Les sicarios colombiens exportent leurs savoir-faire meurtriers vers d’autres pays.

Ainsi, des Colombiens sont accusés d’avoir assassiné le président haïtien Jovenel Moïse le 7 juillet 2021. Si une partie des tueurs à gages a pu être retrouvée (au moins seize anciens militaires colombiens ont été arrêtés et trois Américano-haïtiens), l’identité du commanditaire commence à apparaître.

En effet, la justice américaine a récupéré le 31 janvier 2023 un groupe de suspects Américano-haïtiens et un officier colombien impliqués dans le meurtre du président Jovenel. Il s’agit de James Solages, Christian Emmanuel Sanon, Joseph Vincent et le colonel à la retraite Germán Rivera Garcia. Ils ont été transférés d’Haïti à Miami pour répondre à des accusations de complot fédéral en lien avec l’assassinat du président Jovenel. Ils ont rejoint l’ex Sénateur haïtien John Joel Joseph, Rodolphe Jaar et l’ancien officier colombien Mario Palacios.

Les quatre suspects sont accusés d’avoir aidé à coordonner un enlèvement raté du président haïtien pour le destituer de ses fonctions à son retour d’une visite d’État en Turquie en juin 2021, puis d’avoir conspiré dans un plan final pour le tuer chez lui à Pèlerin 5. banlieue de Port-au-Prince le mois suivant. Trois des quatre suspects vivaient dans le sud de la Floride Il semble que Christian Emmanuel Sanon, un médecin et pasteur haïtien qui partageait son temps entre les États-Unis et Haïti voulait remplacer Moïse à la présidence… Mais l’affaire est vraisemblablement plus compexe.

Les sept accusés ont été inculpés dans l’affaire de complot d’assassinat déposée devant le tribunal fédéral de Miami.

Le 14 février 2023, le FBI a arrêté Antonio « Tony » Intriago, le directeur de la société de sécurité CTU Security LLC basée à Miami (Floride) et Arcangel Pretel. Ces deux hommes sont accusés d’avoir recruté pour des « missions de protection » à Haïti des citoyens colombiens. Ce sont ces mêmes individus qui ont été arrêtés après l’assassinat du président.

Meurtre de Fernando Villavicencio

Deux ans plus tard, les autorités équatoriennes ont arrêté six Colombiens impliqués dans le meurtre de Fernando Villavicencio, un des favoris à l’élection présidentielle dont le premier tour doit se tenir le 20 août (1). Le tueur est mort de ses blessure suite à un échange de tirs avec la police.

Une semaine plus tôt, Fernando Villavicencio et son équipe de campagne avaient été l’objet de menaces de mort.

Deuxième dans les intentions de vote, le candidat centriste de 59 ans avait fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille dans ce pays qui est confronté depuis des années à une vague de violences liées au trafic de drogue. Or la corruption en Amérique latine est endémique. Les truands appliquent à la lettre la règle « plata o plomo » (de l’argent ou du plomb).

Selon les autorités, cet assassinat aurait été commandité depuis sa cellule par José Adolfo Macías, alias Fito, chef du plus  puissant gang du pays « Los Choneros ».

Les forces de l’ordre sont intervenues en nombre (4.000 hommes avec des blindés) le 13 août dans le Centre de privation de liberté Numéro 8 de Guayaquil située dans le sud-ouest du pays pour extraire Fito sans heurts puis pour le transférer à la Roca, une aile sécurisée de complexe pénitentiaire de Guayaquil.

Lors de la fouille de l’établissement, des armes, des explosifs, des téléphones, des ordinateurs et de l’électroménager (réfrigérateurs, télévisions, etc.) ont été confisqués.

La plupart des centres de détention en Amérique latine sont gérés par les détenus eux-mêmes. Les personnels pénitentiaires sont totalement dépassés par la violence latente qui les cible eux et leurs familles s’ils ne veulent pas « coopérer ».

Les prisonniers de haut rang dans le crime vivent donc assez confortablement : télévision, téléphone, réfrigérateur, climatiseurs, femmes, alcools, drogues (2).

Le seul risque est constitué par les émeutes sanglantes qui surviennent régulièrement entre différents gangs (3) souvent pour des questions de « contrôle » d’une partie de la prison. Ainsi plus de 430 détenus sont morts depuis 2021 lors d’affrontements entre bandes rivales dans les prisons équatoriennes, des dizaines d’entre eux ayant été démembrés et leurs corps brûlés.

Il est donc logique que pour extraire un caïd sans provoquer une révolte difficilement contrôlable, les forces de sécurité interviennent en nombre.

Selon la presse colombienne, les membres du commando ont des antécédents judiciaires dans leur pays. Certains ont déjà été condamnés pour trafic d’armes, d’autres pour vol, trafic de drogue, homicide ou violence domestique.

Le ministre de l’Intérieur équatorien, Juan Zapata, a confirmé le 10 août l’implication de « groupes criminels organisés » dans le meurtre du politicien. Pour sa part, le président Guillermo Lasso a déclaré : « le crime organisé est allé très loin ».

Sa veuve Veronica Sarauz craindre pour sa vie et celle de ses trois enfants. Elle s’en est pris aux partisans de l’ancien président Rafael Correa (2007-2017) qui a obtenu l’asile politique en Belgique tout en étant sous le coup de 26 chefs d’inculpation dans son pays. Elle a affirmé lors d’une conférence de presse où elle est apparue avec un casque et un gilet pare-balles escortée par des policiers en armes : « tous sont responsables, si ce n’est directement, du moins indirectement, de la mort de mon mari ».

Le nouveau candidat désigné par le parti centriste « Construye » le 14 août est le journaliste Christian Zurita, un ami de Fernando Villavicencio.

Jorge Mantilla, chercheur colombien sur le crime organisé a déclaré à l’AFP que les deux assassinats mettent en évidence la « spécialisation » du crime organisé en Colombie et l’extension de ses tentacules sur le continent latino-américain. Les deux meurtres « montrent la capacité de ces professionnels de la violence à entrer en contact avec les réseaux criminels transnationaux ». Pour lui, c’est le fruit du conflit armé de six décennies en Colombie entre guérillas, paramilitaires, trafiquants de drogue et forces de sécurité.

 

Les mercenaires colombiens

S’ils ne sont pas tous des sicarios, la présence d’anciens militaires colombiens sur des théâtres de guerre a été rapportée au Yémen, en Syrie, en Irak, en Libye et en Afghanistan et aux Émirats arabes unis.

Généralement, ils sont embauchés par des sociétés militaires privées comme Blackwater, aujourd’hui dissoute mais remplacée par la Xè puis par Academi. Cette société est membre du groupe américain Constellis.

Les anciens militaires colombiens sont appréciés pour leur professionnalisme (souvent ils ont été formés par les forces spéciales US et ils ont une expérience au combat importante), leur discipline et surtout, ils ne sont pas chers. Un militaire retraité colombien reçoit une pension de 300 à 400 dollars/mois. Ils acceptent de travailler pour 1.500 à 2.500 dollars /mois plus les avantages. Ainsi, les EAU leur proposent à la fin de leur contrat d’obtenir un passeport pour eux et leur famille.

1. Voir : « ÉQUATEUR. Nouveau hub de la cocaïne » du 17 août 2023.

2. Voir : Résultats édifiants de la fouille d’une prison mexicaine » du 15 février 2023.

3. Voir : « Mort d’un ‘médiateur’ lors d’émeutes dans un pénitencier équatorien » du 5 octobre 2022.

Publié le

Texte

Alain Rodier