Depuis la fin du Pacte de Varsovie le 25 février 1991 qui a suivi l’effondrement de l’URSS fin décembre de la même année et de l’idéologie marxiste-léniniste (sauf pour quelques cas isolés), l’Occident emmené par ses néoconservateurs américains qui, non contents d’avoir gagné la Guerre froide -les Soviétiques n’ayant pu les suivre dans l’« Initiative de défense stratégique » (IDS) dite « guerre des étoiles »-(1), souhaitaient fonder un monde unipolaire dont le centre aurait été les États-Unis.

Pour ce faire, il convenait de rallier un par un les ex-pays de l’Est en les intégrant à l’OTAN. L’astuce a consisté à leur faire demander leur adhésion à l’Alliance sans que ne soit dévoilé ce qu’ils obtenaient réellement en échange en dehors de la protection hypothétique du parapluie militaire américain…

De plus, la Russie constituait un nouvel Eldorado pour l’économie occidentale car elle souhaitait échanger ses matières premières à des biens de consommation dont rêvaient les citoyens russes depuis l’établissement du collectivisme communiste. En résumé, l’Occident « achetait » la Russie à bas prix tout en récupérant ses pays satellites. Le rôle de certaines ONG (dont l’Open Society Foundations ) a été si déterminant dans l’adhésion des populations, en particulier via les « révolutions de couleur» (2000-2005) que des responsables du renseignement américain déclaraient en catimini qu’avec de tels acteurs, leur utilité même était remise en question car ils faisaient particulièrement bien « le job. » L’avantage résidait aussi dans le fait que leur utilisation dans des manifestations qui parfois tournaient à l’insurrection, permettait à Washington de nier toute ingérence officielle.

Cette politique a commencé à battre de l’aile quand les dirigeants russes ont trouvé ce marché inéquitable et dangereux. Les révolutions de couleur – au minimum accompagnées par des services américains s’appuyant sur de puissants moyens d’influence – ont fait peur au Kremlin. Dans un dernier moment de lucidité, le président Eltsine – qui était vraisemblablement moins fou que l’on voulait bien le dire – a fait nommer Vladimir Poutine à sa succession.

Ce dernier a proposé dans un premier temps de poursuivre une collaboration politico-économique avec l’Occident mais à un niveau plus équitable.
Toutefois, le 10 février 2007, il a développé sa vision du monde lors de la conférence de Munich sur la sécurité : « j’estime que dans le monde contemporain, le modèle unipolaire est non seulement inadmissible mais également impossible […] Il me semble évident que l’élargissement de l’Otan n’a rien à voir avec la modernisation de l’Alliance ni avec la sécurité en Europe. Au contraire, c’est une provocation qui sape la confiance mutuelle et nous pouvons légitimement nous demander contre qui cet élargissement est dirigé. »
Pourtant ce discours va rapidement être oublié par les dirigeants occidentaux qui ont poursuivi leur politique étrangère comme si de rien n’était.
Les guerres de Tchétchénie (1994-1996 et 1999-2000) puis du Kosovo (1998-1999) ont permis aux Occidentaux d’évaluer les capacités de réaction du Kremlin.
Mais cette politique a commencé à se gripper lorsque l’armée russe a réagi d’abord en Géorgie (2008) puis en Ukraine (2014 puis 2022…).

En réalité, la rupture politique date de 2011 avec l’intervention de l’OTAN en Libye. L’Alliance a alors largement dépassé le mandat qui lui avait été donné par la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU (la Russie et la Chine s’étaient abstenues.) Ce camouflet a définitivement convaincu Poutine du peu de cas que faisaient les Occidentaux de la Russie.
La première traduction visible sur le terrain a été la prise de la Crimée par les « petits hommes verts » en 2014 et le début de la guerre du Donbass qu’on mené les séparatistes soutenus par Moscou. L’intervention russe en Syrie en septembre 2015 a également constitué une surprise en raison de sa rapidité puis de sa relative efficacité. Les expériences de la prise de Kaboul en 1979 par les spetsnaz soviétiques, de la Crimée puis des opérations citées plus avant en Syrie ont induit le président Poutine qui a cru pouvoir renouveler l’expérience à Kiev en 2022. Ce dut un échec retentissant(2).

Le retour de Trump au pouvoir en 2025 a marqué la volonté des États-Unis de se désengager du bourbier européen pour se consacrer à son souci principal dans le Pacifique : la Chine. Il a aussi décidé de reprendre la main dans son pré-carré latino-américain (la fameuse « doctrine Monroe ».)

Tout cela a été écrit noir sur blanc dans le document intitulé « National Security Strategy, November 2025 » (NSS).

Dans le détail, l’administration Trump ne veut plus « modeler l’ordre mondial » ni assurer la sécurité de plusieurs continents en tant que « gendarme universel.»
Elle veut recentrer la politique étrangère américaine sur des intérêts strictement nationaux :
protéger les intérêts américains, sécuriser l’économie, verrouiller ses frontières et garder une avance technologique décisive.
Elle ne veut plus assurer des leçons de « démocratie » ni de « reconstruction nationale » à l’étranger en dehors du continent latino-américain.
Elle souhaite se recentrer sur tout ce qui touche directement sa sécurité intérieure : frontières, criminalité transnationale, économie, infrastructures critiques, domination technologique, chaînes d’approvisionnement, etc.
Cette logique de puissance qui paraît moins « idéologique » et plus « réaliste » tranche avec les doctrines interventionnistes – ouvertes ou/et clandestines – qui ont prévalu après la Seconde Guerre mondiale.

La guerre de Corée (1950-63) a constitué un cas exceptionnel. Il s’agissait alors de s’opposer frontalement à l’expansion du communisme international emmené par Pékin et Moscou. Le conflit fut extrêmement dur et la légende dit que le général Douglas MacArthur a proposé l’utilisation de l’arme nucléaire. Bien que cela soit en partie faux (ce n’est pas lui qui l’a proposé), il est à noter que c’est la dernière fois que les États-Unis auraient pu le faire à « moindre frais » car la Chine n’avait pas l’arme atomique et la Russie n’avait pas encore des engins nucléaires opérationnels (ce qui na plus été le cas à partir de 1955 mais la guerre de Corée s’était terminé en 1953.)

Les interventions directes des États-Unis ont été (liste non exhaustive) le Liban en 1958, le Vietnam (1961-75), Liban (1982-1983), la guerre du Golfe (1990-91), Bosnie-Herzégovine (1995), bombardements de la République fédérale de Yougoslavie (1999), l’invasion de l’Irak en 2003 sans oublier les multiples interventions de moindre envergure et souvent semi-secrètes en Amérique latine…

Principe fondamental

Avant de s’intéresser au reste du monde, Washington se pose désormais les questions suivantes : est-ce que ça touche directement la sécurité et/ou la prospérité américaine ?
Si ce n’est pas le cas, tout engagement américain restera limité.

Cette nouvelle hiérarchisation des priorités explique pourquoi le Moyen-Orient est passé au second plan mais en conservant tout de même une constante : la sécurité d’Israël qui doit bénéficier de l’élargissement des accords d’Abraham qui doit être poursuivi.

Quid de l’Europe ?

Le texte sous-entend que les Européens doivent financer davantage leur défense – ce qui n’est pas nouveau -, assumer leur sécurité régionale et arrêter de compter par réflexe sur un parapluie américain automatique.
Jamais auparavant un document NSS n’avait placé aussi clairement l’Europe dans une position secondaire face aux priorités américaines.
Le message implicite sur l’Ukraine est que Washington veut une sortie de conflit qui ne mobilise plus indéfiniment des ressources américaines, à charge pour l’Europe d’assurer la relève.
Une pique sans nuances fait état de l’« effacement civilisationnel » de l’Europe « si les tendances actuelles se poursuivent, le continent sera méconnaissable dans 20 ans ou moins ».
Le vice-président américain, J.D. Vance, avait prévenu lors de son discours prononcé le 14 février à Munich lançant une violente attaque contre le mode de fonctionnement des démocraties européennes et en attaquant les règles locales en matière de libertés publiques.
Les Européens – dont la politique étrangère était alignée depuis des années sur celle des néoconservateurs américains qu’ils précédaient même souvent en « absolutisme » – se retrouvent lâchés en rase campagne.
Alors que les menaces économiques, sociétales, terroristes sont omniprésentes sur le vieux continent, la majorité des dirigeants européens a continué à développer une « psychose russe » de manière à masquer les autres dangers beaucoup plus importants et surtout plus vitaux pour la survie de la vieille Europe.

La Russie va attaquer l’Europe ?

Au sujet de l’Ukraine, nombre de dirigeants européens semblent persuadés que la Russie finira par perdre la guerre et qu’elle sera donc contrainte de payer des réparations. »
Problème : il y a de fortes chances que les gouvernants européens actuellement au pouvoir auront quitté leur poste avant Poutine – sauf accident -.

Le 2 décembre 2025, une remarque a été (volontairement) lâchée par le président Vladimir Poutine juste avant de rencontrer l’envoyé spécial du président américain Donald Trump, Steve Witkoff, et son gendre, Jared Kushner, venus faire les dernières propositions pour la signature de paix avec l’Ukraine – et qui sont repartis bredouilles…
« Nous ne prévoyons pas de faire la guerre à l’Europe, je l’ai déjà dit cent fois. Mais si l’Europe veut soudainement faire la guerre et la commence, nous sommes prêts tout de suite. »
Il a précisé : « ils n’ont aucun agenda pacifique, ils sont du côté de la guerre » réitérant son affirmation selon laquelle les dirigeants européens entravaient les efforts américains de médiation en Ukraine. Il a ajouté que les modifications apportées par les Européens au dernier plan de Trump pour mettre fin à la guerre « visaient un seul but : bloquer complètement le processus de paix et formuler des exigences absolument inacceptables pour la Russie. »

Mais tout le monde n’est pas persuadé qu’une guerre « classique » avec la Russie va avoir lieu.
Le directeur du renseignement national américain, Avril Haines, rappelait encore en 2025 que « Moscou n’a ni la logistique ni l’intérêt stratégique pour envahir l’Europe » (audition du Sénat US, mars 2025.)
Même son de cloche côté OTAN : Matthew Whitaker, ambassadeur américain auprès de l’Alliance tempère froidement les fantasmes médiatiques en déclarant que « la probabilité d’une attaque russe contre l’OTAN est très faible » et qu’il ne voit « aucun signe d’une telle intention. »
Et pourtant, certains responsables politiques et militaires européens se montrent virulents parlant d’une guerre probable contre la Russie dans les années à venir. Ainsi, ils provoquent un sentiment de peur au sein des populations. La bonne question est : pour quelles raisons ?

Extrême-Orient

Une surprise : la doctrine avec la Chine est plus nuancée qu’on ne pouvait le penser. Certes la rivalité reste totale mais pensée avant tout comme technologique, industrielle et économique.
Les États-Unis veulent une dissuasion crédible autour de Taïwan et en mer de Chine méridionale. Mais là aussi ils prônent une augmentation des dépenses de défense du Japon, de la Corée du Sud, de l’Australie et de Taïwan pou « dissuader un conflit autour de Taïwan, idéalement en considérant que la supériorité militaire est une priorité. »
L’Administration Trump sait qu’un affrontement direct avec une puissance mondiale (et nucléaire) comme la Chine ne peut conduire qu’à l’Apocalypse.

Il n’empêche que globalement le cœur du sujet reste la domination technologique et la réindustrialisassions intérieure des États-Unis ainsi qu’une moindre dépendance de l’étranger.
L’économie est clairement désignée comme un outil de sécurité nationale prioritaire. Avant d’être un politique, Trump est avant tout un homme d’affaires…

Dans le jeu mondial politique, tout le monde ment et c’est parfaitement normal. Mais il est possible distinguer quelques idées maîtresses qui permettent de tenter de comprendre les décisions de différents dirigeants.
Les États-Unis se replient sur leurs intérêts directs.
Ainsi, le secrétaire à la Guerre, Pete Hegseth, a enfoncé le clou affirmant qu’il « ne se laissera pas distraire par la démocratisation, l’interventionnisme, les guerres sans définition, les changements de régime, le changement climatique, le moralisme woke et les tentatives inefficaces de construction nationale. »
La Russie profite de sa situation militaire relativement favorable en Ukraine et des soutiens confirmés de la Chine et de l’Inde pour ne rien concéder.
Israël qui se sait soutenu par Washington continue à jouer les gendarmes au Liban, dans le Sud de la Syrie et dans la bande de Gaza.
Les dirigeants latino-américains sont inquiets car ils se retrouvent confrontés à de nouvelles initiatives intrusives de Washington.
Enfin, les dirigeants européens qui sautent d’une réunion à l’autre dans les différentes grandes villes du vieux continent se servent de la « menace russe » pour ne pas avoir à réellement reconnaître ce qui est un vrai danger pour leurs administrés mais qui est clairement désigné par les États-Unis : l’immigration sans limites ni contrôle…
Et sur le plan économique, tout en prenant garde de ne pas totalement la ruiner, les USA participent directement à l’affaiblissement économique de l’Europe, en particulier avec leurs augmentations insensées des droits de douane.

(1) Ce projet de défense anti-missiles devant protéger le territoire américain rendu public le 23 mars 1983 par le président Ronald Reagan rappelle étrangement celui de son lointain successeur Donald Trump, le « dôme d’or » présenté dans le bureau ovale 27 janvier 2025.

(2) Voir : « Pourquoi les forces russes sont si poussives ? » du 25 mars 2025.