La situation sur le terrain au sud du Yémen a considérablement évolué du 3 au 8 décembre avec une progression rapide des forces affilées au Conseil de transition du Sud (Southern Transitional Council, STC) soutenu par les Émirats arabes unis (EAU).

Lors de l’opération baptisée « Avenir prometteur », elles ont pris le contrôle d’Hadramaout et d’Al-Mahra chassant les forces de l’Alliance des tribus du Hadramaout (HTA) dirigées par Amr bin Habresh» et les unités de la 1ère région militaire dépendant du gouvernement officiellement reconnu sur la scène internationale depuis 2022 : le « Conseil de direction présidentiel » ( Presidential Leadership Council : PLC.)

Le chef du PLC, Rachad al-Alimi, et son Premier ministre Salem Saleh ben Braik nommé au début mai 2025, ont quitté la capitale intérimaire Aden pour rejoindre l’Arabie saoudite. L’avenir du gouvernement officiel est une nouvelle fois remis en question.

Pour le chef du STC, le général Aiderous al-Zubaidi (mais aussi officiellement un des sept autres vice-présidents du PLC…), l’indépendance d’un État du sud commence avec le contrôle militaire total sur tous les gouvernorats s’étendant d’Aden à Al-Mahra.
Pour lui, l’indépendance pourra alors être officiellement assurée avec une reconnaissance internationale.

Oman craignant d’être directement impacté par cette dernière crise a temporairement fermé sa frontière avec la province d’Al-Mahra.

Le STC contrôle maintenant la quasi-totalité du territoire de l’ancien État du Yémen du Sud, (la « République démocratique populaire du Yémen », 1967-1990) y compris ses champs pétroliers les plus productifs.

Ces derniers changements ont ouvert une nouvelle phase du conflit au Yémen qui perdure depuis 2014 avec au final la partition du pays entre les rebelles houthis au Nord-ouest (soutenus secrètement par l’Iran), les forces du PLC à l’Est et au Nord (soutenu officiellement par l’Arabie saoudite) et le STC au Sud (soutenu par les Émirats arabes unis.)
Les derniers évènements risquent fort de redessiner les lignes territoriales et le rapport de force régional.

Historique récent

La mobilisation politique et militaire du STC pour la « libération d’Hadramaout et d’Al-Mahra » n’est pas nouvelle. En effet, cette ambition a toujours été d’actualité malgré les gains politiques et de partage du pouvoir importants que le STC a obtenus depuis l’Accord de Riyad de 2019 qui lui a confirmé son rôle d’acteur clé au sein du gouvernement officiel.

Dès 2022, suite de l’éviction de l’ancien président Abdo Rabbu Mansour Hadi et du vice-président Ali Mohsen al-Ahmar du PLC et de l’affaiblissement de l’influence du parti al-Islah (qui appartient aux Frères musulmans), il a connu ses premiers succès en s’étendant vers l’est, s’emparant des provinces d’Abyan et de Shabwa. À noter que depuis 2020, l’île de Socotra située en mer d’Arabie au sud-est du Yémen est officiellement sous le contrôle du STC.

Au début de l’année 2023, le STC a commencé à se viser l’Hadramaout avec pour objectif le retrait des forces gouvernementales (PLC) de la 1ère région militaire de la vallée de Hadramaout. Il a reçu le soutien local des « Forces d’élite Hadrami » (également formées sous la supervision des EAU) commandées par le major-général Faiz Mansur al-Tamimi.

Mais, ses tentatives de s’étendre vers l’est ont échoué laissant l’impression que les « lignes rouges » imposées par l’Arabie saoudite dans le sud du Yémen resteraient d’actualité.
La surprise stratégique est survenue en quelques jours au début décembre 2025 avec la conquête d’une majeure partie des provinces d’Hadramaout et d’une partie de celle d’Al-Mahra sans pratiquement rencontrer de résistance.

Le STC n’aurait pas pu remporter cette victoire si ses rivaux n’avaient pas commis des erreurs stratégiques.

D’une part, les efforts déployés par le chef tribal local, Amr ben Habrish, à la tête de l’Alliance des tribus du Hadramaout (HTA) pour établir une force militaire distincte des institutions étatiques reconnues ont marqué la fin de sa coopération avec « Forces d’élite Hadrami » qui durait depuis 2016.
De plus, sa tentative de prendre le contrôle des installations pétrolières a été le prétexte politique et juridique rêvé pour le STC pour lancer l’offensive dans le gouvernorat afin de « rétablir l’ordre. »

Riyad et Abou Dhabi ont accepté de retirer la 1ère région militaire de la zone et de supprimer la rébellion d’Amr ben Habrish mais ils ne se sont pas entendus sur qui devait combler le vide laissé.

Ainsi, en quelques jours seulement, le STC et les « Forces d’élite Hadrami » se sont assurés des vallées de l’Hadramaout et d’Al-Mahra.
Une chaîne de télévision saoudienne a rapporté le 12 décembre que la délégation militaire conjointe saoudo-émiratie discutait du retrait des forces du STC des zones conquises.

Maintenant, si Abou Dhabi ne parvient pas conclure un accord bilatéral avec Riyad, ou si le STC s’estime lésé dans ses revendications, les deux pourraient initier la formation d’un nouveau « gouvernement du Sud. »

Et les Houthis (1)?

La hâte de discuter publiquement de la renaissance de la « feuille de route de la paix », qui a été mis au point mort en 2023 est un indice intéressant. Pour le STC, la perspective de négociations reprenant sans sa présence garantie représente un risque existentiel.
L’ancienne « feuille de route » qui se concentre sur les pourparlers bilatéraux entre l’Arabie saoudite et les Houthis (Ansar Allah), avait suscité de l’anxiété parmi les alliés yéménites de l’Arabie saoudite qui se sont retrouvés exclus de la démarche.
De leur point de vue, le Royaume, désireux de tourner la page du dossier gênant du Yémen, est apparu trop accommodant aux demandes des Houthis, y compris concernant le partage des revenus pétroliers des gouvernorats de l’Est.
Lorsque les Houthis ont brusquement changé de politique en octobre 2023 pour soutenir la « lutte palestinienne » après les massacres d’octobre 2023, l’Arabie saoudite s’est retrouvée dans une position malaisée après avoir voulu négocier avec eux en leur accordant ce qu’ils attendaient : une certaine « reconnaissance. »

La réunion trilatérale du 9 décembre à Téhéran entre la Chine, l’Arabie saoudite et l’Iran, au cours de laquelle les trois pays ont réaffirmé conjointement leur soutien à un processus de paix global dirigé par l’ONU au Yémen, illustre le lien entre l’élan diplomatique relatif à la « feuille de route » et les changements sur le terrain. Il semble nécessaire de rédiger une nouvelle « feuille de route » profondément remaniée pour espérer aboutir au début du semblant d’un règlement de la situation globale au Yémen.
Pour mémoire, les normes internationales acceptées comprennent des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU qui affirment l’unité et l’intégrité territoriale du Yémen.

Depuis que les Houthis ont acquis la technologie capable de réaliser des missiles et des drones aptes à menacer le cœur du territoire saoudien, il est devenu clair pour Riyad qu’il fallait les contenir. Cette politique exige une coalition anti-houthie yéménite aussi large que possible. Retirer le Sud de l’équation réduirait considérablement son efficacité.

L’Arabie saoudite peut aussi tenter d’isoler régionalement les EAU si la situation continue à s’aggraver car les relations de la concurrence tendue pourraient se transformer en hostilité ouverte.
Alors que l’alliance entre les deux pays pendant la guerre du Yémen a connu de multiples périodes de frictions, l’affrontement actuel marque donc un tournant décisif dont il est difficile de deviner la suite.
À mesure que les tensions augmentent, l’Arabie saoudite se rapprochera probablement des puissances régionales exprimant son soutien à l’unité du Yémen, notamment Oman, le Qatar, l’Iran, l’Égypte et la Turquie, et loin de ceux qui ne le font pas.

(1) Voir : « Yémen : les attaques houthies reprennent contre la navigation internationale. » du 11 juillet 2025.