À titre d’exemple, une enquête d’USA Today avait révélé que « 38 hommes d’affaires et oligarques russes proches du Kremlin sont morts dans des circonstances mystérieuses ou suspectes entre 2014 et 2017. » Le phénomène avait alors été baptisé le « syndrome de mort russe soudaine. »
Mais depuis 2022 – date de l’invasion de l’Ukraine -, le nombre de responsables économiques, de fonctionnaires et même de membres des forces de sécurité russes ayant des liens directs ou indirects avec le Kremlin disparus dans des circonstances troubles semble avoir considérablement augmenté.
Le premier d’une liste de plusieurs dizaines de drames a eu lieu le 30 janvier 2022 avec Leonid Shulman, chef des transports pour le géant russe Gazprom. Il a été retrouvé mort dans la salle de bains de sa maison de campagne dans la région de Leningrad. Certes, il y avait une lettre expliquant son geste à côté de lui mais la famille a des doutes sur son authenticité.
Les façons de décéder sont diverses : suicide (avec dans quelques cas l’assassinat de membres de la famille pour laisser penser à un coup de folie), chute depuis une fenêtre ou d’un balcon, crise cardiaque foudroyante, etc.
Il est possible qu’une partie de ces décès est vraiment due à des suicides ou à des accidents. Mais certains pourraient être des meurtres commandités par des clans criminels influents sans liens direct avec le Kremlin. Les Organisations criminelles transnationales russes (OCT) très présentes en Fédération de Russie sont réputées pour leur violence, en particulier les Vory v Zakone (bandits dans la loi.) Il convient de noter qu’en Russie, les relations entre le monde des affaires et le monde criminel sont parfois étroites…
Enfin, il reste les « opérations humides » (en russe : mokroye delo) qui sont ce que sont les « opérations homo » pour les services secrets, mais les cibles sont alors majoritairement des compatriotes. Cela dit, sauf exception, les services ne s’embarrassent pas de complications pour neutraliser la cible qui leur a été désignée : des balles ou des explosifs bien placés font l’affaire.
Depuis l’invasion de l’Ukraine, les morts mystérieuses se sont être encore accentuées, en particulier dans les milieux d’affaires russes, en raison des pressions considérables exercées par la guerre en Ukraine et les sanctions internationales qui ont bouleversé les marchés.
Selon un rapport d’enquête de Novaya Gazeta, certains des décès peuvent être liés à des fraudes financières effectuées par les dirigeants d’entreprises comme Gazprom qui peuvent avoir transféré des fonds vers des réseaux d’amis ou/et familiaux ayant des liens avec les services secrets et de défense russes.

Le dernier décès suspect est celui de Roman Starovoït, ex-gouverneur de la région de Koursk et ministre des Transports. Il a été retrouvé mort dans sa voiture à proximité de son domicile le 7 juillet peu après l’officialisation de sa destitution de son poste ministériel.
Il aurait été vu pour la dernière fois par des proches le 5 juillet lors d’une compétition à laquelle participait sa fille.
Selon toute logique, il serait décédé peu avant la découverte de sa dépouille.
Il se serait suicidé avec une arme de poing personnelle, un pistolet Makarov, qui lui avait été remise officiellement en 2023 par le chef de la police de Koursk au nom du ministre de l’Intérieur en remerciement de l’aide qu’il avait apporté lors d’opérations fédérales de sécurité alors qu’il était gouverneur de la région.
Il avait été nommé ministre des Transports en mai 2024 après avoir passé près de cinq ans comme gouverneur de la région de Koursk.
Le président Vladimir Poutine a nommé à sa place son adjoint, Andrei Nikitin, ancien gouverneur de la région de Novgorod.
Le limogeage de Starovoït est intervenu après un week-end chaotique marqué par l’annulation de centaines de vols à Moscou et Saint-Pétersbourg en raison de menaces de drones ukrainiens, ce qui aurait suscité la colère du Kremlin. Selon les statistiques officielles, 485 vols ont été annulés, 1.900 retardés et 88 ont été redirigés vers d’autres aéroports.
Il est difficile de croire que c’est cette affaire qui a provoqué la décision du président Poutine.
Par contre, une enquête de fraude à grande échelle avait lieu dans la région de Koursk depuis plusieurs mois.
Son successeur en tant que gouverneur de mai à décembre 2024 et auparavant son ancien second, Alexei Smirnov, qui a été arrêté en avril 2025 pour avoir détourné un milliard de roubles destinés au financement frauduleux d’un projet de construction de défense frontalières l’a accusé d’avoir trempé dans l’affaire.
L’ancien adjoint de Smirnov, Alexeï Dedov, également appréhendé, aurait aussi dénoncé Starovoït.
Le ministère de l’intérieur a précisé que cette affaire était liée à de précédentes arrestations pour abus de pouvoir de trois fonctionnaires et hommes d’affaires de la région de Koursk responsables de la construction d’ouvrages défensifs. Deux de ces détenus auraient confirmé les accusations.
Même en tant que ministre des Transports, il aurait trempé dans l’attribution de fonds qui n’ont pas été utilisés de manière appropriée.
Comme dans beaucoup d’autres cas similaires, une arrestation puis une lourde condamnation semblaient être son avenir…
Les cas de corruption sont traditionnels en Russie, même au sein des forces de sécurité

La corruption qui est traditionnelle en Russie, ne s’est pas améliorée sous la gouvernance de Vladimir Poutine. Ainsi, selon l’organisation Transparency International, l’indice de perception de la corruption (IPC) pour 2024 de la Russie est de 22/100. Il classe la Russie au 154ème rang sur 180 pays. Les mêmes résultats ont été enregistrés pour l’Azerbaïdjan, le Honduras et le Liban.
Même les forces de sécurité sont touchées. Ainsi, un ancien haut responsable de la Garde nationale russe (Rosgvardia) a été arrêté pour suspicion de corruption et d’abus de pouvoir. Il s’agit de la dernière arrestation d’une longue série au sein de la puissante agence de sécurité intérieure, ont rapporté le 7 juillet les médias d’État.

Viktor Strigounov, premier directeur adjoint de la Garde nationale jusqu’à fin 2023, a été placé en garde à vue par les forces de l’ordre, a rapporté l’agence de presse TASS.
Un porte-parole du Comité d’enquête russe a confirmé à l’agence de presse RIA Novosti que Strigounov faisait l’objet d’une enquête en lien avec un important projet de construction public dans la région de Kemerovo, en Sibérie.
Selon les enquêteurs, Strigounov, alors qu’il supervisait un contrat public de plusieurs millions de dollars pour la construction d’un centre de formation à Kemerovo, a donné l’ordre de poursuivre le projet en 2014, malgré les restrictions existantes qui auraient dû l’interrompre.
Le projet n’a finalement jamais été achevé, entraînant des pertes pour l’État de plus de deux milliards de roubles (25 millions de dollars.)
Strigounov aurait également accepté plus de 66 millions de roubles (850.000 dollars) de pots-de-vin de la part de représentants d’entreprises privées entre 2012 et 2014.
Strigounov issu de la police, a été nommé premier directeur adjoint de la Garde nationale en janvier 2020 après avoir dirigé le district sibérien de la Garde nationale. Bien qu’il ait démissionné de son poste à l’automne 2023, il a continué à conseiller le directeur de l’agence, Viktor Zolotov, proche de longue date du président Vladimir Poutine et ancien chef du service de sécurité présidentiel.

Cette affaire s’inscrit dans une série visant de hauts responsables de Rosgvardia, une agence créée en 2016 dont le mandat comprend la lutte antiémeute, la lutte antiterroriste et la sécurité intérieure.

Depuis février 2025, au moins trois autres hauts fonctionnaires ont été arrêtés pour corruption. Le major-général Konstantin Ryabykh a été appréhendé en février pour corruption; en mars, Nikolaï Tchepkasov, chef du Centre principal des technologies de l’information de la Garde, a fait l’objet d’accusations similaires. Le major-général Mikhaïl Varentsov, qui dirigeait le Département du développement numérique et de la protection de l’information de Rosgvardia, a également été arrêté pour fraude en avril.
D’autres cas vont certainement être découverts dans l’avenir. Des rumeurs avancent que Sergueï Choïgou, l’ancien ministre de la défense est sur la sellette. Des membres de son entourage sont déjà sous les verrous. Mais il est encore protégé par son « ami » Poutine qui semblait apprécier son incompétence militaire – qui a largement contribué à l’échec initial de l’« opération spéciale » en Ukraine – et son manque de charisme. Il ne faisait pas d’ombre au président…

Mais être « proche » de Poutine ne garantit en rien sa propre sécurité. Evgueni Prigojine, l’ancien cuisinier du président russe – mais surtout le chef de la SMP Wagner – l’a payé de sa vie dans un « accident » d’avion survenu le 23 août 2023 entre Moscou et Saint-Pétersbourg. Il a eu le tort de défier le Kremlin par sa « révolte des soldats de fortune. »

(1) sur la photo en en-tête de l’article : de haut en bas et de gauche à droite, des « connaissances » de Poutine disparues tragiquement : Leonid Shulman, Vladislav Avayev, Alexander Tyulyakov, Sergueï Protosenya, Vasily Melnikov, Ravil Maganov.