Ils notent que les groupes criminels organisés opèrent de plus en plus en ligne et les autorités peinent à suivre.
La publication de ces rapports intervient dans un contexte d’incertitudes politiques quant à l’avenir de la lutte contre le crime organisé en Amérique latine et dans les Caraïbes suite à l’arrivée de l’administration Trump au pouvoir en janvier.
En effet, tout en promettant une répression musclée contre le trafic de fentanyl et les groupes criminels dont certains sont désormais classés comme « terroristes »(1), le président Donald Trump a promu des mesures qui pourraient au contraire favoriser le développement des groupes criminels.
Ainsi, son administration a suspendu l’aide qui finançait des programmes de lutte contre les trafics de produits stupéfiants dans des pays comme la Colombie et le Mexique… et a fait marche arrière dans la lutte contre le blanchiment d’argent sous couvert de « libéralisme économique.»


Le premier document, le « Rapport sur la stratégie internationale de contrôle des stupéfiants » ( « International Narcotics Control Strategy Report » – INCSR) du Département d’État américain, est publié chaque année en mars et reflète les conclusions sur l’année précédente. Il explore la dynamique du trafic de drogues dans différents pays en se concentrant sur son impact sur les marchés américains des produits stupéfiants.
Le second document publié (tous les quatre ans) le 20 mars, est l’« Évaluation de la menace que représente la criminalité grave et organisée de l’Union européenne » ( « EU Serious and Organised Crime Threat Assessment » – EU-SOCTA). Rédigé par Europol, ce rapport offre un aperçu général des menaces que représente la criminalité organisée pour l’Europe et étudie particulièrement ses liens avec ses homologues d’Amérique latine.
La montée inexorable des drogues de synthèse

Il semble que fentanyl plafonne – voire diminue – aux États-Unis mais l’évolution rapide des drogues de synthèse continue d’inquiéter les autorités.
Pour mémoire, le fentanyl est une drogue à propriété analgésique opioïde utilisée pour soulager les douleurs des patients atteints de cancers en phase terminale. Son potentiel analgésique est cent fois plus efficace que celui de la morphine. Les éléments nécessaires pour sa fabrication sont produits en Chine et exportés vers l’Amérique latine, en particulier vers le Mexique. Les bénéfices fantastiques générés par la vente de cette drogue en ont fait un leader aux États-Unis depuis les années 2010 entraînant une hécatombe par overdose ou les consommateurs la mélangeant à d’autres stupéfiants.
Ainsi, l’INCSR souligne que les saisies de fentanyl aux États-Unis ont chuté de 19 % d’octobre 2023 à septembre 2024 par rapport à la même période de l’année précédente.
Cette baisse s’est accompagnée d’une baisse de 17 % des overdoses dues au fentanyl entre juillet 2023 et juillet 2024.

Beaucoup de facteurs expliqueraient ce phénomène dont le contrôle renforcé imposé par le cartel de Sinaloa sur la production de fentanyl et des niveaux de pureté du produit plus constants.
Toutefois, l’INCSR déclare : « la menace importante posée par les drogues de synthèse continue de croître à l’échelle mondiale et les opioïdes de synthèse demeurent la principale menace aux États-Unis. […] Les organisations criminelles s’adaptent pour échapper aux contrôles […] Les produits chimiques nécessaires à la production [de drogues de synthèse] étant très variables, ils sont beaucoup plus difficiles à juguler.»
Selon l’UE-SOCTA, le marché du fentanyl en Europe reste limité par rapport aux États-Unis.
Néanmoins, une enquête menée en 2024 a révélé que des organisations criminelles ont profité de la réglementation laxiste de pays comme l’Allemagne pour s’approvisionner au Mexique en produits chimiques destinés à la fabrication de cette drogue.
Cela reflète une tendance plus générale des réseaux de trafic de drogues de synthèse à élargir leurs sources d’approvisionnement pour garder une longueur d’avance sur les autorités.
Les conclusions de l’INCSR montrent également comment les changements politiques aux États-Unis pourraient encore affaiblir les autorités dans la lutte contre les drogues de synthèse. Le rapport souligne le succès d’un programme des Nations Unies au Mexique, soutenu par les États-Unis, qui a « contribué à l’augmentation des saisies de marchandises illicites, notamment de stupéfiants, de précurseurs chimiques et de produits contrefaits, dans les ports maritimes les plus fréquentés du Mexique. »
Cependant, selon une dépêche de Reuter datée du 24 février, l’administration Trump a suspendu le financement de ce même programme.
Les transferts de cocaïne vers l'Europe sont toujours très importants

Selon les deux documents, les trafiquants continuent de satisfaire une demande toujours plus forte de cocaïne en Europe malgré la surveillance policière accrue. Selon les experts :
« Au cours des deux dernières décennies, la demande de cocaïne en Europe a explosé, dépassant probablement même celle des États-Unis. »
Pour lutter contre ce phénomène, les autorités européennes ont renforcé leur coopération avec leurs homologues latino-américains, saisissant d’importantes cargaisons de cocaïne transitant par de grands ports européens comme Rotterdam et Anvers, et démantelant plusieurs réseaux de trafic.
L’EU-SOCTA constate que la répression n’a cependant pas empêché la drogue d’atteindre l’Europe : « Bien qu’une baisse des saisies maritimes ait été observée à certains points d’entrée majeurs de l’UE en 2024, le volume de cocaïne entrant dans l’UE n’a probablement pas diminué. »
Une étude publiée le 19 mars par l’Agence européenne des médicaments (EUDA) a corroboré cette affirmation, constatant une augmentation des résidus de cocaïne dans les eaux usées de 39 des 72 villes européennes étudiées.
L’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) avait fait une étude similaire en 2023 donnant Paris loin derrière Anvers, Amsterdam et Zurich mais presqu’au même niveau que Barcelone et Bruxelles…

Des réseaux de trafic plus décentralisés et plus résilients permettent aussi à de nouveaux acteurs de remplacer facilement ceux qui sont neutralisés.
Ces réseaux ont diversifié les itinéraires de la cocaïne, choisissant d’importer de la drogue via des ports secondaires dans des pays comme la Russie, la Suède et le Portugal pour échapper aux autorités.
Ils ont également recours à des méthodes de trafic innovantes, se tournant de plus en plus vers les semi-submersibles, dans la distribution de biens de consommation imprégnés de cocaïne, dans le trafic de pâte de coca ou de cocaïne base transformée en cocaïne une fois arrivée en Europe.

Cybercriminalité : La nouvelle frontière
Selon ces rapports, les groupes criminels organisés et les forces de l’ordre opèrent de plus en plus en ligne et utilisent l’intelligence artificielle (IA) pour leurs opérations.
Les criminels conservent toujours une longueur d’avance : « les technologies émergentes, comme l’intelligence artificielle… accélèrent, étendent et perfectionnent le crime organisé » écrit l’EU-SOCTA, qui cite en exemple la prolifération des fraudes en ligne et des cyberattaques à but lucratif en Europe. Les autorités ont tendance à pointer du doigt Moscou mais oublient de mentionner le monde criminel et la Chine -.
La transition numérique du crime organisé en Europe reflète une tendance mondiale qui a également touché l’Amérique latine et les Caraïbes.
Par exemple, au Pérou, des groupes frauduleux ont utilisé la technologie « deepfake » pour améliorer leurs escroqueries par extorsion, tandis qu’au Brésil, les groupes criminels se tournent de plus en plus vers les escroqueries et les vols en ligne.
Pour mémoire, un « deepkake » est un enregistrement vidéo ou audio réalisé ou modifié avec l’intelligence artificielle. Ce terme fait référence non seulement au contenu ainsi créé, mais aussi aux technologies utilisées. Le mot deepfake est une abréviation de « Deep Learning » et « Fake », qui peut être traduit par « fausse profondeur » (source Wikipedia.)
Le rapport de l’INCSR souligne comment les autorités antidrogue exploitent l’IA pour lutter contre les trafiquants citant l’utilisation de l’imagerie générée par IA par les autorités portuaires néerlandaises pour détecter la cocaïne dans les conteneurs de fret.
En Amérique latine, les forces de sécurité ont également tenté de mettre en œuvre des modèles basés sur l’IA pour prédire les crimes violents avant qu’ils ne se produisent.

Malgré cela, les autorités latino-américaines ont du mal à suivre le rythme de l’adoption des nouvelles technologies par les groupes criminels.
Les fonctionnaires doivent généralement franchir des obstacles bureaucratiques et attendre l’approbation officielle pour adopter de nouveaux outils et méthodes.
Les autorités de différents pays peinent également à coordonner leurs efforts pour lutter contre les groupes cybercriminels à cause de juridictions différentes alors que ces criminels ne sont arrêtés par les frontières.
