le Canada où il était recherché pour l’assassinat d’un trafiquant de drogue rival. Pearson aurait monté une équipe de tueurs sur le sol américain pour remplir la mission.

Rien n’indique jusqu’ici que Ryan et Pearson avaient connaissance de la nature « politique » du contrat de meurtre et des liens de leur commanditaire avec le régime iranien.

Le plan n’a donc jamais été mené à terme grâce au travail des services de renseignement américains et canadiens avec le soutien de la GRC.

Pearson comme Ryan ont été arrêtés, le premier aux États-Unis, le second au Canada pour d’autres activités criminelles.

Ils font désormais tous deux face à une série d’accusations aux États-Unis en lien avec le complot de meurtre.

Selon Washington, le commanditaire du contrat, Naji Ibrahim Sharifi-Zindashti, conduisait ses activités criminelles – essentiellement le trafic de drogue – avec l’accord du ministère du Renseignement et de la Sécurité d’Iran Vaja (ex-Vevak) et des pasdarans.

En échange de sa tranquillité – le trafic de drogue est puni de la corde en Iran -, il aurait  mené « plusieurs actes de répression transnationale, incluant des assassinats et des enlèvements dans plusieurs juridictions dans une tentative de réduire au silence ceux qui sont perçus comme critiques du régime iranien ».

Toujours selon les Américains : « les forces de sécurité iraniennes protègent Zindashti et son empire criminel, lui permettant de prospérer dans le marché de la drogue du pays et de mener une vie luxueuse alors que son réseau exporte la répression du régime ».

Dans le cadre de cette affaire, le FBI cible particulièrement les Iraniens Nihat Abdulkadir Asan, Reza Hamidiravari, Ekrem Abdulkerym Oztunc et Shahram Ali Reza Tamarza Jakki.

Un certain Reza Hamidiravari aurait été identifié  comme l’Officier Traitant (OT) du Vaja qui avait en charge la manipulation de Zidnashti et de son réseau.

Zidnashti serait derrière des meurtres commis dans plusieurs pays, dont le Canada, les Émirats arabes unis et la Turquie.

On lui prête aussi un complot visant à assassiner des journalistes d’Iran International à Londres en 2022. 200.000 dollars auraient été offerts pour cibler le siège de cet organisme à Londres avec une voiture piégée.

Aujourd’hui, Zidnashti se trouverait en Iran et il y a peu de chances qu’il soit jugé par un tribunal américain.

 

Et pourtant, il a déjà été arrêté à plusieurs reprises en Turquie en lien avec ses activités criminelles. Selon CNN, il est considéré par Ankara comme un agent des services de renseignement iranien. Le quotidien turc Hurriyet a déjà écrit comment Zindashti avait organisé l’enlèvement à Istanbul d’un leader séparatiste arabe qui avait été ramené de force en Iran, où il était recherché par les autorités(1).

Enfin, le quotidien Vancouver Sun a révélé que deux membres de gangs de Colombie-Britannique s’étaient rendus à Dubaï en 2016, où ils avaient tué un trafiquant de drogue turc à la demande de Zindashti.

Pourquoi certains services secrets utilisent-ils des trafiquants ?

Tout d’abord, pour certains services de renseignement, il n’est point question de « morale » mais d’efficacité et de sécurité.

Téhéran comme Ankara préfèrent « contrôler » un trafiquant international comme Naji Ibrahim Sharifi-Zindashti que le mettre à l’ombre pour longtemps (ou le pendre comme cela se fait en Iran). S’il disparaît, il est remplacé par un autre moins connu dont les activités peuvent passer sous les radars. Pour eux, ne pouvant juguler le trafic de drogue, autant gérer au mieux ses acteurs.

Ensuite, l’intéressé est obligé de rendre des « services. » Pour les Iraniens et les Turcs, la disparition de « gêneurs » en exil est intéressante. Théoriquement, ces opérations ne peuvent leur être formellement attribuées car ce sont des criminels qui se sont sali les mains…

À noter que les réseaux de motards criminels constituent des viviers très intéressants car ils sont constitués en petits groupes (les « chapitres ») très indépendants mais présents dans plus en plus de pays.

Mais l’usage a permis de réaliser que les truands ne sont pas contrôlables en permanence. S’ils sont pris, ils risquent de jouer double ou triple jeu. Ce ne sont en aucun cas des « héros » de la guerre secrète. La « sécurité » est donc loin d’être assurée. Et vraisemblablement le plus important : ils ne sont pas fiables leurs excès leur empêchant souvent de rendre les services qui leur ont été demandés…

 

1. Voir: « IRAN : les services secrets très efficaces dans leur chasse aux opposants » du 17 novembre 2020.

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Texte

Alain Rodier