C’est évidement le cas pour l’Alliance atlantique.
Une interview accordée au New York Times donnée par le secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, est éclairante.
Il y exprime ses vives inquiétudes quant à une éventuelle coopération entre la Russie et la Chine dans de futurs conflits.
Il souligné que Pékin pourrait utiliser Moscou pour détourner l’attention de l’Occident de la situation dans la région Asie-Pacifique, notamment en cas d’invasion de Taïwan.
M. Rutte met donc en garde contre la nécessité de protéger les intérêts américains en Asie, la sécurité occidentale étant étroitement liée à celle de l’Europe.
NdA : les secrétaires généraux de l’OTAN qui se sont succédé ont toujours été les porte-paroles de la Maison-Blanche. C’est pour cela qu’ils sont désignés à ce poste. Dans ce cas précis, M. Rutte souhaite que l’Alliance atlantique sorte de sa zone de compétences (l’Atlantique, l’Europe) pour étendre ses missions au Pacifique et à la Chine, objectif principal des Américains.
Le fait que l’Europe entretienne des relations importantes avec la Chine – qui en dehors du domaine commercial n’est pas son ennemi actuel – ne semble pas entrer en ligne de comptes…
Il souligne que la coopération entre la Russie et la Chine pourrait avoir de graves conséquences pour la sécurité mondiale : « Si Xi Jinping devait attaquer Taïwan, il appellerait d’abord son partenaire junior dans tout cela, Vladimir Vladimirovitch Poutine, qui réside à Moscou, et lui dirait : ‘Hé, je vais faire ça, et j’ai besoin que vous les occupiez en Europe, en attaquant le territoire de l’OTAN’. »
NdA : une invasion de l’Europe par les forces militaires russes est très improbable pour de multiples raisons :
. la Russie n’a pas la puissance ni la volonté expansionniste de l’URSS animée alors par la doctrine du communisme internationaliste – à l’époque, il convenait de convaincre l’Humanité des bienfaits des « petits matins qui chantent » – ; Moscou n’a aujourd’hui aucune idéologie à vendre ;
. cela fait de longues années – depuis l’invasion de l’Afghanistan en 1979 – que les services de renseignement européens savent que l’armée russe est loin d’être particulièrement performante – l’invasion ratée de l’Ukraine est venue confirmer ce fait -.
. la menace soviétique, certes bien réelle, a été magnifiée par Washington qui souhaitait maintenir l’Europe sous la protection des forces américaines…
Parallèlement, M. Rutte a affirmé que si l’OTAN ne parvient pas à renforcer ses capacités dissuasives, la Russie pourrait envahir l’Estonie dans les cinq à sept ans. Le chef de l’OTAN a précisé qu’en dépit de l’absence de danger immédiat (NdA : propos intéressant), le Kremlin pourrait frapper à l’avenir à moins que l’alliance n’accélère les investissements et la coordination de la défense.

NdA : quand on regarde une carte, il semble que des trois pays baltes – qui sont des objectifs « naturels » pour Moscou(1) – l’Estonie est surtout intéressante pour sa position géographique qui commande une grande partie de la mer baltique qui est devenue un « lac otanien. »
Pour faire la jonction entre l’enclave de Kaliningrad et la Biélorussie « pays ami », ce sont la Lituanie et la Pologne qui ont le plus à craindre.
Tactiquement parlant, les trois pays baltes devraient être ciblés simultanément par une offensive tournante vers l’ouest puis le sud-ouest démarrant de Russie. La réprobation internationale serait la même qu’un ou trois pays soient attaqués.
Par contre les dates données semblent bien aléatoires.
De plus, une telle opération nécessitera une mise en place le long de la frontière russe d’un corps d’assaut important qui ne pourra échapper à la vigilance des alliés. Le coup des « manœuvres » militaires comme celles qui ont précédé l’invasion de l’Ukraine ne passera plus.
Le New York Times est l’un des journaux les plus influents aux États-Unis et dans le monde. Il a notamment été critiqué pour sa couverture médiatique de l’existence d’armes de destruction massive en Irak (qui s’est révélée fausse) ce qui a donné le prétexte à George W. Bush de lancer la guerre en Irak en 2003 à la grande satisfaction des néoconservateurs dont il était alors le fer de lance.
Qu’est-ce que le néoconservatisme ?
Pour comprendre le néoconservatisme dont le NYT est globalement porteur, un manifeste intitulé « Projet pour le nouveau siècle américain » publié en 1996 définit quelques uns de ses principes :
. la clarté morale et hégémonie bienveillante ;
. empêcher l’émergence d’une puissance rivale ;
. fin de la « complaisance » envers les dictatures ;
. refus du déclin de la puissance américaine parce qu’elle est la première puissance démocratique du monde ;
. revalorisation de l’outil militaire pour répondre aux agressions.
Son influence s’est particulièrement manifestée avec la « doctrine Reagan » guidée par l’anticommunisme et l’opposition à l’influence mondiale à l’URSS.
Elle a atteint son apogée avec la « doctrine Bush » d’« exportation de la démocratie » par tous les moyens disponibles, même au prix d’une invasion militaire. De nombreux observateurs voient la main de Washington – via différentes ONG – derrière ou en soutien des différentes « révolutions de couleur » entre 2000 et 2012 (Serbie, Géorgie, Ukraine, Kirghizistan) puis des « printemps arabes » à partir des années 2010.
Doctrine de Donald Trump
Cela dit, les slogans de l’administration Trump sont « MAGA » (« Make America Great Again ») et « America First » (en premier l’Amérique) qui qui présuppose une doctrine qui s’oppose à celle des néoconservateurs.
Cependant, l’affaire est complexe d’autant que le président Trump semble dire tout et son contraire.
Quatre « tendances » en matière de politique étrangère peuvent être distinguées selon la Direction de l’information légale et administrative (DILA), un service dépendant du Premier-ministre français en s’appuyant sur le premier mandat et le début du second du président Trump.
La première est une forte continuité sur les engagements militaires, Donald Trump ayant délégué au Pentagone de larges pans de la décision sur le plan militaire.
D’où une intensification de l’implication américaine (dont les frappes aériennes en Iran sont le dernier exemple) tout en privilégiant une « empreinte légère » (light footprint) – drones, forces spéciales – sur les principaux théâtres. Cela fait qu’il est difficile de parler d’isolationnisme souvent confondu avec l’unilatéralisme qui, lui, est réel.
La seconde tendance est l’achèvement de la destruction de l’héritage de Barack Obama en politique étrangère, une obsession de Donald Trump : sortie du Traité de libre-échange trans-pacifique (Trans-Pacific Partnership, TPP), de l’accord de Paris sur le climat et de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien ou plan d’action conjoint (Joint Comprehensive Plan of Action, JCPoA), et remise en cause de l’ouverture à Cuba.
La troisième est constituée des principales ruptures que l’on pourrait qualifier de « révolution Trump », actions qui répondent avant tout à des préoccupations de politique intérieure : soutien à Israël dans sa guerre à Gaza, au Sud-Liban, en Iran, précédemment ambassade américaine transférée à Jérusalem et reconnaissance de l’annexion du plateau du Golan, augmentation des taxes à l’importation évoluant vers une guerre commerciale, mesures restrictives sur l’immigration, renouvellement et durcissement des sanctions économiques, en particulier contre la Russie, l’Iran, Cuba, et au-delà, du fait des effets extraterritoriaux des lois américaines.
Elle s’ajoute aux attaques répétées contre le multilatéralisme et les institutions internationales : de l’ONU au G7 et à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), mais aussi contre les alliances telles que l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et les accords dans lesquels les États-Unis étaient engagés comme le Partenariat trans-pacifique (Trans-Pacific Partnership).
Enfin, la dernière tendance qui pourrait donner une ligne directrice à la politique étrangère américaine : le changement de paradigme à propos vis-à-vis de la Chine pour assumer une posture de compétition ouverte avec le pays qui apparaît comme le véritable défi à la suprématie américaine.
Mark Rutte est donc parfaitement dans la ligne de Washington qui souhaite regrouper ses alliés – dont les pays membres de l’OTAN – contre son adversaire prioritaire d’aujourd’hui et surtout de demain: Pékin.