Comme cela était prévisible, l’implication russe au Sahel est en train de s’ensabler. La société militaire privée « groupe Wagner » avait été déployée en élément précurseur en 2021 et avait réussi l’exploit de parvenir à faire croire à une partie des responsables militaires locaux qu’elle pouvait remplacer l’aide occidentale.

Après différents coups d’État militaires – vraisemblablement secrètement appuyés par les services secrets russes -, le Kremlin a eu la grande satisfaction de voir les Occidentaux priés de plier bagages du Mali, Niger et du Burkina Faso.
À noter que la partie de la Libye contrôlée par le Maréchal Haftar – lui-même lourdement soutenu par Moscou – a servi de base arrière pour le déploiement puis le soutien logistique des forces russes s’installant progressivement au Sahel(1).

C’est d’ailleurs à cette occasion que le général Iounous-bek Evkourov, vice-ministre de la défense russe est apparu comme le véritable coordonnateur des opérations du Kremlin en Afrique.
Né le 23 juillet 1963, ce général d’armée russe a été pendant plus de dix ans le chef de la république russe méridionale d’Ingouchie (2008-2019). Militaire de carrière, ce parachutiste héros de la Fédération de Russie, a notamment servi au Kosovo et en Tchétchénie. Il a été gravement blessé en 2009 lors d’un attentat à la voiture piégée qui le ciblait dans la ville de Nazran.
Non seulement c’est lui le véritable patron des mercenaires russes déployés sur le continent africain mais aussi le représentant direct du Kremlin auprès des différents chefs d’États et autorités de la région. À noter que le fait d’être est musulman sunnite est un véritable atout pour lui dans les pays à majorité musulmane.

Au départ, la société Wagner comptait se « payer sur la bête » en exploitant ce qui pouvait l’être localement.
Mais cela eu une fin lorsque le chef et fondateur de la SMP russe Evgueni Prigojine s’est rebellé contre Vladimir Poutine et les chefs militaires russes qu’il jugeait – à juste raison – incompétents sur le champ de bataille ukrainien. Il ne semblait pas inclure Evkourov dans le lot.

Prigojine et son état major ont disparu dans un tragique « accident » d’avion entre Moscou et St-Petersburg deux mois après l’échec du mouvement.

Historiquement, la mission des mercenaires de Wagner s’est transformée en fiasco au moment où cette soldatesque s’est livrée à des raids ultra-violents et non coordonnés sur les objectifs civils. Cela a provoqué le chaos et la peur au sein des populations maliennes dissuadant les informateurs potentiels de collaborer et précipitant des jeunes miséreux désœuvrés dans les bras des jihadistes.

Surtout, les mercenaires de Wagner ne sont pas parvenus à tirer tout ce qu’ils voulaient en ressources financières incapables d’atteindre un gigantesque gisement d’or malien qu’ils avaient l’intention d’utiliser car la zone n’est pas assez sûre pour être exploitée.
L’investissement consenti par Moscou au Mali s’est retrouvé déficitaire…
En fin de comptes, le déploiement de forces russes au Mali n’a pas été « un investissement intéressant pour aucune partie impliquée. »

Wagner a quitté le Mali en 2025, l’Africa Corps dépendant directement du ministère de la défense russe (mais composé de contractuels) reprenant ses missions à sa charge.
Malgré les rapports alarmistes, la version officielle russe était en juin : « la Russie ne perd pas de terrain. Au contraire, elle continue de soutenir Bamako à un niveau plus fondamental. »
Un peu plus d’une semaine après cette déclaration, un convoi de l’Africa Corps et de l’armée malienne tombaient dans une embuscade tendue par le Front de libération de l’Azawad entre Anefis et Aguelhoc dans le nord du pays. Les rebelles touaregs, qui combattent parfois aux côtés des militants islamistes, ont détruit la moitié des 40 véhicules du convoi et tué des dizaines de combattants.

Plus généralement, selon un haut responsable américain, les juntes militaires du Mali, du Niger et du Burkina Faso sont aujourd’hui en très grande difficulté face aux branches locales d’Al-Qaida et du groupe l’État islamique(2).
Selon le Centre africain d’études stratégiques financé par le Pentagone, au cours de l’année écoulée, près de 11.000 personnes ont été tuées (dont la moitié au cours de combats directs) à la suite des attaques d’islamistes au Sahel.

Tentant de profiter de l’instant jugé favorable, les stratèges du Pentagone commencent à murmurer aux oreilles des dirigeants concernés qu’ils pourraient apporter de nouveau leur aide. Pour cela, ils ont dépêché en éclaireur Erik Prince, le patron de « Frontier Services Group », leur mercenaire préféré(3)…

Si les violences ont débuté au Mali il y a une dizaine d’années, la plupart des opérations offensives ont lieu au Burkina Faso (les paramilitaires de l’Africa Corps se sont installés sur la base de Loumbila au nord-ouest de Ouagadougou en décembre 2023), les insurgés étendant leurs ambitions au sud vers les États côtiers le long du golfe de Guinée.
Au Burkina Faso, une force de mercenaires russe de 300 membres d’une société appelée Bear est arrivée en mai 2024, mais a été rappelée trois mois plus tard pour aller se battre en Ukraine.

Selon les responsables européens de la sécurité, un petit contingent de l’Africa Corps est destiné à former l’armée aux opérations de drones et à protéger le « président de la transition » Ibrahim Traoré.
Mais la junte au pouvoir semble souhaiter que la présence de la Russie reste limitée.

La Russie est également confrontée à de nouveaux obstacles ailleurs sur le continent.
En République centrafricaine, où le gouvernement tente de mettre fin à une insurrection persistante, les mercenaires de Wagner ont eu la main dans une variété d’entreprises, allant de l’or minier à la fourniture de gardes du corps présidentiels. Moscou pousse le président Faustin-Archange Touadéra à remplacer l’accord existant qu’il a conclu avec les mercenaires par un contrat avec l’African Corps dont des éléments sont présents depuis 2024.

Les nouveaux arrivants russes restent pour la plupart dans leurs casernes pour se concentrer sur la formation de l’armée locale ce qui limite considérablement leur efficacité.

Par ailleurs, les tentatives russes de s’impliquer dans la guerre civile soudanaise ont échoué. Sous Prigojine, Wagner avait extrait de l’or en partenariat avec Mohamed Hamdan Dagalo alias Hemeti, le chef des Forces de soutien rapide (FSR). Après la mort de Prigojine, Moscou a dépêché au début 2024 de nouveaux personnels de l’Africa Corps pour assurer la sécurité des mines, mais sous la pression, les nouveaux arrivants ont du repartir.

Des plans russes similaires visant à développer une présence importante dans de nouvelles parties de l’Afrique ont également été repoussés sauf au Niger où les Russes de l’Africa Corps sont présents depuis le début 2024 et en Guinée équatoriale depuis 2025.

À part en Libye (et encore…), les forces russes en Afrique manquent cruellement d’aviation, de drones et d’effectifs à engager durablement sur le terrain. Les contractors de l’Africa Corps se cantonnent à la protection directe des dirigeants actuels et à l’instruction des forces de sécurité locales tout en évitant de s’exposer plus avant. Les renforts en hommes et en matériels qui seraient nécessaires pour être vraiment efficaces sont pour le moment consacrés à la guerre en Ukraine qui est jugée comme vitale.
Les jihadistes profitent de cette situation qui leur laisse le champ libre pour étendre leur influence. Pour le moment, ils n’ont pas encore les effectifs nécessaires pour passer à une phase de conquête du pouvoir mais ils le grignotent lentement mais sûrement.
Historiquement, sur le long terme le continent africain a toujours absorbé, digéré puis rejeté les agents extérieurs (Français, Britanniques, Allemands, Belges, Portugais, Soviétiques – même les Cubains que Moscou y avaient dépêché pensant qu’ils seraient plus facilement acceptés -, Ottomans, etc.) C’est vraisemblablement ce qui va arriver avec les Russes et leurs amis chinois…

(1) Voir : « Libye : porte d’entrée de l’Afrique pour la Russie » du 5 juin 2024.

(2) Voir : « Daech en pointe en Afrique » du 1e octobre 2025.

(3) Voir : « Erik Prince revient sur le devant de la scène » du 7 août 2025.