Le phénomène a d’abord apparu dans les prisons – devenues depuis des années le quartier général de gangs – puis s’est étendu à la rue.
Bien que près de 80 % des violences se concentrent dans les provinces côtières, points de passage essentiels pour les cargaisons de drogue, les gangs ont étendu leur présence à plus de 150 des 222 municipalités du pays. Ils ont également augmenté leur présence en Colombie, au Pérou et au Chili.
Selon les autorités, le crime organisé équatorien serait fort de plus de 15.000 membres mais des estimations privées affirment que ce chiffre serait plus proche de 60.000 individus si on décompte aussi les Colombiens, les Vénézuéliens et les Péruviens qui sont « associés »…

La violence visant le monde politique est devenue chronique en raison de l’intensification des luttes pour le contrôle des économies illicites entre des groupes criminels de plus en plus fragmentés.
Les politiques de sécurité ont également influencé l’évolution de la situation dans le pays. La déclaration d’état de « conflit armé interne » par le président Noboa en janvier 2024 et la militarisation subséquente de la sécurité publique ont initialement permis de freiner la violence, notamment dans les prisons.
Mais cette accalmie initiale s’est progressivement inversée et la violence a atteint des niveaux inégalés au début 2025.
Historique
Peu après sa première élection en 2006, le président Rafael Correa a négocié avec des gangs de rue originaires des États-Unis et de Porto Rico, tels que les Latin Kings et Los Ñetas, les reconnaissant comme des « organisations de la société civile » en échange d’une baisse de la violence. Ce processus a contribué à réduire la violence à des niveaux historiquement bas dans les années qui ont suivi. Lorsque Correa a quitté le pouvoir en 2017, l’Équateur affichait un taux d’homicides de 6 pour 100.000 habitants, l’un des plus bas d’Amérique latine.
Cependant, de nombreux analystes affirment que les gangs ont surtout profité de ce processus pour infiltrer les institutions de l’État.
L’exemple typique est Leandro Norero alias « El Jefe », un ancien membre des Ñetas qui a participé au processus de pacification du président Correa (2007-2017). Il est devenu l’un des acteurs clés du monde criminel du pays, exploitant ses connexions politiques pour étendre ses activités financières illicites, comme le révèlent de récentes affaires de corruption.

Accusé de corruption, l’ex-président Correa a été condamné par contumace en 2020 par la justice équatorienne à huit ans de prison et 25 ans d’inéligibilité. Depuis juillet 2017, il est réfugié politique en Belgique.
Dans le cadre de mesures d’austérité, son successeur Lenín Moreno (2017-2021) a retiré le soutien gouvernemental au processus de pacification, dissout le ministère de la Justice et le Secrétariat à la lutte contre la corruption et réduit le financement des prisons de 30%. Pourtant, la population carcérale avait triplé entre 2010 et 2020 donnant naissance à de puissants réseaux criminels au sein des prisons.
Alors que les institutions équatoriennes s’affaissaient en raison de ces mesures, le pays est devenu une destination de plus en plus attrayante pour le trafic de drogue et les activités de blanchiment d’argent en raison de sa situation géographique privilégiée entre les pays les plus grands producteurs de cocaïne, la Colombie et le Pérou, de ses ports orientés vers l’exportation et de son économie dollarisée.
Les organisations criminelles transnationales mexicaines, albanaises et italiennes en ont profité pour y renforcer leur présence.
Un voisin encombrant : la Colombie
Dans le même temps, l’accord de paix signé en 2016 entre le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) a créé un vide sécuritaire favorisant le flux de cocaïne vers le sud créant une sorte de libéralisation du marché de la drogue et favorisant la concurrence entre les groupes criminels ayant des alliances – souvent volatiles – avec les acheteurs internationaux.
D’ailleurs, les conflits entre les groupes rebelles colombiens pour le contrôle des départements de Nariño et de Putumayo, producteurs de coca dans le sud du pays, à la frontière avec l’Équateur se sont intensifiés.

L’évolution des alliances et du contrôle territorial entre les groupes armés colombiens et équatoriens a considérablement accru les risques de violences des deux côtés de la frontière rendant la zone très dangereuse.
Si la grande majorité de la cocaïne mondiale provient de Colombie dont les groupes criminels ont accumulé un pouvoir et une richesse considérables grâce à leur contrôle historique sur le trafic de cette drogue, des gangs équatoriens comme los Choneros et los Lobos, ont d’abord joué le rôle de simples prestataires de services pour des commanditaires colombiens – en plus des réseaux criminels mexicains et européens – dans le domaine de la logistique : transport, stockage et chargement de conteneurs de drogue.
Plus récemment, la flambée mondiale des prix de l’or a déclenché un boom de l’extraction minière illégale, entraînant les organisations criminelles équatoriennes mais aussi colombiennes plus profondément dans les régions amazoniennes et andines du pays, contribuant ainsi à l’augmentation de la violence.
Cette combinaison de facteurs nationaux et internationaux a incité les gangs équatoriens à renforcer et à absorber, voire à remplacer, leurs prédécesseurs. Ils ont diversifié leur portefeuille économique en ouvrant leurs activités au racket, aux enlèvements, à l’exploitation minière illégale, au trafic d’êtres humains, à la contrebande de médicaments, au vol de carburant et au trafic d’espèces sauvages…
Initialement, des gangs tels que Los Águilas, Los Lobos, Los Tiguerones et Chone Killers coopéraient sous l’égide de l’organisation Los Choneros dirigée par Jorge Luis Zambrano alias « Rasquiña » assassiné par balles dans un centre commercial en 2020.


À sa disparition, des tensions autour du leadership sont apparues en interne mais également alimentées depuis l’extérieur par la guerre de suprématie menée au Mexique entre le cartel de Sinaloa et le cartel de Jalisco nouvelle génération (CJNG).
En effet, Rasquiña avait établi des relations avec le cartel de Sinaloa et, à la même époque, le CJNG avait lancé des incursions en Équateur cherchant à s’allier avec certains gangs membres l’organisation Los Choneros, notamment Los Lobos. C’est vraisemblablement cela a causé l’assassinat de Rasquiña en décembre 2020.
Cette disparition a déclenché une violente guerre des gangs qui ont voulu se faire une place au soleil.
Ces affrontements internes ont d’abord été visibles au sein de l’univers carcéral illustrés par de multiples émeutes tournant au massacre en 2021.
Ils se sont ensuite propagés dans la rue. Los Lobos est le gang qui a été le principal auteur de violences dans sa quête pour devenir une puissance hégémonique dans le monde criminel du pays. Il est appuyé par le CJNG mexicain et s’est allié aux gangs Tiguerones et Chone Killers.
La détérioration de la situation sécuritaire en Équateur depuis 2020 a terni l’image du président Guillermo Lasso alors en exercice (2020-2023). Une enquête journalistique a révélé en 2023 l’implication de Lasso dans des détournements de fonds, ainsi que des liens entre son beau-frère et la mafia albanaise. L’Assemblée nationale a engagé une procédure de destitution. Pour l’éviter, Lasso a dissous l’Assemblée nationale en mai 2023 et a convoqué des élections anticipées. Daniel Noboa, un jeune entrepreneur qui avait promis une approche sévère contre la criminalité, a remporté le second tour des élections contre la candidate de gauche Luisa González en octobre 2023 et a été nommé pour siéger jusqu’à la fin du mandat de Lasso prévu en mai 2025. Il a été réélu (contre la même candidate de 2023) pour quatre ans en 2025.

L’Équateur est ainsi devenu en 2023 le pays le plus violent d’Amérique latine avec un taux de meurtres de 44,5 homicides pour 100.000 habitants, un record qui se maintient encore aujourd’hui.
Près de 80% des violences liées aux gangs enregistrées ont eu lieu dans cinq des 24 provinces du pays : Guayas, Manabí, El Oro, Santa Elena et Esmeraldas.
La ville de Guayaquil qui abrite le plus grand port du pays est devenue le foyer principal de la violence, représentant environ un quart des événements criminels enregistrés jusqu’à présent en Équateur. Elle se classe juste derrière Rio de Janeiro et Salvador au Brésil pour le nombre total de violences liées aux gangs en 2023 et 2024 en Amérique latine ( voir tableau ci-après.)

La diversification des activités des gangs a favorisé leur expansion à l’intérieur des terres, en particulier autour des sites miniers et le long des principales autoroutes du pays, que les gangs utilisent pour racketter des entreprises de transport dans les secteurs de l’agriculture, du textile et de l’industrie.
En Équateur, la violence est également devenue un élément de plus en plus important de la compétition politique, les groupes criminels organisés s’attaquant aux personnalités qui entravent leurs intérêts suivant des tendances similaires de beaucoup d’autres pays d’Amérique latine.
En 2024, suite à d’importantes opérations policières appuyées par les forces armées, le taux d’homicides du pays a légèrement diminué pour la première fois depuis 2019.
Les autorités ont affirmé avoir arrêté en 2024 plus de 73.000 personnes mais la grande majorité a été libérée, principalement faute de preuves.
Cependant, les mesures qui ont contribué à contenir la violence au cours des premiers mois de 2024 ont eu pour conséquence inattendue d’alimenter davantage les luttes de pouvoir et la fragmentation au sein des gangs. À savoir que les interventions dans les prisons et les communautés contrôlées par les gangs ont entravé les communications entre les chefs de gangs emprisonnés et ceux qui étaient à l’extérieur. Elles ont incité certains de se cacher, voire à quitter le pays, déclenchant des luttes de pouvoir internes et conduisant à de nouveaux bouleversements dans le monde criminel.
Ainsi, l’organisme d’études des conflits, l’ACLED (Armed Conflict Location & Event Data) qui a enregistré l’activité d’au moins 37 gangs en 2024, soit 54 % de plus qu’en 2023 dans le cadre de ce qu’un expert en sécurité appelle une « deuxième vague de fragmentation », après celle qui a conduit à la désintégration de la confédération dirigée par los Choneros en 2020.
Parallèlement, la concurrence a également repris dans les prisons, alors que le contrôle militaire des prisons a commencé à se fissurer au cours du second semestre de l’année 2024 et que les gangs ont tenté de reprendre le contrôle de l’économie carcérale.
Entre le 1er janvier et le 23 mai 2025, l’ACLED a enregistré plus de 1.300 événements de violence de gangs, soit plus de 60 % de plus qu’à la même période en 2024.

Le président Noboa a déclaré l’état de « conflit armé interne » le 9 janvier 2025, désignant 22 gangs criminels violents comme « organisations terroristes » et chargeant les forces armées de participer à des opérations de sécurité dans les quartiers contrôlés par les gangs et les points chauds de l’exploitation minière illégale et de prendre le contrôle des prisons.
Cette décision a accru la pression du gouvernement et s’est heurtée à une forte résistance de la part des criminels qui, selon les termes d’un expert en sécurité « ont pris le concept de ‘conflit armé interne’ plus au sérieux que le gouvernement lui-même, augmentant leurs attaques. »
La violence a finalement diminué à l’intérieur des prisons après que les forces militaires aient pris le contrôle du système pénitentiaire le 14 janvier. Les affrontements entre gangs et les attaques ciblées contre les détenus par des membres de gangs ont diminué de 64 % par rapport à l’année précédente.

Selon le site « InSight Crime », de nombreux chefs criminels craignant pour leur vie en Équateur en raison de l’insécurité latente tentent de trouver refuge à l’étranger.
Souhaitant échapper à la spirale de la répression et aux guerres internes, ces individus sont particulièrement attirés par la Colombie pour diverses raisons, notamment la facilité d’accès et le faible coût de la vie.

La Colombie constitue une destination attrayante permettant aux fuyards de passer inaperçus. . La frontière terrestre entre les deux pays est poreuse, ce qui permet aux Équatoriens de la franchir facilement sans laisser de traces.
. La proximité culturelle et géographique des deux nations implique également que de nombreux Équatoriens vivent ou visitent la Colombie, ce qui permet aux criminels de se fondre parmi leurs compatriotes.
. Le faible coût de la vie en Colombie par rapport à l’Équateur pourrait être un facteur supplémentaire, offrant aux citoyens équatoriens un style de vie plus luxueux que chez eux.
. Les chefs de gangs équatoriens se rendent également en Colombie pour nouer des relations directes avec les fournisseurs colombiens de cocaïne.
Quelques cas connus
Le 30 mai, la ministre argentine de la Sécurité, Patricia Bullrich, a annoncé que Terry Israel Camacho, alias « Trompudo » s’était vu refouler à l’aéroport international Ezeiza de Buenos Aires. Arrivé par avion en provenance de Bogotá, il est l’un des principaux dirigeants du gang Chone killers.
Selon les autorités argentines : « il avait été repéré à Bogotá ; nous avons coordonné notre action avec la Colombie, nous l’attendions à Ezeiza ».
La fuite de Trompudo à Bogotá a fait suite à une tentative d’assassinat en décembre 2024 contre lui et son frère, Antonio Benjamín Camacho, alias « Ben 10 » (qui lui avait été tué) à Cali, dans le sud-ouest de la Colombie.

Depuis, il se réfugie dans les aéroports internationaux d’où il est régulièrement expulsé mais refuse de revenir en Équateur.
Pour mémoire, le gang Chone killers est issu de l’organisation criminelle portoricaine Ñetas après l’expansion internationale de cette dernière.
Lorsque le chef de Los Choneros, Zambrano, a été tué en 2020, le Chone killers et plusieurs autres gangs se sont séparés en raison de désaccords avec la direction de José Adolfo Macias Villamar alias « Fito » arrêté récemment(1).
En 2021, le Chone Killers et d’autres gangs anciennement membres de l’organisation Los Choneros dont Los Pipos, Los Lobos et Tiguerones, ont annoncé la création d’une alliance baptisée Nueva Generación à l’image du cartel de Jalisco nouvelle génération (CJNG).
Le Chone killers a acquis une notoriété internationale après le meurtre en prison le 3 octobre 2022 de Leandro Noreno alias « El Jefe »(2) un ancien membre des Ñetas qui avait bénéficié de la politique libérale du président Correa dans les années 2016 (voir plus avant.)
Il a finalementété tué lors d’une émeute dans le pénitencier de Cotopaxi en périphérie de la ville de Latagunda qui a fait 13 autres victimes sans compter 21 blessés… Ce dernier était aussi le « comptable » du Chone killers et de ses alliés.

En mai 2024, les autorités panaméennes ont capturé Julio Alberto Martínez Alcívar alias « Negro Tulio », chef du Chone Killers, recherché en Équateur pour terrorisme et identifié comme le cerveau présumé du meurtre d’un procureur anticorruption.
L’attaque contre les frères Camacho n’est qu’un exemple parmi tant d’autres de chefs de gangs et de trafiquants de drogue équatoriens apparus en Colombie au cours des 20 dernières années.
En février 2025, des tueurs à gages ont attaqué Édinson Alexander Delgado Rocafuerte, alias « Saoco », chef d’une faction naissante des Lobos appelée Sao-Box, dans la métropole caribéenne de Barranquilla.
Saoco a survécu à l’attaque et a fui le pays peu après, selon Expreso.
Les Équatoriens ont parfois tenté de supprimer les intermédiaires et de conclure des accords plus directs avec les fournisseurs de drogue, avec un succès variable.

En mai 2023, le corps de Junior Roldán, alias « JR », a été retrouvé dans une zone rurale du département colombien d’Antioquia.
Ce chef dirigeait le gang équatorien des Águilas et était un proche allié du chef des Choneros, José Adolfo Macías Villamar, alias « Fito » arrêté récemment.


Des rumeurs persistent cependant selon lesquelles JR aurait simulé sa mort.
Le crime organisé en Amérique latine est un véritable cancer qui dévore les États de l’intérieur. Les grandes organisations criminelles sont traditionnellement issues de Colombie, du Mexique et du Brésil. Elles ont pénétré nombre d’autres pays latino-américains où elles collaborent avec les gangs locaux comme en Équateur.
Le résultat est que cette pépinière de cartels gangrène maintenant les autres continents fournissant la matière première : la drogue et maintenant de l’or.
Malgré la coopération policière internationale – qui présente néanmoins des « trous » pour des raisons de politiques étrangères parfois divergentes – , ce cancer est en train de réussir ses métastases car il a à sa disposition une arme redoutable : la corruption que lui autorise ses moyens financiers considérables.
Si les différents gouvernements mettent bien en avant les dangers militaro-politiques qui proviennent de l’extérieur (Russie, Iran, etc.), ils parlent moins de cette gangrène qui insidieusement ronge les structures sociétales de l’intérieur… Cette menace est pourtant existentielle pour tous les États.
1. Voir : « Équateur : baron de la drogue arrêté » du 27 juin 2025.
2. Voir : « Mort d’un ‘médiateur » lors d’émeutes dans un pénitencier équatorien » du 5 octobre 2022.