Il faut reconnaître que l’État hébreu fait peu de cas des résolutions internationales ayant été rappelé à l’ordre à 229 reprises par le Conseil de sécurité de l’ONU entre 1948 et mars 2024. Ces résolutions n’ont jamais abouti.
Après les attaques contre l’Iran qui ont diminué significativement ses capacités militaires, la Turquie reste le seul pays de la région assez puissant pour s’opposer politiquement à Israël.
Suite aux accusations de génocide à Gaza, Ankara qui s’est autoproclamé « défenseur de la cause palestinienne » depuis des années, a fermé son espace aérien et ses ports à Israël.
Cependant, l’inquiétude turque porte surtout sur la Syrie où elle est très présente aux côtés du gouvernement islamique en place depuis la chute de Bachar el-Assad.
Les Israéliens n’ont cessé de bombarder des dépôts d’armes et des structures aéroportuaires gouvernementales. Plus récemment, Israël a mené des opérations tuant des soldats syriens à quelques kilomètres de Damas.
Défiant clairement la Turquie qui avait l’intention de s’installer sur certaines bases aériennes pour être en mesure de contrôler en partie l’espace aérien syrien, l’État hébreu a déclaré qu’il n’autoriserait pas la présence de forces « hostiles » en Syrie.
Sur le plan militaire
Bien que beaucoup plus puissante que l’armée iranienne particulièrement dans les domaines aérien et maritime, l’armée turque manque encore de missiles balistiques et surtout doit considérablement étoffer sa défense aérienne si elle veut être en mesure de parer efficacement des frappes aériennes extérieures.
Le complexe militaro-industriel turc qui est en plein développement a connu des grands succès à l’export, notamment dans le domaine des drones qui ont révolutionné l’art de la guerre est totalement mobilisé pour pallier les manques constatés.
Ainsi, fin août, le président Recep Tayyip Erdoğan a salué la livraison du système de défense antiaérienne « Dôme d’acier » comme un « tournant pour la Turquie. »

« Aujourd’hui, nous fournissons à notre armée le système Dôme d’acier, composé de 47 véhicules d’une valeur de 460 millions de dollars, qui inspirera confiance à nos amis et crainte à nos ennemis.»
Le ministre de la Défense, Yaşar Güler, a affirmé de son côté que ce système « renforcera encore la dissuasion et l’efficacité de nos forces armées (…) et garantira notre sécurité au plus haut niveau. »
Ensuite, le président Erdoğan a inauguré les travaux en vue de doter la Turquie d’une gigantesque base technologique d’une valeur d’un milliard et demi de dollars, la qualifiant de « plus important investissement dans l’industrie de la défense jamais réalisé en une seule fois dans l’histoire de la République […] Il s’agira de la plus grande installation intégrée de défense antiaérienne de toute l’Europe. » Le premier élément de ce complexe encore bien mystérieux devrait être opérationnel à la mi-2026.
Enfin, la Turquie a également lancé un projet de construction d’abris pour les populations civiles dans 81 provinces… Même lors des risques de conflits contre l’Irak ou la Syrie, aucune mesure de ce type n’avait été prise…
Quelle sont les menaces pour la Turquie ?
Depuis la Guerre froide, Ankara s’est toujours considéré visé par de nombreuses « menaces ». La première a été constitué par le Pacte de Varsovie et ses velléités expansionnistes pour répandre dans le monde entier en général et en Europe occidentale en particulier l’idéologie marxiste-léniniste des « petits matins qui chantent. »
La seconde a été la Grèce des « colonels » qui souhaitait récupérer Chypre sous sa houlette. L’opération « Attila » de 1974 a empêché la réalisation de ce projet mais a entrainé la partition de l’île en deux et la condamnation internationale d’Ankara.
Suite à la révolution islamique chiite en Iran, la Turquie a assisté à ses frontières à la guerre Iran-Irak (1980-1988). Les répercussions directes sur la Turquie furent faibles mais l’ambiance était pour le moins explosive.
En 1990-91, la Turquie s’est rangé aux côtés de la coalition internationale lors de la première guerre du Golfe.

Par contre, elle refusa que la base aérienne d’Inçirlik soit utilisée pour des missions de guerre lors de l’invasion US de l’Irak en 2003.
À partir de 1984, Ankara a été confronté à une guerre séparatiste intérieure emmenée par le PKK. Le problème est que des activistes kurdes avaient établi des bases arrière en Syrie – puis en Irak. En 1998 cela a conduit la Turquie à menacer militairement la Syrie si ce pays continuait à accueillir le leader du PKK Abdullah Öcalan. Ce dernier est expulsé dans la foulée et capturé lors d’une opération des services spéciaux turcs (MIT) au Kenya en 1999.
2000 fut un tournant politique majeur pour la Turquie avec l’arrivée au pouvoir d’islamistes proches des Frères musulmans.
Des relations complexes avec Israël(1)
La Turquie est le premier État à majorité musulmane qui a reconnu l’État hébreu en 1949. Elle a ensuite adopté une politique de neutralité à l’égard du conflit israélo-arabe tout au long de la Guerre froide.
Les relations ont été renforcées suite à la disparition du Pacte de Varsovie jusqu’à l’arrivée des islamistes au pouvoir à Ankara au début des années 2000. En effet, le Premier ministre puis président, Recep Tayyip Erdoğan, a souhaité prendre la tête des défenseurs de la cause palestinienne qu’il jugeait porteuse pour son image de marque dans le monde musulman dont il rêvait d’en devenir le leader. Mais c’est le 31 mai 2010 que le drame est arrivé, des commandos israéliens prenant d’assaut le navire turc Mavi Marmara, navire amiral d’une flottille internationale qui devait rompre le blocus sur Gaza. Dix passagers ont alors été tués.

Le raid a déclenché l’indignation internationale et provoqué une sérieuse dégradation des relations entre Israël et la Turquie. En 2013, le Premier ministre Benyamin Netanyahou a été contraint (poussé par Washington) de présenter ses excuses au peuple turc et a donné son accord pour l’indemnisation des familles.
Une reprise des relations diplomatiques normales a eu lieu en 2016 mais se sont de nouveau interrompues en 2018 avant de connaître une nouvelle embellie en 2022 avec la visite d’État, du président israélien Isaac Herzog en Turquie.
Cependant elles se sont de nouveau détériorées en 2023-2024 toujours dans le contexte de la guerre à Gaza. Le 13 novembre 2024, les relations diplomatiques ont été rompues, le survol et les ports turcs étant interdits aux Israéliens.
Lors de la semaine diplomatique de l’ONU de la fin septembre concernant le problème palestinien, Erdoğan a condamné les opérations militaires israéliennes à Gaza comme étant une « politique de meurtre de masse » plutôt qu’une guerre…
Et pourtant, derrière le rideau, la Turquie et Israël soutiennent l’Azerbaïdjan dans le conflit latent avec l’Arménie.
Dans ce cadre, le pétrole et le gaz azéris continuent d’être acheminés vers Israël via la Turquie…

Mais compte tenu de l’audace politico-militaire du premier ministre Netanyahou, des actions en Syrie contre les intérêts turcs et – même – contre des « terroristes » qui ont des représentations sur le territoire turc, ne sont pas à exclure.
En effet, la Turquie accueille – comme beaucoup d’autres pays – des représentants de mouvements pouvant être désignés comme « terroristes » par d’autres pays.
L’expérience qatarie

Jusqu’à ces derniers temps, les États du Golfe ont supposé que les garanties de sécurité américaines dissuaderaient l’État hébreu de franchir certaines frontières, d’où la surprise du bombardement d’une représentation du Hamas dans ce pays(2)…
De plus, le Qatar abrite la plus grande base militaire US dans la région (Al-Udeib Air Base) où sont stationnés six F-16 turcs dans le cadre du « commandement conjoint turco-qatari. » La surprise a donc été totale.

Bien sûr, le président Erdoğan très proche du Qatar a condamné la frappe.
Cette opération a encore aggravé les tensions entre la Turquie et l’État hébreu, soulevant des questions quant à la possibilité d’un affrontement car les dirigeants israéliens se sont engagés à maintes reprises à poursuivre le Hamas « où qu’il se trouve. »
Cette rhétorique a un poids symbolique en Turquie, qui accueille des membres du Hamas depuis 2011, lorsqu’une quarantaine d’entre eux y ont été réinstallées dans le cadre de l’échange de prisonniers pour récupérer le soldat Gilad Shalit.
Les analystes turcs font toutefois valoir que toute violation israélienne de l’espace aérien turc déclencherait une réaction immédiate et une escalade.
Le président turc a déclaré : « nous avons été la première nation de l’OTAN à abattre un avion militaire russe depuis la Guerre froide(3). S’il en est ainsi, nous pourrions être les premiers à détruire un F-35. »
Par contre, l’OTAN dont la Turquie est membre se retrouverait dans une position très inconfortable si Ankara demande l’application de l’article 5 : l’adversaire désigné serait l’État hébreu….
Au-delà du risque de frappes aériennes, la Turquie est également consciente de possibles tentatives d’assassinats ciblés contre des activistes du Hamas à l’intérieur du pays.
Des opérations clandestines similaires menées par des agents russes et iraniens au cours des trente dernières années ont révélé des vulnérabilités mais les responsables turcs soutiennent que les capacités de contre-espionnage ont considérablement accru ces derniers temps.
Ils soulignent que la protection des membres du Hamas n’est pas seulement un choix politique, mais aussi une question de sauvegarde de la souveraineté turque contre les activités clandestines étrangères.
Ces dernières années, les services de renseignement turcs ont pourchassé des réseaux d’espionnage liés au Mossad.
Malgré cela, la plupart des responsables pensent que la Turquie et l’État hébreu finiront par faire diminuer les tensions grâce à la médiation des États-Unis qui ne veulent surtout pas abandonner ces deux importants alliés sur zone.
2. Voir : « Opération ‘Atzeret HaDin’ menée par Israël au Qatar » du 10 septembre 2025.
3. Voir : « La Russie teste les défenses de l’OTAN » du 22 septembre 2025.