Une analyse du Corriere della Serra explique lors des les trois premières années qui ont suivi l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les États-Unis et l’Europe ont soutenu le gouvernement de Kiev par une aide croissante. Selon l'Institut de Kiel pour l'économie internationale cité par le média italien, les chiffres sont les suivants : 74 milliards d'euros en 2022, 79 milliards en 2023 et 89 milliards en 2024 le soutien américain étant légèrement supérieur à celui de l'Europe.

Mais l’administration Trump ayant suspendu tout transfert ou prêt, c’est cette dernière qui doit assumer seule le financement de Kiev.
Pour l’instant, le financement d’au moins 60 milliards d’euros de fonds non débloqués pour l’année prochaine reste incertain.

La vision que les gouvernements de l’Union européenne se font d’une solution au conflit dépend de la manière dont ils lèveront cette incertitude. À elle seule, cette question pourrait s’avérer plus déterminante pour l’avenir de l’Ukraine que le sort de Pokrovsk, dans le Donetsk présenté comme crucial (voir situation sur le terrain en fin d’article.)

La question qui se pose est la crédibilité de l’idée de « victoire » qui reste au gouvernement de Kiev et à ses alliés : tenir le front si longtemps et à un coût humain, social, financier et politique astronomique pour la Russie que cela contraigne enfin Vladimir Poutine à geler le conflit.

L’économie russe dans la tourmente ?

Les dernières données de l’indicateur économique PMI de l’agence de notation Standard & Poor’s Global (S&P Global) montrent que le secteur manufacturier russe se contracte pour le cinquième mois consécutif en octobre, avec un indice tombant à 48. La production est en baisse depuis huit mois consécutifs et les nouvelles commandes chutent à leur rythme le plus rapide depuis trois mois. L’économiste Dmitry Polevoy explique que malgré les mesures prises par l’État pour freiner l’économie, le secteur manufacturier privé s’enfonce dans une véritable récession, avec une baisse de la production, des commandes et des prix. Les perspectives économiques pour l’année à venir sont au plus bas depuis mai 2022.
Par ailleurs, les médias RBK et Kommersant signalent une hausse du chômage caché en Russie. Au cours des trois derniers mois, le nombre de travailleurs dont le temps de travail a été réduit, la semaine raccourcie, ou qui sont en chômage partiel ou menacés de licenciement a été multiplié par 1,5, dépassant les 250 000, selon les données des services de l’emploi. Les analystes préviennent que cette situation pourrait se traduire par de véritables licenciements en raison de la baisse de la demande, notamment dans les régions industrielles. Les organisations patronales indiquent que les entreprises réduisent le temps de travail et mettent leur personnel en congé pour éviter de licencier des employés qualifiés, dans l’espoir d’une amélioration de la situation. Mais beaucoup comparent désormais cette situation à la récession qui a suivi la pandémie de COVID-19 et réclament un soutien de l’État. Le chômage officiel se maintient autour de 1,5 million de personnes.

La victoire : à quel prix ?

Mais même si cette « victoire » est acquise, l’Ukraine sortira de la guerre privée du contrôle d’environ un cinquième de son territoire, avec au moins 100.000 morts, militaires et civils.
Par contre l’Ukraine restera libre et indépendante, capable de choisir son gouvernement et de demander son rattachement à l’Union européenne.
Mais pour parvenir à ce résultat, le pays doit pouvoir résister pendant des années (Kiev parle de deux ans) et pour cela disposer des ressources nécessaires.
Ainsi, Oleksandr Kamyshin, conseiller spécial de Volodymyr Zelensky pour le réarmement, explique que l’industrie de défense ukrainienne fonctionne actuellement à un tiers de sa capacité faute de financements…

Utilisation des réserves gelée russes ?

Par conséquent, la question d’avoir recours aux réserves gelées de Moscou d’une valeur d’au moins 140 milliards d’euros, se pose pour l’avenir du conflit mais avec le risque des actions en justice que lancera alors Moscou devant les juridictions internationales (avec une grande chance de l’emporter) mais aussi avec la nationalisation des actifs privés européens en Russie.

Certains dirigeants européens pensent qu’allouer ces fonds à Kiev fera comprendre à Poutine que l’Ukraine continuera le combat pendant au moins deux ans alors que la Russie verra son économie et son budget se détériorer et son armée perdre plus de 350.000 hommes par an, tués et blessés, pour reconquérir ne serait-ce que les plus infimes portions de territoire détruit.

Mais les alliés sont divisés sur le sujet. Les pays nordiques et la plupart des pays d’Europe centrale et orientale sont déterminés à utiliser ces fonds pour Kiev sous forme d’avance, en contrepartie d’un prêt, sur les réparations que Moscou devrait verser pour son agression. L’Allemagne hésite.
L’Italie et la France emboîtent le pas, mais avec une certaine réticence en raison des risques évoqués plus avant tout en sachant que les « réparations » supposées de Moscou après la fin du conflit relèvent du vœu pieux.
La Belgique s’y oppose totalement étant donné que la plupart des avoirs russes gelés sont actuellement détenus sur la plateforme Euroclear à Bruxelles.
La décision du Conseil européen est attendue le 18 décembre.

La suite ?

Elle pourrait entraîner un basculement progressif de l’équilibre des forces dans ce conflit, car la situation actuelle est intenable à long terme, même pour le Kremlin.
De nouvelles sanctions américaines sur le pétrole pourraient accentuer l’érosion des recettes budgétaires de Moscou, surtout si la Chine ne parvient pas à absorber la totalité des ventes de pétrole brut russe que l’Inde cesse officiellement d’acheter.

Le fol espoir est que Poutine ne pourra pas poursuivre la guerre indéfiniment si l’Europe est suffisamment déterminée derrière Kiev.
Problème : l’Europe est elle-même engagée dans une crise économique majeure et des problèmes de société qui peuvent dégénérer à tout moment. Le pari est donc risqué.

Situation sur le terrain

En dehors des attaques réciproques dans la profondeur des territoires respectifs – vantées par la propagande des deux États -, le sort des armes se joue actuellement sur le champ de bataille.
La Russie grignote toujours du terrain mais l’Ukraine oppose une défense mobile lançant de sporadiques coups de main.

La situation à Pokrosk est jugée comme importante car c’est un bastion ukrainien que les Russes tentent de faire tomber. Selon un officier ukrainien engagé sur zone, environ 60 % de la ville est contrôlée par les Russes.

L’objectif de ces opérations offensives russes est de faire converger les forces venant du nord et du sud pour refermer la tenaille.